Négociation « Pacte de la vie au travail » : les syndicats déplorent un rendez-vous manqué
La négociation « pour un nouveau Pacte de la vie au travail » n'a pas réussi à trouver une issue favorable. Pour les organisations syndicales, interrogées par Centre Inffo, les points de discordance restaient infranchissables malgré l'importance d'aboutir à un accord au regard des enjeux de cette négociation.
Par Raphaëlle Pienne - Le 22 avril 2024.
A l'issue d'une négociation qui a duré plus de trois mois, il n'y aura pas de nouvel accord national interprofessionnel (ANI). Les unes après les autres, les instances des organisations syndicales ont refusé de signer l'ultime version du projet d'accord débattue jusque tard dans la nuit du 9 au 10 avril. La CGT doit encore finir de consulter ses organisations jusqu'au 26 avril, « mais notre délégation a donné un avis négatif à la signature », indique Sandrine Mourey, chargée au bureau confédéral CGT de la négociation collective et de la démocratie sociale. Au final reste le constat d'un « gâchis » et d'un échec « grave pour le paritarisme » selon Michel Beaugas, secrétaire confédéral au secteur de l'emploi et des retraites. Aline Mougenot, chef de file CFTC pour la négociation, en charge de la formation professionnelle, fait elle part de sa « déception », tandis que Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC en charge des parcours professionnels, et Yvan Ricordeau, secrétaire national et chef de file de la CFDT pour la négociation, évoquent un « rendez-vous manqué ».
« Pas une négociation »
La manière même dont s'est déroulée la négociation est fortement critiquée par les syndicats. « Tout cela s'est mal goupillé, a été mal géré par le Medef », considère Michel Beaugas. « Je ne pense pas qu'on puisse appeler cela une négociation tant le patronat, et plus particulièrement l'arc Medef-CPME l'ont torpillée», cingle pour sa part Sandrine Mourey. « C'était la course à la lenteur. Journée après journée, il n'y avait pas d'avancées », explique-t-elle. Aline Mougenot relate des tractations sur le projet de texte d'accord qui ne se sont débloquées qu'à la dernière demi-heure des discussions. « Nous avons réussi à obtenir en dernière ligne le retrait de choses qui n'existaient pas, par exemple sur le dédit-formation, alors que le patronat avait proposé un accord moins-disant partout. Je n'avais jamais vu cela en négociation », décrit-elle.
« Rien de positif »
Du texte final du projet d'accord, Michel Beaugas estime « qu'il n'y a rien à garder. Il n'y a pratiquement pas d'avancées ». Pour la CGT, les propositions émises par le patronat représentent même « un vrai danger, avec des baisses des droits des salariés à tous les étages », selon Sandrine Mourey, qui cite notamment les « lignes rouges » du CDI seniors expérimental et de la possibilité de rompre le contrat du salarié en parcours de reconversion. Jean-François Foucard retient lui quelques idées, mais rendues inacceptables par les conditions de mises en œuvre proposées. « Sur l'entretien professionnel cela avait du sens, jusqu'au moment où il a été proposé que les branches puissent en modifier les bornes ce qui ne laissait aucune possibilité d'avoir des pénalités », cite-t-il en exemple. Aline Mougenot, sur ce point, alerte que le projet d'accord proposait de faire passer de deux ans à cinq ans la fréquence de l'entretien professionnel. Elle dénonce aussi le « hold-up sur le CPF des salariés » dans la proposition de parcours de formation coconstruit entre entreprise et salarié. « Il n'y avait rien du tout de positif », déplore la négociatrice de la CFTC. Yvan Ricordeau sauve lui la proposition de reconfigurer l'entretien professionnel, « mais le délai porté à cinq ans est caricatural », et l'ouverture d'une possibilité de négociation obligatoire sur l'emploi des seniors dans les entreprises à partir de 300 salariés, « mais mal qualifiée [dans le texte du projet d'accord] ». Rien de suffisant cependant. « Il n'y a pas de nouveaux droits amenés pour les salariés. Pire, les droits existants sont plutôt dégradés, qu'il s'agisse du CPF, du droit à la reconversion, ou – et cela est nouveau- de la demande des organisations patronales d'avoir de la visibilité sur la date de départ en retraite des salariés », estime le secrétaire national de la CFDT.
« Une occasion manquée »
Les syndicats avaient pourtant à cœur de voir la négociation aboutir. « Il y avait tellement à faire, les enjeux étaient tellement importants. Pour nous c'est incompréhensible que le patronat ne s'en soit pas saisi. En cela, ils se sont tirés une balle dans le pied. Nous sommes à un moment où les métiers évoluent à toute vitesse. Mais ils ne peuvent pas évoluer seuls et on ne peut pas tout faire reposer sur la formation initiale, [sans compter] les métiers à sortie précoce [pour cause d'usure professionnelle] », expose Aline Mougenot. Jean-François Foucard, qui rejoint cet enjeu de pénibilité de certains métiers, évoque aussi le contexte d'allongement des carrières professionnelles. « A un moment donné il était important de traiter les transitions professionnelles sur les fins de carrières, comme l'ont fait d'autres pays. Le risque sinon est celui de l'augmentation du nombre de NER : les ni en emploi ni en retraite », avertit-il. « C'est [aussi] une occasion manquée de revoir les organisations des entreprises », ajoute Michel Beaugas. Les syndicats n'oublient pas non plus le contexte dans lequel s'inscrivait la négociation. « Le Medef et la CPME ont vidé la réforme des retraites de sa dimension de contreparties pour les salariés. […] Il y a eu une forme d'obstruction des organisations patronales, qui n'est pas nouvelle, de mettre des contreparties à la question de carrières qui sont de plus en longues et de plus en plus difficiles », juge Yvan Ricordeau. Les espoirs des syndicats se tournent désormais vers la nouvelle négociation débutée à l'initiative de l'U2P, dont une partie doit porter sur la reconversion professionnelle. Objectif : parvenir cette fois-ci à un accord, pour pouvoir peser sur un futur projet de loi porté par le Gouvernement.