L'apprentissage, une réforme à bout de souffle ?
Dans un contexte d'instabilité politique et de forte tension budgétaire, une nouvelle ère s'ouvre pour le marché de l'apprentissage. Conscients des enjeux de qualité et de financement, les CFA (centres de formation d'apprentis) interrogent leur modèle économique et rappellent leurs propositions pour réguler et pérenniser un système en quête de régulation.
Par Catherine Trocquemé - Le 09 septembre 2024.
Cette rentrée pourrait être la dernière d'une époque faste pour l'apprentissage. Les comptes publics virent au rouge avec un déficit anticipé à 5,6% du PIB loin de l'objectif initial de 5,1%. Remise en question des aides aux employeurs pour l'embauche d'apprentis, nouvelles réductions des niveaux de prise en charge des contrats, rien n'échappera à ce qui risque de ressembler à une cure d'austérité. Des pistes explorées et des économies chiffrées dans un rapport de l'Igas publié le 5 septembre dernier. La « lettre plafond » adressée par le gouvernement démissionnaire au ministère du Travail fin août prévoit une ponction de 600 millions d'euros dans les crédits 2025 de la rue de Grenelle dont 400 millions d'euros sur l'enveloppe de l'apprentissage. La nomination le 5 septembre de Michel Barnier, issu des rangs de la droite, au poste de Premier ministre devrait confirmer cette orthodoxie budgétaire. Après une première période de largesses dans les politiques publiques soutenant l'essor d'un marché de l'apprentissage libéralisé, une page semble bel et bien tournée. La question structurelle de soutenabilité financière du système et celle de la qualité des parcours annonçaient déjà une seconde période, plus exigeante pour les CFA. « Les CFA ont pris conscience que le modèle n'était pas pérenne », affirme Mathieu Guyot, fondateur et dirigeant du cabinet conseil MGA.
Quelle régulation pour le marché de l'apprentissage ?
Selon Julien Gondard, directeur général de CMA France, le tournant s'amorce dés 2022. « La réforme n'avait pas les moyens de son ambition. Dans ces conditions, la régulation parait inévitable. Mais elle doit être le résultat d'un pilotage stratégique et politique afin de répondre à des objectifs et des priorités clairement définis ». L'incertitude politique ouverte par la dissolution de l'Assemblée nationale en juin dernier a gelé le calendrier des concertations et du projet de loi sur la formation professionnelle initialement prévu pour amender et consolider la réforme de 2018. A ce moment clé pour le marché de l'apprentissage, les CFA s'inquiètent. « Nous avons besoin de visibilité », confirme-t-on à la Fnadir. Les représentants des acteurs acceptent le principe d'une régulation mais craignent un changement trop brutal des politiques publiques. Chacun rappelle ses positions. Du côté de CMA France, il faut revenir aux objectifs premiers de l'apprentissage, se concentrer sur les niveaux 3 à 5 et cibler les aides aux employeurs en fonction de la taille des entreprises. La Fnadir en appelle à un système de fixation des niveaux de prise en charge simplifié à partir d'un financement de base et d'un complément en fonction des politiques prioritaires des branches professionnelles. Tous se disent favorables à une régulation par la qualité et prêts à répondre aux nouvelles exigences des contrôles réalisées par les Opco dont les prérogatives ont été renforcées .
Quel modèle économique pour les CFA ?
Reste un défi à relever pour les CFA dont les modèles économiques reposaient, depuis la réforme de 2018, sur le nombre d'apprentis – un contrat, un financement - et donc le développement de leurs sessions. « Les mentalités changent. De nouvelles stratégies voient le jour autour de logique de filières, des promotions sur-mesure, la participation à des appels à projets, la différentiation par la qualité ou encore l'instauration d'un reste à charge », précise Mathieu Guyot. Au-delà du retrait attendu des finances publiques, le marché devenu très concurrentiel pourrait avoir atteint un plateau. A la Fnadir, on note un retournement de la conjoncture. « Les CFA sont de plus en plus confrontés à des problématiques de sourcing d'apprentis ». Dans le réseau de CMA France, les CFA bénéficient d'un pilotage régional et d'une politique de gestion harmonisée. L'heure est désormais à la recherche de nouvelles stratégies de développement et d'optimisation des coûts. « Nous explorons des pistes autour de la digitalisation de l'offre, la mise en place de l'Afest dans les entreprises ou encore de la coopération avec l'Education nationale pour se rapprocher des lycées professionnels », précise Julien Gondard.