La formation à l'anglais met la langue maternelle au goût du “who ?"

Par - Le 01 novembre 2012.

L'originalité des formateurs aux langues, surtout anglaise, est que la plupart évoquent des sujets qui suscitent des débats actuels ou à venir chez certains francophones : “Les Français exportent moins parce qu'ils ne parlent pas l'anglais !" ; “Aujourd'hui, sans l'anglais, vous n'existez pas !" ; ou, “Pour dissuader les abandons de formation, il faudrait instituer le principe de chèque de caution de 10 % !"
Il y a aussi ce rappel fait à L'Inffo, le 2 octobre dernier lors d'une conférence de presse par Natanaël Wright, président de Wall Street Institute France : “Un des avantages pédagogiques de WSI est que nous privilégions, pour l'embauche des formateurs, des personnes de langue maternelle anglaise." En effet, avait-il insisté, “nos formateurs sont exclusivement de langue maternelle anglaise, diplômés pour l'enseignement de l'anglais et formés à la méthode Wall Street". En clair : “Malgré ses compétences techniques et pédagogiques, une personne d'origine française, bien qu'ayant vécu dans un pays anglophone et maîtrisant parfaitement l'anglais ne pourra assurer des actions de formation dans un centre de WSI." Et, “cela ne veut pas dire que techniquement elle ne puisse pas enseigner, mais pas chez WSI", avait ajouté Natanaël Wright. Qui avait justifié une telle préférence par “un souci de crédibilité de positionnement" de son organisme. Argument commercial, pour les uns, scandale et hégémonie anglo-saxonne pour certains, et réalisme fataliste, pour les autres.

“Inacceptable !"

Certaines organisations “francophiles", telles que l'association Défenseurs de la langue française (DLF) [ 1 ]Association créée en 1958. , jugent une telle “préférence linguistique discriminatoire". Car, s'insurge cette dernière, “il n'y a pas que ceux qui sont de langue maternelle anglaise qui puissent être aptes à assurer des actions de formation dans cette langue. Dès lors qu'ils sont compétents, les Français ou les francophones doivent avoir le droit de former en anglais dans des centres qui sont situés sur le territoire français !" Pour Jean-Loup Cuisiniez, expert des questions linguistiques au travail, “c'est le marché qui veut que les formations en anglais soient assurées par des formateurs de langue maternelle anglaise. Cela fait partie des exigences des clients. Mais bien sûr, le marché des langues devrait s'ouvrir au formateurs qualifiés de l'Union européenne". Lui qui lutte, depuis plusieurs années, contre la discrimination contre la langue française aussi bien en France qu'à l'étranger [ 2 ]Intervenant au premier Forum mondial de la langue française à Québec, en juillet 2012. Il était également intervenant au colloque organisé le 25 septembre 2012 par le British Council de Paris et l'Observatoire européen du plurilinguisme sur “Le multilinguisme est-il une richesse pour la société, ou mène-t-il à la cacophonie ?, déplore : “Depuis deux décennies, les élites n'ayant eu de cesse de promouvoir l'anglais comme seule langue dans tous les domaines, les esprits sont conditionnés et formatés au besoin impératif de l'anglais. La dernière publicité d'un organisme de formation de langues privé [Wall Street Institute] affiche en anglais que « Sans l'anglais, vous n'existez pas » [ 3 ] “Without english, it's like you are not there !"  !" Un formateur Franco-britannique, qui a souhaité garder l'anonymat [ 4 ]Il est le seul, par les nombreux formateurs à l'anglais sollicités, à avoir accepté de donner son avis. , avoue sa “gêne par rapport à cette préférence revendiquée de ces organismes de formation pour des formateurs nés anglo-saxons". Philippe Incagnoli, directeur marketing de WSI, est catégorique. “Ce n'est pas une volonté de notre part [d'être exclusifs]. C'est une contrainte imposée par le groupe au niveau international, qui tient compte de nos critères pédagogiques. Nous n'avons pas l'autorisation d'embaucher des formateurs qui ne soient pas de langue maternelle anglaise..."

No discrimination

Comme nombre de ses collègues et concurrents, le président de WSI soutient que cette méthode n'est aucunement “contraire au Code du travail. Il n'y a pas de préférence à la nationalité ! Mais nous prenons soin de recruter des personnes n'ayant pas d'accent français".

Dans ses offres d'emploi, l'organisme précise rechercher des formateurs ayant “séjourné dans un pays anglophone" ou “de langue maternelle anglaise". Selon Natanaël Wright, cette restriction est en vigueur partout, même en Chine, où l'organisme de formation ne recrute pas d'enseignants chinois, mais “exclusivement" d'origine anglaise, australienne ou “américaine" (des États-Unis d'Amérique). “Si on se réfère à la loi Toubon, on ne peut pas affirmer qu'il y a discrimination si le contrat de travail est rédigé dans la langue du salarié et qu'il n'y est pas exigé expressément que la condition requise pour postuler est la langue maternelle anglaise", nuance Jean-Loup Cuisiniez.
D'ailleurs, la Cour d'appel de Chambéry, avait, dans un jugement du 9 juin 2011 [ 5 ]CA Chambéry 9 juin 2011 n° 10-2311, ch. soc., Robin T. c/ Sté Factory mutual insurance compagny limited. , affirmé que “la mention « langue maternelle française » dans une offre d'emploi peut ne pas être discriminatoire". Car, selon les juges, “les termes native french speaker, qui se traduisent par de langue maternelle française, posent comme critère celui du langage parlé et transmis dès la naissance, lequel, réputé être de ce fait la langue la plus parfaitement assimilée par l'individu dans toutes ses composantes et subtilités, constitue une exigence professionnelle déterminante et essentielle en matière de recrutement".

Pour le consultant Jean-Pierre Willems, “il importe de rester vigilant lorsque des thèses essentialistes sont proférées sur le ton de l'évidence". Car, “la compétence est un acquis et non un attribut". Pour l'expert en droit de la formation, on peut, bien que de langue maternelle étrangère, être compétent dans une langue, voire l'enseigner. Peu importe. Pour Jean-Loup Cuisiniez, “le simple fait de soutenir, même pour des raisons commerciales, que les formateurs sont exclusivement de langue maternelle anglaise ouvre la voie à la discrimination. Sont exclus de facto les citoyens européens non anglophones qui, bien que compétents sur le plan pédagogique, se voient fermer le secteur de la formation à l'anglais. Il faut retirer cette clause abusive et discriminatoire".

La question de “la qualité pédagogique"

“Le choix de n'embaucher que des formateurs de langue maternelle anglaise nous est imposé par notre méthode pédagogique. Laquelle nous permet de garantir la qualité de notre offre", insiste Philippe Incagnoli, directeur marketing de WSI. Précisant que le concept pédagogique de son organisme de formation (la méthode “WSI Flex") [ 6 ]WSI Flex est une combinaison de cours en face-à-face (cours de validation des acquis, cours de conversation, ateliers spécialisés) et multimédia (en centre ou en e-learning). “consiste à apprendre l'anglais de la même façon que nous avons appris notre langue maternelle : en parlant dans un premier temps, puis une fois les sons maîtrisés, en écrivant, et enfin seulement, en étudiant la grammaire. Notre méthode pédagogique est celle de l'immersion totale".

Pour WSI, comme pour l'ensemble des organismes de formation à l'anglais, le “native english speaker" serait un gage d'une formation de qualité. Mais pour certains spécialistes du domaine, cet argument est moins pertinent que... commercial. En effet, explique Andrew Wickham, consultant au cabinet Linguaid et co-auteur d'études sur la formation linguistique (L'Inffo n° 811, p. 21), “ce qui garantit la qualité d'une formation linguistique, c'est moins l'origine maternelle du formateur que ses compétences pédagogiques !" Selon lui, un formateur non anglo-saxon ayant une bonne maîtrise de l'anglais et disposant d'une bonne pédagogie peut bien, voire mieux, enseigner cette langue que des anglophones sans aucune formation pédagogique.

Un discours que soutient Jean-Loup Cuisiniez, qui, sans nier le rôle que peut jouer la culture du formateur dans l'acte de transmission d'une langue, reste convaincu qu'“un formateur n'est efficace que par ses compétences pédagogiques". L'expert des questions linguistiques au travail, qui a été également formateur à l'allemand en Espagne, demande que l'on “se réfère plutôt au Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) [ 7 ]Élaboré grâce à une recherche scientifique et une large consultation, le CECRL (ou CECR) est un instrument permettant d'établir les éléments communs à atteindre lors des étapes successives de l'apprentissage de langues vivantes. Il est aussi un instrument de “comparabilité" internationale des résultats de l'évaluation. Il permet de mesurer les progrès de l'apprenant à chaque étape de l'apprentissage et à tout moment de la vie., qui tient compte des objectifs visés par les formations et les niveaux de compétences requises".

Justement, “une étude réalisée par l'Université de Cambridge a démontré que notre méthode, WSI Flex, est une vraie méthode aux résultats alignés sur le CECR", soutient, de son côté, Natanaël Wright. Ainsi donc, “nos actions de formation continue visent à professionnaliser nos formateurs à la méthode WSI Flex et aux outils pédagogiques innovants". Par ailleurs, dans le cadre de sa politique d'expansion en France (par la franchise), WSI a mis en œuvre des actions de formation destinées principalement à ses commerciaux afin que ceux-ci, précise Philippe Incagnoli, “maîtrisent bien les avantages de notre méthode pédagogique et sachent les expliquer à nos clients". De plus, WSI prend en charge la formation de trois personnes dans chacun de ses centres franchisés (le responsable du centre et deux responsables pédagogiques). “Ces formations sont assurées tous les mois au sein de notre académie. En 2011, outre les formations proposées en interne par les centres franchisés en faveur de leurs propres salariés, nous avons formé au total 200 personnes sur les 800 que comptent WSI France", indique Natanaël Wright, dont l'organisme fête cette année ses quarante ans d'existence et s'apprête à s'appeler “Wall Street English". Comme en Chine.

La loi Toubon

Du nom de Jacques Toubon, ministre de la Culture et de la Francophonie de 1993 à 1995, la loi nº 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dans des entreprises, intégrée au Code du travail, a rendu obligatoire le français notamment dans les contrats de travail (exécutés en France ou à l'étranger) et les offres d'emploi publiées dans les journaux, revues ou écrits périodiques, pour des services à exécuter en France (quelle que soit la nationalité de l'entreprise) ou pour des services à exécuter à l'étranger si l'entreprise est française.

Wall Street Institute appartient depuis septembre 2010 au groupe britannique Pearson education. L'enseigne compte 440 centres dans le monde, répartis dans plus de 27 pays, pour environ 160 000 stagiaires. En France, deuxième pays du monde pour le groupe, WSI revendique un chiffre d'affaires de plus de 42 millions d'euros fin 2011, compte 25 000 stagiaires formés chaque année et un effectif de 800 collaborateurs. Son réseau est constitué de 65 centres de formation et “prévoit l'ouverture de 100 centres supplémentaires en France dans les dix prochaines années", selon son président.

Question à Stefan Wheaton, président de Citylangues et président de la commission langues de la FFP

“Des formateurs presqu'exclusivement de langue maternelle, ce n'est pas une discrimination, mais un choix par les compétences"

Est-ce une pratique courante dans les organismes de formation en anglais de préférer des formateurs de langue maternelle anglaise ?

Dans les centres de formation de langues, les formateurs sont presqu'exclusivement de langue maternelle. Ceci n'est pas une discrimination, mais un choix par les compétences. Les organismes de formation ne disent pas préférer les formateurs de telle ou telle nationalité. Nombre de formateurs non anglo-saxons, mais de langue maternelle anglaise, justifient de compétences nécessaires pour assurer des formations dans cette langue. Certains, parce que nés de parents anglo-saxons et élevés en France, donc bilingues, peuvent, s'ils ont des capacités pédagogiques avérés, être formateurs en anglais.

Alors, un anglophone (Sud-africain, par exemple) n'étant pas
de “langue maternelle anglaise", peut-il enseigner ?


Il faudrait, peut-être, affiner cette mention. Dire de “langue maternelle anglaise" ne signifie pas avoir une mère anglophone. Nous voulons dire que l'anglais n'est pas mieux enseigné par une personne qui l'a appris elle-même à l'école. Quelle que soit la durée de la pratique après avoir appris une langue à l'école, il n'est pas sûr que l'on ait les mêmes compétences qu'un natif pour l'enseigner. Il faut plutôt avoir été imprégné par l'acquisition de cette langue et par l'apprentissage depuis l'enfance. Nous faisons le “distinguo" entre une personne de mère non-anglophone ayant grandi et qui a fait toute sa scolarité en anglais, en Afrique du Sud par exemple, et une autre qui a appris cette langue dans un lycée en France ou dans un pays francophone. La première, bien que n'étant pas de langue maternelle anglaise (mais l'ayant comme langue “naturelle"), peut enseigner si elle justifie de compétences requises.
Il ne s'agit aucunement d'un refus de recruter des formateurs francophones, mais de rappeler qu'en général, les anglophones forment mieux à la langue anglaise qu'à la langue française.

Quelles sont, selon vous, les avantages pédagogiques d'une préférence pour la langue “naturelle anglaise ?

Les avantages sont multiples. L'une est qu'une personne ayant pratiqué une langue depuis sa naissance peut, lors d'une formation, donner des subtilités à des stagiaires ou des élèves issus d'autres nationalités (tournures idiomatiques, humour, rédaction, etc.). Ces subtilités et les notions culturelles du pays d'origine, etc., sont importantes dans l'apprentissage d'une langue étrangère. Et puis, quand il s'agit de transmettre une langue, nous pensons que les considérations pédagogiques doivent être sérieusement prises en compte.

Propos recueillis par K. B.

Notes   [ + ]

1. Association créée en 1958.
2. Intervenant au premier Forum mondial de la langue française à Québec, en juillet 2012. Il était également intervenant au colloque organisé le 25 septembre 2012 par le British Council de Paris et l'Observatoire européen du plurilinguisme sur “Le multilinguisme est-il une richesse pour la société, ou mène-t-il à la cacophonie ?,
3. “Without english, it's like you are not there !"
4. Il est le seul, par les nombreux formateurs à l'anglais sollicités, à avoir accepté de donner son avis.
5. CA Chambéry 9 juin 2011 n° 10-2311, ch. soc., Robin T. c/ Sté Factory mutual insurance compagny limited.
6. WSI Flex est une combinaison de cours en face-à-face (cours de validation des acquis, cours de conversation, ateliers spécialisés) et multimédia (en centre ou en e-learning).
7. Élaboré grâce à une recherche scientifique et une large consultation, le CECRL (ou CECR) est un instrument permettant d'établir les éléments communs à atteindre lors des étapes successives de l'apprentissage de langues vivantes. Il est aussi un instrument de “comparabilité" internationale des résultats de l'évaluation. Il permet de mesurer les progrès de l'apprenant à chaque étape de l'apprentissage et à tout moment de la vie.,