Maxime Dumont (CFTC) préconise un contrat d'alternance unique
Que reste-t-il des principes des lois de 1971 ? Quelles ruptures après la réforme de 2018 ? Quelles perspectives se dégagent de ces 50 ans d'évolutions du dispositif de la formation professionnelle ? Plusieurs personnalités et experts du secteur de la formation professionnelle apportent leur éclairage sur ces questions. Décryptage avec Maxime Dumont, conseiller confédéral CFTC, chef de file formation professionnelle et apprentissage.
Par Laurent Gérard - Le 09 juin 2021.
Le Quotidien de la formation - Que doit-on à la loi Delors?
Maxime Dumont - L'ANI (accord national interprofessionnel) du 9 juillet 1970 signé par toutes les organisations syndicales acte la création d'un congé individuel de formation. La loi de 1971 crée un droit pour les salariés à prendre un congé pour suivre une formation, la participation obligatoire des entreprises au financement de la formation, la collecte et la mutualisation des contributions des entreprises au sein des FAF (Fonds d'assurance formation) et des ASFO (association de formation), et a crée un recours à la formation pour les salariés licenciés économiques.
Déjà à cette époque, plusieurs thèmes préoccupaient les organisations syndicales et tout particulièrement la CFTC : former des jeunes qui sortent de l'Education nationale sans formation, compléter les formations des salariés dans les entreprises, bien financer la formation, développer le dialogue social en entreprise sur la formation… Ces thèmes sont toujours d'actualité !
QDF - Où en est-on aujourd'hui?
M. D. - La réforme de 2018 a été un séisme, un accouchement dans la douleur. Une étatisation de la formation professionnelle qui ne rend pas les choses plus simples, contrairement au but annoncé. Il faut du temps pour comprendre, tout n'est pas encore pacifié.
Parmi les bons côtés : l'apprentissage qui est le grand gagnant de la réforme, y compris dans son développement européen via Erasmus ; le financement du compte personnel de formation et son application rencontrent leur public après des débuts poussifs ; l'entretien professionnel est une opportunité d'introspection pour l'entreprise et le salarié… Parmi les bonnes choses, je mets aussi la transformation des Opca en Opco pour la politique interbranche : ils deviennent plus régulateurs que financeurs, c'est à France compétences désormais de trouver le financement, notamment sur l'apprentissage.
Parmi les côtés négatifs : la monétarisation du CPF qui de fait a diminué de 50 % les possibilités de formation du CPF ; le financement de l'effort formation des entreprises de 50 à 250 salariés ; la sous-utilisation du conseil en évolution professionnelle par les salariés mais également par les entreprises ; et le manque criant de formation des DRH et comptables sur cette réforme.
Après le choc du big bang et de l'étatisation, les partenaires sociaux ont réagi. Mettons à leur crédit : Certif' Pro qui devient un acteur incontournable, développant CléA, CléA numérique et CléA managers ; TransCo, intégralement et unanimement porté par les partenaires sociaux et l'Etat ; mais aussi, via les Opco, la gestion du FNE (Fonds national de l'emploi) formation durant la crise sanitaire, l'intégration de l'apprentissage… Tout cela signe le retour en grâce des partenaires sociaux par la grande porte, qui se traduira -- je l'espère -- par un accord de méthode le 15 juillet à l'issue des rencontres de l'agenda autonome confié par le Premier ministre, et pourquoi pas un nouvel ANI.
QDF - Que faire désormais ?
M. D. - Sur le point particulier de l'apprentissage, il faut aboutir à un seul contrat d'alternance. L'apprentissage a crû de 50 %, mais les contrats de professionnalisation ont chuté de 48 %. Bilan net : +7 %.
Plus largement, trois pistes. La première : co-construire et co-abonder autour du CPF, qu'on devrait renommer « CPF professionnel » pour insister sur la logique de co-construction en entreprise. Aujourd'hui, c'est un fiasco, la logique des quatorze abondements possibles au CPF est incomprise des entreprises. Les branches, elles, sont frileuses alors que c'est leur seul levier, avec Pro-A : elles doivent négocier des accords d'abondement. Enfin, l'outil de gestion de la Caisse des dépôts et consignations doit s'améliorer. Cette co-construction doit être assortie d'un accompagnement, et certains salariés ont besoin d'être plus soutenus que d'autres. Faut-il préciser que, dans notre esprit, cette co-construction n'a pas pour but de faire capter le CPF par les entreprises au détriment du salarié ? Cette co-construction nécessite un changement de mentalité et de pratique.
D'où la deuxième piste : faire de la formation un objet du dialogue social en entreprise avec les IRP (institutions représentatives du personnel) et les salariés. On est très en retard sur cette idée. Hier, la formation était le pré carré du chef d'entreprise. Aujourd'hui, c'est une clé majeure de la compétitivité, donc de la stratégie d'entreprise : les IRP doivent être parties prenantes. Le plan de développement des compétences gagnerait à être négocié en CSE pour mieux partager les objectifs et les moyens. Mais une enquête de la CFTC réalisée mi-avril / début mai fait apparaitre sans ambiguïté que les CSE et les IRP en général n'abordent pas la formation comme un sujet stratégique et de développement, ou à la marge.
D'où, enfin, la troisième piste : mettre en avant l'entretien professionnel. Les entreprises ne doivent pas l'appréhender comme une seule obligation légale sanctionnable, mais comme un échange afin que toutes les parties réfléchissent aux parcours de formation possibles, et alimentent les réflexions sur le plan de développement des compétences. Et pourquoi pas avec l'aide des CEP (conseillers en évolution professionnelle) ? Là encore, l'enquête CFTC démontre que, dans 100% des cas, lorsque l'entretien a lieu la formation est abordée !
Toutes ces pistes -- mais aussi les gains de productivité possibles par la VAE (validation des acquis de l'expérience), l'Afest (action de formation en situation de travail), l'alternance -- visent à répondre au problème de sous-financement chronique de la réforme et aux 3,9 milliards de déficit de France compétences. Mais échappera-t-on à un débat sur le niveau de cotisation ?
Michel Beaugas (FO) dénonce un « sous-financement » de la formation professionnelle