Entretien avec Lydie Nègre, vice-présidente de la Fédération de la formation professionnelle

“Le temps de travail des formateurs doit être déterminé pour chaque action"
La négociation des partenaires sociaux sur l'aménagement du temps de travail des formateurs des catégories D et E est pour l'instant bloquée. La présidente de la délégation patronale au sein de la commission mixte paritaire qui négocie sur le temps de travail des formateurs [[Lydie Nègre est PDG de l'organisme de formation Langues et entreprises. Elle est aussi présidente de la commission sociale de la FFP, présidente de la CPNEF (Commission paritaire nationale emploi-formation), vice-présidente de la CPN (Commission paritaire nationale) chargée de l'interprétation de la convention collective.]] expose son point de vue.

Par - Le 01 janvier 2010.

Pourquoi vouloir changer le temps de travail des formateurs ?

La répartition du temps de travail des formateurs D et E repose sur la définition de la convention collective signée en 1988. Or, en vingt ans, la profession a considérablement évolué et les dispositions de la CCNOF ne sont plus adaptées aux changements de notre environnement. En effet, le marché de la formation connaît d'importantes évolutions qui se sont encore accélérées récemment. Comme, par exemple, le développement du blended learning, modalité incontournable aujourd'hui, ou encore la très forte pression sur les prix imposée par l'arrivée des acheteurs et de nouveaux prestataires délocalisés.

Dans ce nouveau contexte, nous sommes confrontés en permanence à des paradoxes tels que dispenser une formation de masse tout en l'individualisant. Tous ces changements impactent fortement le métier de formateur.
Pour étayer ces réflexions, nous nous sommes par ailleurs appuyés sur les résultats de l'enquête [ 1 ]L'enquête de la branche a pris en compte 278 réponses réparties sur 131 organismes de formation, dont 47 % œuvrant dans l'insertion et 25 % dans le domaine linguistique langues, deux secteurs où les formateurs des catégories D et E sont les plus représentés. que la Commission mixte paritaire avait commanditée sur ce thème en 2008 à l'Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche. Cette étude a notamment mis en exergue une double tendance d'évolution : un déplacement du cœur de métier de l'acte de formation vers plus d'accompagnement, d'évaluation en amont et en aval, et une grande tendance des organismes, pour répondre aux exigences des acheteurs, à dissocier la conception des contenus pédagogiques de leur animation. Dans beaucoup d'organismes, une direction des programmes élabore les contenus que les formateurs dispensent ensuite. Par ailleurs, le métier de formateur est de plus en plus exigeant et présente désormais de multiples facettes qui font appel à des poly-compétences (formation, accompagnement, etc.). Enfin, l'enquête a mis en évidence une inadaptation de la convention collective aux différents temps de travail des formateurs, ainsi que des pratiques de gestion des temps très différenciées selon les structures : certaines respectent le ratio (voir encadré), d'autres l'aménagent, d'autres encore le pratiquent avec des écarts variant de 90/10 à 60/40.
Afin de nous projeter dans l'avenir, nous avons posé un postulat de départ : raisonner sur de nouvelles bases et changer de logique sans nous appuyer sur les schémas anciens. Nous avons donc souhaité aborder autrement les différents temps de travail des formateurs d'aujourd'hui en nous projetant demain, avec le souci de développer leur professionnalisation et leurs poly-compétences.

Comment s'est déroulée la négociation ?

La négociation a bien débuté. Nous l'avons préparé pendant deux ans en groupe de travail paritaire, puis nous avons conclu avec nos partenaires sociaux le 27 avril dernier un accord de méthode relatif à la restructuration et à la réactualisation de la convention collective des organismes de formation. _ Celle-ci a été un élément très structurant du secteur, mais elle a peu évolué depuis sa mise en place en 1989 et le “toilettage" de 1999 ne suffit plus aujourd'hui. Le ratio, forfaitaire, ne permet pas de définir correctement les différents temps de travail du formateur, alors que la répartition du temps de travail peut fortement varier selon l'organisme ou l'action de formation concerné. Le ratio actuel manque par ailleurs d'équité, car il est standardisé et ne correspond pas au travail réel du formateur.

La FFP a souhaité un accord “gagnant-gagnant". Par exemple, elle a proposé aux formateurs cinq jours de professionnalisation dans l'année pour répondre à leur demande d'évolution de carrière. Il s'agit d'un droit nouveau et spécifique pour les formateurs. Elle a aussi proposé que les temps de déplacement pendant la journée, ainsi que les trajets longue durée du matin et du soir, soient pris en compte et indemnisés. Pour répondre à certaines craintes des formateurs, elle a limité le temps annuel de présentiel en salle à 1 350 heures, avec des recommandations de la branche pour assurer le contrôle et le suivi de l'organisation du temps de travail des formateurs.
Alors que l'état d'esprit était plus à la co-construction qu'à l'affrontement, et que chaque point avait été validé, nous avons eu la surprise d'apprendre par la presse que les organisations syndicales ne signeraient pas l'accord. Je m'interroge sur les véritables intentions des syndicats et leur réelle envie de négocier. Un simple aménagement du ratio n'apportera rien aux formateurs. Il est de notre responsabilité de préserver le métier de formateur tel qu'il existe aujourd'hui et tel qu'il est appelé à évoluer.
Aujourd'hui, la FFP propose de redéfinir, afin d'individualiser, la répartition du temps de travail du formateur, de permettre aux organismes d'acquérir la souplesse nécessaire à leur adaptation à l'évolution des demandes, tout en se dotant d'instruments de suivi dans un esprit de professionnalisation et de qualité.

Notes   [ + ]

1. L'enquête de la branche a pris en compte 278 réponses réparties sur 131 organismes de formation, dont 47 % œuvrant dans l'insertion et 25 % dans le domaine linguistique langues, deux secteurs où les formateurs des catégories D et E sont les plus représentés.