13 % des fonds pour les demandeurs d'emploi : est-ce suffisant ? Qui en bénéficie ?

Par - Le 01 novembre 2013.

Les financements destinés à la formation des
demandeurs d'emploi représentent 13 % de la dépense
de formation professionnelle continue. Est-ce trop ? Pas
assez ? Retour sur la controverse.
Selon l'annexe au projet
de loi de finances 2013,
en 2010, 13 % de la
dépense professionnelle
continue, soit
4 milliards d'euros,
étaient consacrés à la
formation continue des
demandeurs d'emploi (7
milliards d'euros pour la
formation professionnelle
dans son ensemble,
incluant la formation
initiale).

Lors de son déplacement
à Blois le 4 mars 2013,
François Hollande a
posé la question de
l'efficience des fonds :
“Que dire de notre système de formation professionnelle
? D'abord, il représente 32 milliards d'euros. C'est
important. (…) Il est cloisonné, chacun restant dans ses
compétences et parfois faisant doublon, et puis il est inégalitaire.
(…) L'offre de formation est trop concentrée sur les
salariés qui eux-mêmes sont souvent les plus hauts dans la
hiérarchie sociale, et insuffisamment sur les demandeurs
d'emploi. Les demandeurs d'emploi, les chômeurs représentent
13 % de la dépense totale de formation, alors
qu'on pourrait se dire que c'est vers eux qu'il faudrait faire
l'effort le plus important, et pas simplement, même si c'est
nécessaire, pour adapter les qualifications des salariés qui
ont déjà un emploi."

Six mois plus tard, l'économiste Jacques Attali enfonce
le clou, affirmant la nécessité de consacrer au moins
10 milliards d'euros à la formation des demandeurs
d'emploi en France. “Tout va se jouer sur la question
de savoir quelle part des 32 milliards va basculer sur les
chômeurs. Pour moi, c'est le critère, a-t-il confié à Reuters.
Si on est en dessous de quatre à cinq milliards, ça sera un
échec."

“Absurdité totale" ?

Du côté d'une partie des experts de la formation professionnelle,
l'analyse diffère. Pour le consultant Jean-
Pierre Willems, “demandeur d'emploi, ce n'est pas une
catégorie homogène, c'est un flux. (...) Il faut arrêter de
dire que la formation est un besoin général et que tout le
monde doit passer par ce chemin-là !" La critique n'est
pas moins sévère de la part de Pierre Ferracci, PDG
du groupe Alpha et membre du conseil d'orientation
pour l'emploi (COE) : “J'ai toujours dit que l'argent
de la formation professionnelle allait insuffisamment
aux chômeurs et aux salariés les plus fragiles qui ont eux
aussi besoin de se former. (…) 13 % quand il y a plus de
3 millions de chômeurs, c'est sûrement insuffisant, car on
a l'impression que le demandeur d'emploi a besoin d'une
formation. Or, il a besoin d'un travail, surtout que parfois,
il est très bien formé. Ce n'est pas l'absence de formation
qui cause le chômage, c'est l'absence de croissance !" Un
sentiment partagé par Dominique Jeuffrault, déléguée
nationale CFE-CGC, qui souligne que “la formation
professionnelle ne crée pas de l'emploi, et ne peut de ce fait
constituer de solution miracle au problème du chômage
en France !" Quant à Stéphane Lardy, secrétaire
confédéral à FO, il s'insurge contre les idées reçues :

“Accuser la formation professionnelle de bénéficier peu
aux demandeurs d'emploi part d'un raisonnement d'une
absurdité totale. C'est croire que nous vivons dans un
monde merveilleux où il suffit de former les chômeurs pour
que ceux-ci retrouvent immédiatement un travail. Mais
ce n'est pas la réalité. Au moment où je vous parle, je suis à
Tours, dans les usines Michelin. Les salariés sont très bien
formés mais ils se font virer quand même !"

Qui bénéficie des 13 % ?

Si ce chiffre de 13 % affectés aux demandeurs d'emploi
n'est pas contesté, il est toutefois à mettre en regard avec
les 211 000 demandeurs d'emploi de France métropolitaine,
inscrits ou non à Pôle emploi qui, fin 2011,
suivaient une formation, soit 7,4 % des personnes au
chômage au sens du Bureau international du travail
(“Jaune" sur la formation professionnelle annexé au
projet de loi de finances pour 2014, voir aussi p. 6). Sur
l'ensemble de l'année, les demandeurs d'emploi ayant
débuté une formation représentent 20,3 % du nombre
moyen de chômeurs (même source). Plus précisément,
le conditionnel devrait être utilisé, puisque le rapport
de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas,
n° RM2013-150P) d'août 2013 [ 1 ]“Évaluation partenariale de la politique de formation
professionnelle des demandeurs d'emploi (modernisation de l'action
publique)"
. fait le constat que
“les données issues de la statistique publique ne permettent
pas, en l'état actuel des choses, de connaître le taux d'accès
des demandeurs d'emploi à la formation, le chiffre de
20 % souvent cité dans les médias surestimant nettement
la réalité". Ce qui pose la question du nombre de bénéficiaires
des 4 milliards d'euros. À cet égard, le rapport
du groupe de travail de Jean-Marie Marx [ 2 ]“La formation professionnelle des demandeurs d'emploi",
janvier 2010.
montre une
inquiétante inadéquation entre les fonds affichés pour
la formation des chômeurs et ces derniers : “La possibilité
pour le demandeur d'emploi d'entrer en formation se
heurte dans la pratique à des délais importants. (…) Les
demandes de formation de la part du demandeur d'emploi
et de la part du conseiller du service public de l'emploi
n'aboutissent pas toujours à l'entrée effective dans une
session de formation : le taux de succès est évalué à 26 %
pour une demande émanant du demandeur d'emploi et
à 48 % dans le cas d'une proposition par le conseiller."

Recul de la part relative des dépenses

Selon le PLF pour 2014, le nombre de demandeurs
d'emploi en formation a baissé entre fin 2010 et fin
2011 (- 4,5 %) alors que le nombre de chômeurs au
sens du BIT baissait de 1 % sur la période. Dans le
détail, il est précisé que les demandeurs d'emploi de
moins de 26 ans bénéficient plus fréquemment d'une
formation que leurs aînés : fin 2011, 29,6 % étaient
en formation contre 19,2 % parmi ceux âgés de 26 à
44 ans et 12,6 % de ceux de plus de 45 ans.

Ces données doivent être situées dans un cadre de plus
longue durée. La Cour des comptes observe [ 3 ]“Marché du travail : face à un chômage élevé, mieux cibler
les politiques", janvier 2013.
: “Alors
que la formation des demandeurs d'emploi est affichée de
longue date comme une priorité par l'ensemble des acteurs
intéressés, on ne peut que souligner que sa part dans les
dépenses totales de formation professionnelle a reculé depuis
le début des années 2000, les sommes correspondantes étant
restées quasiment stables en valeur absolue entre 2001
et 2009." Les conseillers s'appuient notamment sur le
rapport Marx : “L'année 2008 marque un retournement
dans la baisse continue du nombre de bénéficiaires ; en effet
en 2005, plus de 226 000 personnes avaient bénéficié de
cette prestation (…), contre 18 4 054 en 2007."

Et ceux qui financent…

La formation continue des chômeurs est principalement
financée par les Régions (57 %), l'État
(9 %), l'Unedic et Pôle emploi (20 %). S'y ajoutent
d'autres financeurs (Agefiph, Opca, collectivités
territoriales autres que les Régions, tels que les
Départements) pour 9 % et 5 % d'autofinancement
par les demandeurs d'emploi (PLF pour 2013). Autre
acteur majeur, le Fonds paritaire de sécurisation des
parcours professionnels (FPSPP), créé par l'accord
national interprofessionnel du 7 janvier 2009 et la loi
du 24 novembre 2009 réformant la formation professionnelle,
assure la péréquation des excédents des
organismes collecteurs (Opca et Opacif) et participe
au financement de formations pour les salariés les plus
fragiles et les demandeurs d'emploi. Il est constitué par
les organisations syndicales d'employeurs et de salariés
représentatives au niveau national et interprofessionnel.
“Il n'y a qu'à regarder le travail qui a été fait depuis
2008 par les partenaires sociaux avec la mise en place
du FPSPP", a souligné Jean-Pierre Therry, conseiller
confédéral à la CFTC. Pour 2013, la contribution des
Opca et Opacif au financement du FPSPP est fixée
à 13 % des obligations des entreprises (au titre des
masses de salaires 2012). La première convention-cadre
État-FPSPP (2010-2012) rappelle l'objectif de “former
chaque année 500 000 salariés supplémentaires parmi les
moins qualifiés et 200 000 demandeurs d'emploi de plus,
ces objectifs devant être précisés en fonction des évaluations
qui seront réalisées".

L'action du FPSPP

Contrastant avec cet objectif ambitieux, l'action du
FPSPP a été caractérisée par une très lente montée en
puissance. Selon la Cour des comptes, les paiements
effectués par le fonds au 31 décembre 2011 couvraient
moins de la moitié des engagements initiaux au titre de
la convention-cadre avec l'État (662 millions d'euros
prévus et 183 décaissés). La juridiction financière
pointe les lourdeurs de la gestion et souligne “la
capacité d'absorption limitée des porteurs de projets
et l'inadaptation du dispositif de contrôle. Si le
fonds constitue à l'évidence un progrès par rapport
à la situation antérieure, il est encore loin
d'avoir tenu toutes ses promesses" (rapport
thématique de la Cour des comptes,
janvier 2013).

“La grande majorité des fonds du FPSPP
sont aujourd'hui dirigés vers ces publics [les
demandeurs d'emploi]", assure Dominique
Jeuffrault (CFE-CGC). Même vision de
Jean-Pierre Therry (CFTC) : “Aujourd'hui,
on peut dire que les fonds du FPSPP sont à
plus de 80 % destinés à former les demandeurs
d'emploi."

De manière générale, la répartition des
fonds de la formation professionnelle des
demandeurs d'emploi est compliquée. Elle
gagnerait en efficience quantitative si ces
fonds “étaient bien fléchés", comme l'indique
Jean-Pierre Therry. Et qualitative si, comme
le préconisent conjointement Pierre Ferracci et la
Cour des comptes, “une connaissance actualisée du
marché du travail et de la demande de qualification"
permettait de “déterminer quels chômeurs ont véritablement
besoin d'une formation complémentaire ou
supplémentaire".

Réponse du ministère du Travail à Cash investigation

“L'émission Cash investigation a surfé sur les clichés, à propos de la formation des
demandeurs d'emploi, un sujet qui ressort souvent. C'est le parcours du combattant pour
obtenir une formation quand on est chômeur… À partir d'un constat de politique publique sur
un certain nombre de difficultés (dans l'accès à ces formations pour les demandeurs d'emploi,
justement), sur la nécessité de mieux orienter les fonds de la formation, il y avait moyen de
faire une enquête journalistique de manière plus sérieuse. L'approche globale qu'on cherche
à avoir, c'est qu'un demandeur d'emploi est un futur salarié. Il faut sortir de cette logique de
statut, le compte personnel de formation va dans cette direction. Mais le ministre [invité lors
de l'émission] ne dit à aucun moment qu'il faut se désintéresser de la formation des salariés et
que tous les fonds doivent être fléchés vers les demandeurs d'emploi."

Notes   [ + ]

1. “Évaluation partenariale de la politique de formation
professionnelle des demandeurs d'emploi (modernisation de l'action
publique)"
2. “La formation professionnelle des demandeurs d'emploi",
janvier 2010.
3. “Marché du travail : face à un chômage élevé, mieux cibler
les politiques", janvier 2013.