Les compétences, maillon faible de la productivité ? (Forum mondial OCDE)
L'édition 2024 du forum mondial de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sur la productivité, organisée à Paris au ministère de l'Économie et des Finances mi-octobre, place l'éducation et la formation professionnelle au cœur de la croissance. Pouvoirs publics et entreprises doivent adapter leurs approches aux enjeux d'un monde nouveau.
Par Catherine Trocquemé - Le 29 octobre 2024.
Il semble loin le temps où les sujets du capital humain restaient en marge des comités exécutifs des entreprises. Lors de son forum mondial sur la productivité organisée à Paris mi-octobre, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en a fait le thème de ses discussions. Toutes les études de la très sérieuse organisation intergouvernementale le confirment. La crise sanitaire marque une accélération des problématiques de compétences dans tous les pays, tous secteurs confondus et plus ou moins intense selon les entreprises. Au sein de l'OCDE, 79 % des dirigeants éprouvent des difficultés de recrutement (82 % en France). Plus inquiétant encore, 90 % des entreprises déclarent manquer de compétences. Y aurait-il un lien avec une croissance de la productivité en berne à 1,9 % contre plus de 3 % dans les années 1990 ? Les économistes de l'OCDE se sont saisis de la question. Le constat est sans appel. « Le capital humain est la base de l'économie. En France, les trois quarts de la productivité en dépend », déclare en ouverture du forum mondial de l'OCDE, Mathias Cormann, son secrétaire général.
Un changement de paradigme
Dans un monde de plus en plus technologique où la diffusion des connaissances conditionne la performance, les modèles économiques se cherchent. Professeur à l'Imperial College de Londres, Jonathan Haskel présente les nouveaux équilibres en analysant le fonctionnement des entreprises performantes de la tech. « Le capital matériel décline au profit du capital immatériel. Les géants du digital investissent ainsi dans la R&D, les bases de données, les applications, leurs marques, l'innovation ou encore la formation et les process. L'IA devrait encore accentuer ce phénomène ». Cette allocation des ressources rompt avec les pratiques traditionnelles de gestion des ressources humaines. « Le défi consiste à aligner la gestion des compétences sur ces enjeux ». L'appropriation des nouvelles technologies représente un facteur clé de la productivité et les écarts se creusent entre les entreprises « retardataires » et les autres. Les premières éprouvent des difficultés à recruter une main d'œuvre peu qualifiée en raison de conditions de travail peu satisfaisantes et faute de salaires attractifs. Les secondes à la pointe des nouvelles technologies peinent à trouver de nouvelles compétences sur le marché du travail faute d'une offre de formation en ligne avec leurs besoins.
Le choc des soft skills
Au fil des présentations et des tables rondes du forum, les experts de l'OCDE invitent tous les pays à repenser leurs modèles. « Les systèmes d'éducation et de formation créés dans les années 1970 ne sont plus adaptés », affirme Alvaro Pereira, chef économiste de l'OCDE. La pédagogie n'échappe pas à cette exigence. Les pistes sont connues. « Il faut modulariser et personnaliser les parcours ou encore cibler l'apprentissage sur les jeunes sans qualification », rappelle Mathias Cormann. Au-delà des compétences cognitives dont les résultats, en France, baissent régulièrement notamment autour des mathématiques, Maria Guadalupe, professeur à l'Insead[ 1 ]Institut européen d'administration des affaires a concentré ses recherches sur les compétences non cognitives, aussi connues sous le nom de soft skills. De plus en plus recherchées par les recruteurs, elles regroupent des aptitudes relationnelles, émotionnelles, l'agilité ou encore la capacité à travailler en équipe. Un périmètre aussi large que difficile à appréhender. « Les soft skills sont le principal obstacle au recrutement. La question est de savoir si on peut former à ces compétences », déclare Maria Guadalupe. Une formation proposée par France Travail aux demandeurs d'emploi a fait l'objet d'une évaluation. La session de deux semaines visait à améliorer la confiance en soi, l'autonomie, le contrôle de soi ou encore l'efficacité. « Le résultat a été positif. Les bénéficiaires ont pris conscience de leurs compétences, ont eu plus de facilité à trouver un emploi de qualité en CDI et en lien avec leurs objectifs ». Pour Maria Guadalupe, ces formations doivent se développer. « En particulier en France où le système éducatif ne donne pas assez de place à ces compétences ». En engageant des réformes, les politiques publiques ont leur rôle à jouer.
Notes
1. | ↑ | Institut européen d'administration des affaires |