Ahmed El Khadiri, délégué général de l’Union nationale des Missions locales (UNML).
L’UNML appelle à ne pas sacrifier les jeunes au nom de la dette
Les rencontres nationales des Missions locales des 8 et 9 octobre au Havre ont été marquées par un contexte de désengagement budgétaire qui inquiète l'UNML (Union nationale des missions locales) pour 2025. Le délégué général Ahmed El Khadiri craint que les nombreux investissements et partenariats engagés ces dernières années ne soient anéantis par ce coup de frein prématuré.
Par Mariette Kammerer - Le 22 octobre 2024.
Le Quotidien de la formation. 2024 a été marqué par des restrictions sur le Contrat engagement jeune et le PACEA [ 1 ]Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie?
Ahmed El Khadiri. En effet, la logique de financement du contrat engagement jeune (CEJ) a changé en 2024. Auparavant, ce dispositif qui associe un accompagnement et une allocation était un droit ouvert à tout jeune précaire en difficulté d'insertion. Il y avait une cible de 200 000 jeunes par an mais ce n'était pas un plafond, et 210 000 jeunes en ont bénéficié en 2023. Mais en 2024 c'est devenu un dispositif contingenté avec un nombre de places limitées. Nous l’avons découvert en avril avec l'annonce du plan d'économies du gouvernement. Et au même moment le budget alloué au PACEA a été divisé par deux, passant de 100 millions d'euros à 47 millions d'euros. Or ce budget d'allocation ponctuelle – dont le montant avait été défini par la stratégie de lutte contre la pauvreté - permet de soutenir les projets des jeunes en accompagnement classique.
Quelles vont être les conséquences de ces restrictions ?
AEK. Ces dernières années nous avons multiplié les partenariats, dans le cadre de l'obligation de formation jusqu'à 18 ans, de la réforme des lycées professionnels, du CEJ « jeunes en rupture » et des appels à projet « repérage des invisibles ». Ces partenaires nous réorientent des jeunes, ce qui concoure à augmenter le flux des entrées en mission locale. Et aujourd'hui on se demande si on aura les moyens de les accompagner. Avec un nombre de places limitées dans les dispositifs, on va être obligés de faire des arbitrages, de gérer la file d'attente et prioriser les plus en difficulté. En terme d'action publique cela n'a pas de sens : pourquoi « repérer les invisibles » et faire un CEJ « jeunes en rupture » si ensuite on ne va pas au bout de l'accompagnement ?
Vous avez aussi des incertitudes sur vos actions avec les lycées professionnels ?
AEK. Nous avons engagé plusieurs dispositifs avec les lycées professionnels : « Avenir pro », pour faire connaître la mission locale aux élèves qui ne feront pas d'études supérieures, « Ambition emploi » pour suivre ceux qui n'ont pas eu leur bac et sont sans solution, et « tous droits ouverts » pour prévenir le décrochage. Ce rapprochement avec les lycées professionnels est essentiel, car ce public arrive souvent en mission locale après quelques années d'errance. Pour éviter de fabriquer des « invisibles », il faut les rencontrer là où ils sont, créer du lien dès le lycée et ne pas les perdre de vue. Ces actions devaient se généraliser cette année dans tous les lycées professionnels, mais aujourd'hui on ne sait pas du tout ce qu'il en est, ni même si on va pouvoir continuer dans les 1 000 établissements où on a commencé.
Comment avance la construction du réseau d'acteurs autour de France Travail ?
AEK. Avec les acteurs du « réseau pour l'emploi » dont font partie les missions locales, nous avons participé à construire « un référentiel d'orientation partagé », qui a été validé en juillet. Cela nous a permis de clarifier l'intervention de chacun auprès des différents publics. C'est une première étape pour mieux travailler ensemble. On est aussi en phase d'élaboration d'outils méthodologiques et numériques communs. Le système d'information commun sera opérationnel en 2026. Il permettra à tous les acteurs du réseau d'être connectés à la même plateforme, d'avoir une vision d'ensemble sur tous les suivis d'un jeune, savoir s'il touche le RSA, c'est le principe du « dites-le-nous une fois ». Dès janvier 2025, un jeune qui s'inscrira sur la plateforme de France Travail et qui relèvera d'un accompagnement socioprofessionnel se verra proposer directement un rendez-vous en mission locale, sans rencontrer de conseiller France Travail. On estime que ce système d'orientation va considérablement augmenter le nombre de jeunes qui nous seront adressés.
Quels sont vos souhaits pour l'année prochaine ?
AEK. On demande juste de retrouver les 200 000 CEJ, même plafonnés, un budget PACEA à 100 millions d'euros, et de continuer le partenariat avec les lycées professionnels. Il faut continuer à se donner les moyens d'accompagner ces jeunes et de préparer l'avenir. Ne pas les sacrifier sur l'autel de la dette budgétaire. Car c'est une logique d'investissement social. Les jeunes qui ont été repérés par les partenaires, qui ont été remobilisés, si on les lâche maintenant, on va perdre tout ce qu'on a construit dans la durée, et tout l'argent investi ces dernières années. Mais à ce stade nous n'avons aucun élément sur ce que fera la nouvelle ministre.
Notes
1. | ↑ | Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie |