Fragonard... comme un parfum d'innovation

Visiter la Fabrique des fleurs Fragonard, à Grasse, était l'une des trois propositions de voyages apprenants soumises aux participants de la 19e Université d'hiver de la formation professionnelle. Preuve que les choix d'orientation genrés ne sont pas réservés à Parcoursup, ce sont vingt-sept femmes et…, deux hommes - pouce en l'air au duo de l'Afdas -, qui se sont retrouvés au petit matin du 23 janvier sur les quais de gare maritime de Cannes pour une excursion dans l'univers de la parfumerie. Objectif : découvrir l'approche compétences d'une entreprise patrimoniale bientôt centenaire.

Modèle économique

Née en 1926 au cœur de la ville de Grasse, la marque Fragonard se révèle le témoignage vivifiant d'une innovation qui perdure, sans IA et sans gadget. Depuis 100 ans, le parfumeur prospère grâce à la géniale intuition du fondateur Eugène Fuchs, initiateur de la visite des ateliers de fabrication. Naissait ainsi un modèle économique fondé sur la proximité maximale avec la clientèle qui favorise la vente directe aux touristes. Aujourd'hui encore, la quatrième génération continue de travailler ce lien avec un réseau de trois usines, six musées et vingt-cinq boutiques. Affranchi des intermédiaires, l'entreprise vend sa production dans le monde entier à des prix compétitifs sans recourir à la délocalisation. À rebours d'une industrie qui se résout parfois à afficher fièrement une mention « Imaginé en France » sur une production originaire de Chine, Fragonard continue de se développer en local. « On était RSE avant que le terme ne soit inventé… », fanfaronne Lionel Farnarier, directeur du site de production. En témoigne les flacons en aluminium fabriqués par l'usine Tournaire implantée à 2,5 km de la Fabrique des fleurs, ou les terres horticoles récemment acquises à Saint-Matthieu au cœur de cette Côte d'Azur au foncier si rare, pour cultiver jasmin, rose centifolia, sauge sclarée et tubéreuse. La mondialisation leur a dit que c'était impossible alors ils l'ont fait. « Un vrai village gaulois… », s'amuse Éric Fabre, directeur du développement commercial des parfumeries Fragonard en poste depuis 26 ans.

Tradition et modernité

En déambulant dans les locaux de la Fabrique des fleurs, la délégation UHFP découvre comme le font chaque jour des dizaines de touristes des savoir-faire reconnus patrimoine culturel immatériel de l'humanité^{[ 1 ]}Obtenue en 2018, cette distinction reconnaît aux parfums de Grasse la maîtrise des trois savoir-faire : culture des plantes à parfum, connaissance du processus de transformation des matières premières et art de composer un parfum.. Dans cette usine créée en 1986, s'exposent les chaînes de production et le laboratoire où s'agencent après analyse les matières premières. Ici, la tradition voisine avec les technologies dernier cri. Vous pouvez tout autant contempler le personnel emballer à la main les savons tout juste produits sur une chaine semi-automatique que tenter d'assimiler les rudiments de la chromatographie et de la spectographie. Parce que le parfum est une expérience sensorielle, le passage en atelier est l'occasion de se revêtir des habits du « nez » pour créer, et emporter, 15 ml de sa propre composition.

Transmission générationnelle

Côté compétences, c'est là aussi un récit inhabituel qui se déroule. Avouons-le, les biais de l'écosystème UHFP - tout passe par la formation institutionnalisée et ses dispositifs réglementés -, sont quelques peu chamboulés. Un peu court en matière première tendance Fiches pratiques de la formation continue, on s'enquiert : « Vous avez peu évoqué les problématiques de formation, de transmission de compétences et de recrutement… » Regard placide et amusé du directeur commercial des parfumeries Fragonard : « vous savez, le bassin d'emploi de Grasse nous suffit, c'est assez générationnel, il n'est pas rare que les enfants de ceux qui ont travaillé ici nous rejoignent, c'est principalement de la formation sur le tas… » Lionel Farnarier n'en souligne pas moins que l'évolution très rapide du monde la parfumerie a entrainé une évolution des recrutements. « Quand je suis rentré il y a 30 ans, le service qualité était assuré par la personne qui dirigeait aussi les achats et la production ; aujourd'hui, ce côté multi-casquettes a tendance à disparaître au profit de créations de postes plus spécialisés. »

À la caisse

Comme dans les parcs d'attraction, le parcours s'achève par un passage en boutique. Redevenus touristes, les vingt-sept femmes, et les deux hommes, s'égayent d'un rayon à l'autre, heureux de repartir avec quelques notes de tête-cœur-fond qu'ils viennent d'apprendre à composer. 100 ans plus tard, le modèle économique n'a rien perdu de son acuité.