Apprentissage : l'“indemnité compensatrice forfaitaire" va disparaître, mais sera remplacée
Par David Garcia - Le 01 septembre 2013.
La future réforme de l'apprentissage, éclipsée par les autres grands chantiers “formation" lancés pour ce trimestre, est revenue en tête de l'actualité cet été. Confirmant d'ailleurs que ce sera bien une réforme de son financement. Et quand il est question de financement, chacun est très réactif, comme il est bien naturel.
le 17 juillet dernier, le gouvernement annonçait la disparition de l'indemnité compensatrice forfaitaire (ICF), de minimum 1 000 euros par an. Dès le jour suivant, des protestations venaient de tous côtés, obligeant le gouvernement à s'expliquer : cette indemnité compensatrice sera bien supprimée, toutefois une nouvelle aide va lui succéder pour les entreprises de moins de 10 salariés. Son montant et ses contours ne sont pas encore arrêtés. Vraisemblablement, la compensation maintenue de l'État aux Régions se situera entre 250 et 300 millions d'euros.
La “décision n° 6"
Tout est parti de la “décision n° 6" du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap), présidé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault le 17 juillet. “Dès l'automne 2013, une réforme de la taxe d'apprentissage sera engagée, en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, pour accroître dans les territoires les ressources disponibles pour
l'apprentissage, dont le développement est un axe fort du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi", indiquait le relevé de décisions du Cimap.
Par ailleurs, “les dispositifs d'aide de l'État aux employeurs d'apprentis (qui représentent au total 2,8 milliards d'euros pour les dispositifs ciblés sur les apprentis, les employeurs bénéficiant par ailleurs du CICE1) seront partiellement revus, en supprimant l'indemnité compensatrice de formation actuellement versée par les Régions, ce qui représente une économie budgétaire de 550 millions d'euros. Un travail sera conduit avec les Régions et les autres acteurs concernés", ajoutait le comité.
Une nouvelle aide “davantage ciblée"
Mais, conscient de la difficulté d'atteindre l'objectif de 500 000 apprentis à horizon 2017 contre 440 000 aujourd'hui, le gouvernement a donc promis une compensation. Les ministres de l'Économie, du Budget et de la Formation professionnelle ont prévu “une nouvelle aide aux employeurs d'apprentis, plus ciblée, pour les entreprises de moins de 10 salariés, définie et versée par les Régions". Le dispositif d'aide aux employeurs d'apprentis reposera sur trois étages complémentaires : une exonération de cotisations sociales ; un crédit d'impôt “davantage ciblé" ; et enfin une aide directe pour l'embauche de tous les apprentis dans les entreprises de moins de 10 salariés.
“Reconnaissance de l'action de l'entreprise"
Pour sa part, le Medef a chiffré la suppression de l'ICF à 800 millions
d'euros par an. L'occasion pour Pierre Gattaz, président du Medef, de rappeler que “l'alternance et l'apprentissage sont des éléments essentiels pour le développement des entreprises et des facteurs d'intégration des jeunes". Le Medef plaide “pour une évolution en profondeur du système d'apprentissage français permettant, comme en Allemagne, aux entreprises et aux branches professionnelles de définir les contenus des diplômes et de gérer les centres de formation en apprentissage en fonction des besoins en compétences des entreprises".
Du son côté, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) juge que cette indemnité compensatrice de formation constituait simplement “la reconnaissance de l'action de l'entreprise en faveur d'un jeune".
L'Union professionnelle artisanale (UPA) “encourage les Conseils régionaux à dégager les ressources nécessaires pour maintenir l'indemnité compensatrice de formation dans les entreprises de 10 à 50 salariés". Et Jean-Pierre Crouzet, son président, d'ajouter : “Il n'est pas possible que la réduction de la dépense publique, si souhaitable soit-elle, se fasse sur le dos des entreprises qui se battent le plus aujourd'hui pour la formation et l'emploi des jeunes."
Les Régions se sont mobilisées
“Aujourd'hui, la contribution de l'État au titre de l'indemnité compensatrice forfaitaire représente en Alsace
28,7 millions d'euros. C'est près de la moitié du budget consacré
par notre collectivité à l'apprentissage, soit 65,4 millions d'euros", a indiqué Philippe Richert, président de la Région Alsace. L'an dernier,
“ce sont 8 680 employeurs qui ont bénéficié de cette aide et elle a contribué à l'embauche de 14 000 jeunes… Certains secteurs d'activité ne se forment que par l'apprentissage !"
Aujourd'hui, l'Association des Régions de France “se félicite de la décision du gouvernement de maintenir l'aide aux employeurs d'apprentis" pour les entreprises de moins de 10 salariés. Elle “répond à la demande des Régions d'épargner les TPE, qui touchent aujourd'hui plus de 60 % du montant de cette aide indispensable pour le développement de l'apprentissage dans notre pays". Les Régions se sont mobilisées pour maintenir cette incitation au profit des
TPE et singulièrement du monde de l'artisanat.
“Les Régions ont été écoutées et entendues", a affirmé Alain Rousset, président de l'Association des Régions de France et de la Région Aquitaine. Pour autant, les Régions rappellent “que le niveau de leurs ressources demeure en décalage profond avec les compétences qu'elles assument".
Sans aide, tout se grippe…
La Fédération française du bâtiment (FFB) par la voix de son président, Didier Ridoret, met l'accent sur le fait qu'aucun dispositif n'est prévu pour les structures de taille supérieure, qui sont également employeuses d'apprentis : “Les entreprises du bâtiment, à elles seules, emploient près de 20 % des apprentis sur l'ensemble du territoire, or, en l'absence de cette indemnité, nombre d'entre elles ne seront pas en mesure d'en engager…"
Les apprentis − premiers concernés − se sont eux aussi inquiétés qu'un programme d'économies puisse être réalisé à leur détriment. Morgan Marietti, président de l'Association des apprentis de France (Anaf), insiste sur ce point : ils constituent des populations souvent fragiles ou en difficulté, alors que les taux de rupture de contrats d'apprentissage s'élèvent toujours à des taux oscillant entre 20 et 30 %, avec des pics à 35 % (voir notre dossier, pp. 15-23). “Je peux comprendre que l'aide de 1 000 euros par apprenti ne soit pas suffisamment incitative pour qu'une entreprise se décide à en engager, mais dans ce cas, pourquoi ne pas consacrer ces sommes à l'aide directe aux alternants, en leur permettant de mieux s'adapter au futur contexte de travail ou à préparer leur arrivée dans l'entreprise ?"
“En pleine campagne de signature"
Gérard Cherpion, député UMP des Vosges, a interpellé le gouvernement lors de la séance publique à l'Assemblée nationale le 23 juillet. L'auteur et rapporteur d'une proposition de loi sur le développement de l'alternance (adoptée en juillet 2011) a regretté que ces incertitudes interviennent “en pleine campagne de signature des contrats d'apprentissage".
Le ministre en charge du Budget, Bernard Cazeneuve, a répondu que “l'État fait 3 milliards d'euros d'effort en faveur de l'apprentissage". Il a annoncé qu'“en concertation avec les Régions, nous allons donner des ressources dynamiques nouvelles pour leur permettre de faire face à ces obligations…
Toutes les entreprises qui voudront recruter des apprentis avant le 31 décembre 2013 pourront le faire dans des conditions identiques et les dispositions que nous avons prises avec les Régions permettront de maintenir un niveau d'aide très important en faveur de l'apprentissage".
La réponse n'a pas satisfait Gérard Cherpion : interrogé par L'Inffo, il insiste sur le problème posé aux entreprises, “qui ont une visibilité très courte sur le marché", avec bien peu de différences d'ailleurs entre celles qui ont 9 salariés et celles qui en ont 15 ou 20. Selon lui, il peut se révéler “catastrophique" de plonger les acteurs de
l'apprentissage dans l'expectative.
Sa préconisation ? “Consacrer 1 milliard d'euros pris sur les contrats d'avenir pour accompagner les jeunes vers l'apprentissage…" Afin de faire de l'apprentissage une vraie politique de l'emploi, puisque 450 000 jeunes Français sont aujourd'hui en apprentissage, 150 000 en contrat de professionnalisation et qu'à “population égale avec l'Allemagne, il faudrait 1 million de jeunes en alternance". Réponse du gouvernement lors de la concertation promise en
septembre.
LA CONCERTATION SUR L'APPRENTISSAGE
Deux courriers du ministre du Travail Michel Sapin, datés du 23 juillet et adressés respectivement à André Marcon, président de CCI France, et à Alain Griset, président de l'APCMA (Assemblée permanente des Chambres de métiers et de l'artisanat), rappellent l'objectif gouvernemental de faire progresser le nombre d'apprentis. Michel Sapin rappelle qu'une “concertation sur l'apprentissage" va s'ouvrir ce mois de septembre avec les réseaux consulaires, les partenaires sociaux et les Régions, “dans le but de réformer la répartition de la taxe d'apprentissage, qui doit davantage bénéficier à l'apprentissage, et de mobiliser ainsi au niveau des territoires des ressources supplémentaires pour les centres de formation d'apprentis".