Isabelle Pautrat, responsable de projet parcours et accompagnement au sein de l’Agence pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).
Parler des métiers et des emplois pour aider les femmes à s'orienter
Responsable de projet parcours et accompagnement au sein de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), Isabelle Pautrat regrette le peu d'évolution dans le domaine de la mixité des métiers depuis que l'opérateur public réalise des bilans annuels à ce sujet. À ses yeux, la formation et l'orientation tout au long de la vie, particulièrement dans le cadre de reconversions, peut contribuer à dégenrer le marché du travail. À condition que les acteurs de l'emploi se montrent très précis en communiquant sur les métiers et postes accessibles. Entretien, à l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes.
Par Sophie Massieu - Le 08 mars 2024.
Le Quotidien de la formation. En réponse à une commande de la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle), l'Afpa publie le 4e bilan annuel 2023 de la mixité des métiers. A peine plus de 1 sur 5 (20,8 %) est exercé à parts à peu près égales par des hommes et des femmes. Qu'est-ce qui vous surprend le plus dans cet état des lieux ?
Isabelle Pautrat. Le peu de changement d'une année à l'autre. On observe une légère évolution, par exemple dans le secteur du bâtiment, qui essaie de se féminiser, mais c'est très lent. La répartition des métiers, des formations, des qualifications demeure profondément genrée en France. Les femmes s'orientent vers un plus petit nombre de métiers que les hommes, et ce dès la formation initiale, et encore en formation continue au travers des reconversions. On compte par exemple 85 % de femmes dans le tertiaire, l'administratif, les soins aux personnes… Les hommes, eux, se dirigent davantage que les femmes sur les métiers du bâtiment, de la construction, de l'industrie. Pire, si on peut dire : cela évolue très peu aussi dans le secteur informatique. Ce secteur devrait encore moins que les autres être soumis aux stéréotypes, puisque ces métiers sont récents, pas ancrés dans une culture genrée. Ce ne sont pas des professions physiques non plus. Quel monde professionnel construit-on pour demain si un tel métier d'avenir est à ce point genré ? Et les femmes se privent, aussi, de pistes prometteuses, en s'éloignant des technologies, qu'elles utilisent moins que les hommes…
QDF. La France fait-elle exception en Europe ?
IP. Globalement, partout en Europe, le taux d'activité des femmes est moins élevé que celui des hommes. Elles travaillent davantage à temps partiel et plus fréquemment dans les métiers de l'enseignement-éducation, de la santé, du social.
QDF. Comment expliquer selon vous que les choses restent à ce point figées ?
IP. Cela commence dès le plus jeune âge, avec le choix de jouets genrés, de discours tenus aux filles pendant leur éducation… Certes, on le pointe de plus en plus et de nombreuses choses sont mises en place à l'école pour lutter contre ces stéréotypes. Mais cela ne suffit pas. D'autant moins que des stéréotypes sur les métiers sont aussi véhiculés par des films, des séries, comme l'informaticien qui est nécessairement un geek…
QDF. Dès lors, la formation, continue en particulier, peut-elle contribuer à changer la donne ? Et comment ?
IP. C'est au niveau des reconversions que cela peut se jouer. Lorsque les femmes se lancent, elles sont souvent plus âgées que les hommes, elles le font après parfois avoir élevé des enfants, pour retrouver un temps plein, un meilleur salaire… Bref, améliorer leurs conditions de travail. Parler des métiers et des emplois disponibles peut donc aider les femmes à s'orienter vers un plus grand nombre de professions. Tous les acteurs doivent se mobiliser et se mobilisent déjà sur ces sujets, cette communication sur les emplois, et particulièrement ceux qui sont disponibles sur les territoires, parce que les femmes sont souvent moins mobiles que les hommes. Il faut aussi se montrer précis en présentant un métier. Par exemple, évoquer le port de charge ne veut rien dire. Indiquer qu'il s'agira de porter 8kg avec des outils, voilà qui est plus clair. Parce que par exemple dans l'aide à la personne, en réalité, les femmes portent beaucoup !
QDF. Outre ce bilan, l'AFPA organise aussi des trophées « métiers pour elles ». QU'en attendez-vous ?
IP. D'une part, des rôles modèle permettent aux femmes de se projeter. D'autre part, nous voulions mettre en valeur des parcours de femmes qui ont réussi à trouver leur voie. Pour qu'elles expliquent ce qui a été simple ou complexe pour elles. Des éléments destinés à, au bout du compte, nous aider à voir comment nous pouvons mieux accueillir ces publics. Nous ne ferons pas tout tout seuls. Les entreprises, elles aussi, doivent accepter de les recruter. C'est une question d'égalité avant tout bien sûr. Mais cela comporte aussi des enjeux économiques. Comment se plaindre que des postes demeurent vacants en se privant de la moitié de l'humanité ?