Comment aborder la “transférabilité des compétences" : l'analyse de Vincent Merle
Par Mikaël Faujour - Le 01 avril 2011.
Intervenant le 10 mars dernier lors d'un “Jeudi de l'Afref" sur les compétences et leur transférabilité d'un secteur professionnel à un autre, Vincent Merle a plaidé pour un usage renouvelé de la VAE, conçue dès l'origine pour accompagner la mobilité. Du reste, la “compétence" est-elle la capacité à agir dans une série de situations typiques, ou bien l'expression de la capacité d'adaptation des individus ? Argumentaire.
Si le terme de “portabilité" est assez récent, la notion qu'il recouvre, explique Vincent Merle, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), remonte aux années 1980. L'on parlait alors de “transférabilité" ou de “transversalité". Il s'est agi de prendre en compte une réalité de l'emploi, la mobilité. Vincent Merle rappelle que c'est en tant que passeport pour la mobilité qu'a été pensée la VAE. Francis Mer[ 1 ]Alors chef de la délégation patronale (au titre du Medef) chargée de la négociation sur la formation professionnelle dans le cadre des Assises de la refondation sociale (2000-2002). considérait en 2001 que la pérennité du lien d'emploi ne se poserait plus comme par le passé : la sécurité du modèle consistant à entrer et rester durablement (parfois toute une vie) au sein d'une entreprise, n'est plus. Les entreprises se créent ou font faillite ; leurs activités évoluent, délocalisent parfois. Aussi, la mobilité – interne ou externe – est-elle devenue un critère déterminant de l'emploi.
Les entreprises, indique Vincent Merle, doivent avoir le souci de développer les compétences de leurs salariés, lesquelles constituent un passeport pour évoluer dans le monde de l'emploi. Initialement réticent, le Medef considérait les compétences comme propres à l'entreprise dans laquelle évolue le salarié et non passibles d'une validation par un titre ou un diplôme. La crainte était de voir les “validés" faire part de nouvelles exigences salariales ou bien de quitter leur entreprise. Cependant, le Medef a finalement accepté la VAE, reconnaissant l'intérêt que représente ce dispositif dans le cadre élargi du monde de l'emploi.
QUELLES COMPÉTENCES SONT “TRANSVERSALES" ?
Vincent Merle cite l'anecdote d'un ouvrier “mayonnaisiste", cas d'hyper spécialisation qui semble laisser deviner un problème d'inadaptation à d'autres emplois. Or, la question ne se pose pas tant en termes de qualification qu'en termes de compétences – gestuelle, mentale, managériale ou organisationnelle. Ainsi, éclaire-t-il avec l'exemple d'ouvriers boulangers reconvertis comme ouvriers dans la pétrochimie, leur transférabilité étant basée sur une aptitude à travailler en trois huit.
Deux manières d'aborder les compétences
Faisant référence au sociologue Bernard Rey, Vincent Merle souligne qu'il existe deux manières d'aborder les compétences et leur transférabilité.
La première consiste à considérer la compétence comme capacité à agir dans une série de situations typiques, de manière autonome et efficace. Une considération prise en compte par les baccalauréats professionnels, davantage construits dans l'optique de transférabilité qu'auparavant, et non plus liés à une gamme de travaux “étroits" (repasseuse à la main, ouvrier de pépinières de fruits rouges, etc.). Vincent Merle souligne qu'il existe aujourd'hui un rapprochement de métiers ayant une “parenté", bien que dans des secteurs professionnels différents. Par exemple, la maîtrise de machines.
La seconde manière d'aborder la compétence consiste à considérer que celle-ci n'est pas différente de ce que le sociologie Pierre Bourdieu nomme “habitus", c'est-à-dire au-delà des dites situations, par exemple la capacité d'adaptation d'un individu ou la “convertibilité" de capacités mentales. Vincent Merle étaye en évoquant le cas de personnes ayant poursuivi des études de mathématiques. Si elles ont rarement l'occasion de mettre en application les mathématiques, la compétence dont elles disposent se situe à un autre niveau : l'aptitude à modéliser des situations. Bien entendu, souligne-t-il, la motivation est, elle aussi, un facteur clé permettant de réinvestir les compétences et capacités dans un nouvel emploi. C'est dans le cadre de cette “seconde manière" qu'il évoque la refonte du Répertoire opérationnel des métiers (Rome) par l'ANPE puis Pôle emploi, visant à prendre en compte la mobilité professionnelle et géographique (les “aires de mobilité") au-delà des seules considérations de qualification, c'est-à-dire, plus largement, en termes d'aptitudes transversales, qu'elles soient techniques, gestuelles, relationnelles et/ou mentales. En outre, le terme “compétence", dans son usage commun, renvoie à un contexte auquel celle-ci est liée. Théoriquement, il n'y a pas de portabilité, car le contexte change. Mais l'environnement de travail, la façon de coopérer sont à prendre en compte dans la transférabilité.
La VAE pour “faciliter" la mobilité
Cependant, considère Vincent Merle, si la VAE atteste des compétences et aptitudes dans un métier donné, elle ne constitue pas nécessairement un passeport pour un nouvel emploi. Souvent, les employés ont des difficultés à trouver le diplôme qui leur convient. La VAE n'est donc pas cet instrument qui permet de décloisonner les milieux et de se déplacer librement dans le monde professionnel. Néanmoins, l'exercice consistant à valider les acquis est un moyen de facilitation de la mobilité. Il permet notamment à un candidat à la VAE qui sait faire beaucoup de choses de prendre conscience d'aptitudes et connaissances dont il ignorait qu'elles pussent être exploitées. Cette démarche facilite donc une prise de conscience et de confiance en soi, renforçant donc l'“intentionalité". C'est ainsi que la VAE ouvre à un individu le spectre de ses possibilités.
Voir aussi notre article.
Notes
1. | ↑ | Alors chef de la délégation patronale (au titre du Medef) chargée de la négociation sur la formation professionnelle dans le cadre des Assises de la refondation sociale (2000-2002). |