Copie d'écran de Pierre-Marie Lledo, neuroscientifique, directeur du département des neurosciences et du laboratoire « Perception et Action » à l’Institut Pasteur et du laboratoire « Gène et Cognition » au CNRS, le 17 décembre 2024 lors de la 2e édition du Carrefour de l'IA organisé par Comundi.

Pierre-Marie Lledo, neuroscientifique, directeur du département des neurosciences et du laboratoire « Perception et Action » à l’Institut Pasteur et du laboratoire « Gène et Cognition » au CNRS, le 17 décembre 2024 lors de la 2e édition du Carrefour de l’IA organisé par Comundi.

Intelligences humaine et artificielle : objectif complémentarité

Invité de la 2e édition du Carrefour de l'IA organisé par Comundi, le neuroscientifique Pierre-Marie Lledo prédit un avenir de coévolution pour les intelligences humaine et artificielle.

Par - Le 13 janvier 2025.

Alors que l'intelligence humaine doit désormais composer avec l'intelligence artificielle, les différences fondamentales qui les distinguent devraient nous amener à balayer l'idée d'une « guerre » des intelligences. En comprenant mieux les fonctionnements respectifs de notre cerveau et des algorithmes, nous devrions comprendre que l'avenir est davantage à la « complémentarité » qu'à la compétition, plaide Pierre-Marie Lledo, directeur du département des neurosciences et du laboratoire Perception et Action à l'Institut Pasteur et du laboratoire Gène et Cognition au CNRS.

S'adapter au changement

Qu'est-ce que l'intelligence ? Avant tout la somme des « forces mentales que nous convoquons pour nous adapter dès lors que nous percevons du changement. » D'où l'importance de l'apparition du cortex, qui va permettre à l'intelligence biologique de recevoir et traiter les informations venant du monde extérieur. Parce que l'intelligence biologique permet de « recevoir des informations et de les comprendre pour agir », elle est constitutive d'un « pouvoir d'adaptation aux événements disruptifs. » C'est cette forme d'intelligence qui a manqué à 80 % des espèces animales et végétales lors de la chute de la météorite responsable de la cinquième extinction de masse il y a environ 66 millions d'années.

Toutes proportions gardées, quelles menaces pèsent sur nous depuis le 30 novembre 2022, date de l'accessibilité grand public de l'IA générative Chat-GPT ? Pour répondre, Pierre-Marie Lledo commence par définir l'IA comme « un ensemble de théories et d'algorithmes qui imitent l'intelligence humaine. » Aujourd'hui encore fortement spécialisées et dévolues à des tâches spécifiques, ces IA pourraient devenir « générales », c'est-à-dire capables « d'apprendre à apprendre et de se dépasser au-delà d'une fonction particulière », dans un horizon de 3 à 15 ans.

Se nourrir du changement

Dans cette perspective, Pierre-Marie Lledo souligne que l'IA va prendre en charge de nombreuses fonctions comme l'analyse de données où l'aide à la décision. Dans le champ du travail, une vision pessimiste prédit la disparition massive d'emplois ; un versant optimiste mise plutôt sur la disparition de tâches, les plus fastidieuses, au bénéfice de la performance humaine qui peut se concentrer sur sa valeur ajoutée. À cet égard, le chercheur insiste sur la spécificité de l'intelligence humaine. Certes, un neurone humain assure la transmission de données à la vitesse de 30m/s quand un processeur atteint les 300 000 km/s. Mais plutôt que de regretter notre lenteur à traiter l'information, il nous faut plutôt comprendre que c'est cette caractéristique qui permet « l'enrichissement progressif de la pensée. » À rebours des « fulgurances » de la machine qui agit sans comprendre, notre lenteur nous permet d'enrichir progressivement et en permanence les informations reçues : « le cerveau se nourrit du changement et se détruit de la routine », formule Pierre-Marie Lledo. Faiblesse apparente, « l'incomplétude du cerveau humain » est notre salut.

Comprendre le changement

Sont aussi à l'actif de l'humain la capacité à se projeter dans le futur et à concevoir des scénarios, l'importance du sens et de la motivation dans le traitement de l'information et le rôle essentiel du « vagabondage mental » dans la créativité. « Quand on gère de l'information en temps réel, nous mobilisons très peu notre cerveau, juste des algorithmes », insiste le neuroscientifique. Aussi nous faut-il « éviter le piège d'agir sur le savoir sans le comprendre. » D'où un rôle fondamental pour l'éducation et la formation permanente : « développer des méthodes pour que notre cerveau conserve sa puissance inhibitrice » : il ne suffit pas d'être informé pour agir, il faut aussi prendre le temps de la compréhension.