Vers un contrôle renforcé des CFA 100% digitaux ?

Un amendement à la proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques adoptée par le Sénat le 2 avril 2025 prévoit le refus d'enregistrement d'un centre de formation d'apprentis (CFA) qui ne disposerait pas de locaux. Quatre autres amendements portant sur la formation professionnelle ont modifié le texte qui sera examiné en commission mixte paritaire début mai.

Par - Le 10 avril 2025.

La proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, présentée par le député Thomas Cazenave, a été adoptée, avec modifications, par le Sénat le 2 avril 2025 après l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier. Cinq amendements présentés par la sénatrice de Guadeloupe Solanges Nadille et 18 autres sénateurs (83, 84, 105) et par le Gouvernement (139, 140) introduisent des dispositions relatives au marché de la formation.

L'amendement 83 a pour objet d'empêcher le dépôt par les organismes de formation d'une nouvelle demande d'activité « en cas de faits particulièrement graves relevés par les services régionaux de contrôle (SRC) de la formation professionnelle de l'État au moment du dépôt de la déclaration d'activité ou au cours de l'activité de l'organisme et de permettre l'annulation de la déclaration d'activité d'un organisme ayant eu recours à des faux documents pour obtenir indûment des fonds de la formation professionnelle ».

Des établissements uniquement constitués à fins de fraude

Les sénateurs constatent que les SRC sont confrontés à « une augmentation des constats de faits délictueux et de non-respect des dispositions du Code du Travail ». Ces infractions sont « le plus souvent commises dans le champ de l'apprentissage par des établissements de droit privé constitués uniquement à fins de fraude, parfois sans même disposer de locaux leur permettant d'assurer réellement leur mission de formation et d'accompagnement des apprentis ». Ces faits n'empêchent pas un organisme qui s'est vu retirer son numéro de déclaration d'activité (NDA) de refaire une demande dès le lendemain.

Pour empêcher ces pratiques, les sénateurs porteurs de l'amendement 83 dotent les SRC d'un « pouvoir de police administrative » leur permettant de refuser à un organisme ayant fait l'objet d'un signalement pour faits frauduleux ou usurpation d'identité de déposer une nouvelle déclaration d'activité pendant quatre ans. Il leur permet également de refuser la demande de déclaration à un CFA qui « ne dispose pas de locaux lui permettant de justifier de sa capacité à réaliser des actions d'apprentissage ».

Le distanciel et les CFA 100% digitaux menacés ?

Pour autant, cet amendement menace-t-il la formation à distance et le modèle des CFA 100% digitaux ? « À première vue, l'amendement ne semble pas interdire l'enseignement à distance (l'article L. 6211-2 du CT n'est pas modifié), mais il impose tout de même la présence de locaux comme preuve de la capacité à dispenser des actions par apprentissage », décrypte Fouzi Fethi, responsable du pôle Droit et Politique de formation de Centre Inffo. Contactée, la sénatrice Solanges Nadille répond que l'objectif de l'amendement est la lutte contre la fraude. « Il n'a pas pour ambition de bousculer le fonctionnement des organismes de formation et des CFA », dit-elle. « Cette disposition permet de refuser l'enregistrement de la déclaration d'activité si l'organisme ne dispose pas de locaux lui permettant de justifier de sa capacité à réaliser les actions, mais ce n'est en aucun cas rédhibitoire, juste un motif supplémentaire. Il ne s'agit pas non plus d'exiger des compétences pédagogiques spécifiques. »

Pour Yves Hinnekint, le président de l'association Walt, « cet amendement va a priori dans le sens de ce qu'attendent les acteurs : une régulation du marché de l'apprentissage. Mais il mérite d'être approfondi car le diable se cache dans les détails. » Le délégué national de la Fnadir, Alain Margueritat est sur la même ligne : « Nous sommes favorables à tout ce qui va dans le sens d'une meilleure régulation du marché. En revanche, attention à ne pas s'attaquer au distanciel. Sur certains territoires, c'est la seule façon de rapprocher l'offre de formation des apprenants », dit-il. La commission mixte paritaire qui se réunira début mai permettra d'y voir plus clair sur cette disposition, si toutefois elle est conservée dans la version finale du texte de loi.

 

Les quatre autres amendements :

Amendement 84 : suspension du NDA d'un organisme de formation qui méconnaitrait ses obligations, et en cas d'indices sérieux de manœuvres frauduleuses (comme l'organisation de son insolvabilité), voire d'une opposition à contrôle (article additionnel après l'article 3 bis AB).

Amendement 105 : Renforcement de l'échange d'informations entre organes chargés de contrôler les intervenants du champ de la formation professionnelle (article additionnel après l'article 3 bis C supprimé).

Amendement 139 (Gouvernement) : Renforcement des contrôles de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) sur les personnes morales réalisant des missions de service public dans les champs du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (article additionnel après l'article 8).

Amendement 140 (Gouvernement) : Ouverture à différentes administrations d'une possibilité de saisine de la Caisse des dépôts et des consignations pour la suspension conservatoire des paiements au titre du compte personnel formation (CPF) (article additionnel après article 8).