« Le paritarisme est-il menacé ? » Grand rendez-vous Ajis, le 20 mars 2024.
Opération sauvetage du paritarisme devant les journalistes sociaux
Le paritarisme va-t-il disparaître ? C'était le thème du « grand rendez-vous » de l'Association des journalistes de l'information sociale, mercredi 20 mars. Fait exceptionnel, les numéros un des 8 organisations syndicales et patronales représentatives ont répondu aux questions des adhérents de l'Ajis. Objectif de l'opération : signifier au gouvernement et au président de la République leur détermination à préserver le paritarisme de gestion et de négociation, dans le champ de la formation professionnelle comme dans les autres champs sociaux.
Par David Garcia - Le 21 mars 2024.
« Depuis la promulgation de la loi du 5 septembre 2018 et la refonte de la formation professionnelle, les attaques sur le paritarisme semblent s'accélérer, l'exécutif tentant de marginaliser les institutions paritaires. L'assurance chômage serait devenue sa nouvelle cible : réformes en cascade, cadrages financiers des négociations, absence d'homologation de l'accord de novembre 2023. Face à ces assauts, les partenaires sociaux continuent de négocier des accords nationaux interprofessionnels (santé au travail, formation professionnelle, environnement/climat, paritarisme) et planchent jusqu'à fin mars sur le "pacte de la vie au travail", introduisait l'Association des journalistes de l'information sociale dans son invitation à assister au débat entre numéros un des « partenaires sociaux ». Tour à tour, ces derniers ont défendu, chacun à leur manière, la nécessité de « sauver » le paritarisme, mercredi 20 mars à Paris.
Un raisonnement purement budgétaire
Secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon a fustigé « un gouvernement qui ne raisonne qu'au prisme du budget », en référence à l'annonce de l'exécutif d'instaurer un ticket modérateur de 100 euros à chaque recours au compte personnel de formation. Un « prisme budgétaire » qui ferait fi de toute démarche de dialogue avec les représentants des salariés, et des employeurs. « La CFDT est opposée à ce ticket modérateur. Les premiers concernés seront les salariés qui ne pourront pas mettre 100 euros de leur poche. C'est le choix de Bercy, une décision purement budgétaire qui empêchera les salariés d'accéder à la formation », renchérit Marylise Léon.
Insuffisante anticipation du CPF
Président de la CFTC, Cyril Chabanier a réfuté l'argument du gouvernement selon lequel le ticket modérateur réduirait les abandons en cours de formation : « En réalité, le principal problème avec le CPF réside dans son anticipation insuffisante. Le conseil en évolution professionnel devrait être davantage utilisé, cela réduirait le nombre d'abandons en raison de contenus de formation ne correspondant pas aux besoins réels des personnes. »
Permis moto éligible au CPF, mais sous condition
De son côté, le président du Medef Patrick Martin « n'est pas choqué par le principe du ticket modérateur, qui peut être l'occasion d'amorcer l'abondement au CPF par l'entreprise. Si cela favorise la mise en œuvre de formations plus qualifiantes, alors ce sera positif. » Un jugement positif tempéré par un bémol, toutefois. « Le permis moto est éligible au compte personnel de formation, c'est même le deuxième poste de dépense du CPF. Or les auto-écoles disent elles-mêmes ne pas savoir comment gérer cet afflux. Pourquoi ne pas rendre éligible le permis moto aux seules personnes non-titulaires du permis de conduire ? D'un côté, le gouvernement affirme vouloir faire des économies, et de l'autre, il favorise les dépenses luxueuses », argumente Patrick Martin.
Les utilisateurs du CPF de plus en plus sollicités financièrement
Revenant sur le contexte de la création de la plateforme Mon compte formation par la ministre du travail de l'époque, Muriel Pénicaud, « et surtout par son directeur de cabinet » [ 1 ]Antoine Foucher., le président de la CFE-CGC a fait valoir « qu'il s'agissait de doubler la valeur du marché de la formation, sous la pression du patronat ». « Après avoir créé un marché et l'avoir solvabilisé, l'Etat le privatise petit à petit. A l'avenir, les utilisateurs seront de plus mis à contribution financièrement. C'est un mécanisme typiquement néo-libéral, par ailleurs mis en oeuvre dans d'autres champs sociaux », a ajouté François Hommeril.
Effondrement de la formation dans les PME
Moins sévère, le président de la CPME a lui aussi rappelé la genèse de la loi « avenir professionnel : « Les médias évoquaient alors le scandale du financement de la formation, les fameux 32 milliards. Il y avait des trous dans la caisse, disait-on ». « Sur le volet apprentissage, cette réforme a bien fonctionné. En revanche, côté formation professionnelle proprement dite, la fin de la mutualisation des fonds destinés à financer le plan de développement des compétences des entreprises de 50 à 300 salariés constitue une régression sévère. Dans ces PME, la formation s'est effondrée. Elles sont pourtant confrontées à des besoins considérables. Dès lors, le débat sur le ticket modérateur est un peu à côté de notre sujet principal de préoccupation », a ajouté François Asselin.
Effet limitatif sur les reconversions
Concernant la thématique des reconversions, au menu des négociations relatives à l'emploi des seniors (« pacte de vie au travail »), Marylise Léon s'inquiète des effets limitatifs du cadre fixé par le gouvernement. « Le document d'orientation précise que les mesures inscrites dans l'accord national interprofessionnel ne devront avoir aucun impact financier. Or, compte-tenu des enjeux de transformation écologique et numérique, les besoins de reconversion, tant individuels que collectifs, seront énormes, et exigeront des moyens proportionnés », a-t-elle étayé.
Le CETU, facteur d'attractivité pour les TPE
Président de l'Union des professionnels de proximité (U2P), Michel Picon regrette que le compte épargne-temps universel ne figure pas dans les dix propositions des organisations syndicales visant à améliorer le projet d'accord relatif au pacte de la vie au travail. Il ne figurait pas non plus dans le texte présenté par le Medef et la CPME, opposés au CETU. « Cette absence pose un problème d'attractivité pour les très petites entreprises, dépourvues de compte épargne temps, contrairement aux plus grandes sociétés. Si l'objectif est de créer des emplois de progrès social dans les TPE, alors il faut créer un CETU à disposition de tous les salariés », soutient le numéro un de l'U2P.
Un mauvais génie
« Un mauvais génie plane autour de cette négociation, le gouvernement fait tout pour la compliquer, estime pour sa part Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Au lieu de mettre la pression sur le patronat en annonçant un durcissement des sanctions financières en l'absence d'amélioration du taux d'emploi des seniors, il menace de reprendre la main si l'accord ne lui convient pas. Tout se passe comme si les organisations patronales, sentant le gouvernement pencher de son côté, misaient sur une absence d'accord pour pouvoir négocier directement avec l'exécutif. Au détriment des seniors chômeurs, dont les conditions d'indemnisation vont encore se dégrader. »
Le secrétaire général de Force ouvrière rembobine quant à lui le film de la dernière loi sur les retraites, qui allonge de deux ans la durée de cotisation. « Si on avait discuté de tout cela avant la réforme des retraites, il n'y aurait pas eu besoin de fixer à 64 ans l'âge légal de départ. La France a le plus bas taux d'emploi des 55-64 ans de tous les pays membres de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) », souligne Frédéric Souillot.
Sauver le paritarisme
Optimiste, le leader de FO interpelle ses homologues : « On doit sauver le paritarisme, et on ne se laissera pas faire, face à l'offensive du gouvernement. On le sauvera comme on l'a fait en signant des accords tel que celui sur les retraites complémentaires. Le ministre de l'économie Bruno Lemaire voulait alors récupérer les fonds de l'Agirc-Arrco, remarquablement gérés par les partenaires sociaux! ».
La fin du paritarisme de gestion et de négociation est-elle inéluctable ? Reste à savoir si à l'issue de l'ultime séance négociation relative au pacte de la vie au travail, prévue à ce stade le 26 mars, un accord sera conclu, et si dans cette hypothèse, le gouvernement le transposerait. A moins que ce dernier décide de légiférer à sa seule initiative et de solder l'ère paritaire, partiellement ou totalement.
Notes
1. | ↑ | Antoine Foucher. |