Contrat de génération : premiers bilans en demi-teinte
Par François Picard - Le 01 octobre 2013.
Alors que le contrat de génération peine, pour le moins, à trouver son public, le groupe Safran vient
de s'engager en faveur de ce dispositif. Pour le représentant FO, signataire, le dispositif va dans le bon
sens, celui de l'intégration durable des jeunes dans la vie active, le recrutement de salariés âgés et leur
maintien dans l'emploi. Pour la CGT, ce ne sont pas ces aides qui conditionnent l'embauche.
Six mois après leur lancement,
seulement 7 888 contrats
de génération ont été signés.
Diffusés par le quotidien
Le Monde, ces chiffres
ont fait quelque bruit. Datés de
mi-septembre, ils seraient issus de
Pôle emploi, qui refuse de confirmer
ou de commenter. Du côté
du ministère du Travail, on indique
qu'“au 13 septembre, plus de
10 000 demandes d'aide (10 624)
ont d'ores et déjà été enregistrées
(soit plus de 20 000 emplois, jeunes
et seniors), témoignant d'une montée
en charge normale dans les
entreprises de moins de 50 salariés,
qui sont les seules à pouvoir accéder
directement à l'aide sans passer
par une négociation préalable. Les
entreprises de 50 à 300 salariés
accèderont plus largement à l'aide
lorsqu'elles seront davantage couvertes
par des accords de branche.
Des premiers accords de branche
ont été conclus ou sont en voie de
l'être, une vingtaine sont en négociation :
ce mouvement doit et va s'accélérer."
Au même moment, Safran, spécialiste
de l'aéronautique, de l'espace, de
la défense et de la sécurité, annonce
avoir signé un accord sur le contrat de
génération avec trois syndicats : FO,
la CFDT et la CFE-CGC. L'accord de
Safran porte sur une durée de trois ans
et a nécessité six réunions, soit six mois
de discussions. Il stipule qu'une “attention
particulière" est portée à l'accès des
salariés âgés aux dispositifs de formation
professionnelle. Pour atteindre cet
objectif, les parties signataires veilleront
à la représentation équilibrée des salariés
de 50 ans et plus dans le nombre total
de salariés formés. “Ce dispositif est important,
car beaucoup de salariés seniors
finissent leur carrière sur leurs machines,
sur les sites de fabrication et de production. Ces engagements leur permettront
de progresser dans leur travail", explique
Daniel Barberot, du syndicat FO. Les
jeunes ne sont bien sûr pas oubliés,
l'accord précisant que, “considérant que
la formation professionnelle est un levier
majeur dans l'accompagnement du développement
professionnel des salariés, et en
particulier des jeunes, les parties entendent
renforcer et organiser au mieux les dispositifs
de formation professionnelle existants".
“Parcours partagés d'apprentissage"
Le groupe, qui emploie 62 500 personnes
sur tous les continents, revendique
une politique volontariste en
faveur de l'apprentissage et des contrats
de professionnalisation, avec l'objectif
d'accueillir au minimum 4 % d'alternants
par an dans le groupe en France.
Il compte aujourd'hui 3 500 personnes
en alternance.
L'entreprise déploie des “parcours
partagés d'apprentissage" afin de
permettre à l'apprenti de commencer
sa formation au sein d'une
société de Safran et de la poursuivre,
“si possible", dans une PME
sous-traitante. “Nous n'avons pas
voulu bloquer les négociations sur
ce point, mais il est clair qu'une telle
mesure arrange le patronat, explique
Daniel Barberot. Les sous-traitants
du groupe ont du mal à recruter et
à former. C'est donc Safran qui s'en
occupe et au final, le jeune aura
moins de chances d'être embauché
en interne que chez un sous-traitant
aux niveaux de salaires plus bas.
Cela reste malgré tout une manière
de lui mettre le pied à l'étrier."
Le groupe aux 13,6 milliards d'euros
de chiffre d'affaires entend également
développer l'accueil d'étudiants-
chercheurs et concourir à
leur formation. Par conséquent,
Safran veillera à augmenter le nombre
de thèses proposées aux étudiants. Les
signataires indiquent souhaiter que Safran
poursuive la construction de “liens
privilégiés" avec les centres de formation,
les écoles et les Universités répondant à
ses activités.
“Les contrats de génération insistent sur
la notion de tutorat, explique Daniel
Barberot. Nous aurions voulu une prime
pour les tuteurs, mais nous ne l'avons pas
obtenue." L'accord ne parle que d'une
“reconnaissance salariale" − “ce qui veut
tout et rien dire".
Handicap et pénibilité
Un volet de l'accord concerne également
le handicap : les parties soulignent
l'importance de contribuer
à la formation professionnelle des
personnes handicapées.
Les sociétés du groupe
veilleront à “mettre en œuvre les moyens
permettant d'accueillir" les jeunes et les
salariés âgés en situation de handicap
dans les meilleures conditions. À cet
égard, un accord en faveur de l'emploi
des personnes handicapées dans le
groupe Safran a été signé en 2012. Cet
accord vise à développer une politique
active en termes d'embauche, de formation
et de maintien dans l'emploi
des personnes handicapées.
De plus, certains dispositifs de l'accord
à destination des seniors sont plus généreux
à l'égard des personnes handicapées.
C'est le cas du dispositif prévoyant une
cessation anticipée d'activité du salarié
ou un passage à un temps partiel aidé, au
moment où la retraite est proche.
“Ces mesures représentent des avancées
importantes sur le volet de la pénibilité,
reprend Daniel Barberot. Une vraie différence
est faite entre les personnes qui travaillent
en 2 x 8 et en 3 x 8. Auparavant,
cela ne constituait qu'un facteur aggravant.
À présent, c'est un vrai facteur de pénibilité."
Préférence aux jeunes,
dans les embauches à venir
Sur ses 3 500 embauches annuelles (à
90 % en CDI), le groupe s'engage à
recruter au moins 40 % de jeunes de
moins de 30 ans en CDI et au minimum
4 % de salariés de 50 ans et plus en
CDI, tout en maintenant la proportion
de salariés de 55 ans et plus au-delà de
15 % de l'effectif total du groupe.
“FO a depuis longtemps une attitude réformiste
au sein du groupe, assure Daniel
Barberot. Ce n'est pas l'accord du siècle,
mais il a permis de bonifier l'accord que
notre fédération de la métallurgie a signé
en février 2013. La négociation s'est plutôt
bien passée. Ce n'est pas toujours le cas et
lorsque le gouvernement impose de conclure
des négociations avant telle ou telle date, il
est difficile de travailler dans la sérénité".
ENTRETIEN AVEC PAUL DESAIGUES, CONSEILLER CONFÉDÉRAL À LA FORMATION INITIALE ET CONTINUE À LA CGT
“Ces aides sont un leurre !"
Les contrats de génération vous semblent-ils un bon dispositif ?
Depuis 2003, nous insistons sur la
nécessité d'anticiper le renouvellement
générationnel. On ne va pas, à présent,
bouder notre plaisir !
Quels sont vos retours sur les
négociations sur le terrain ?
EDF a eu une démarche très intéressante
sur le sujet. Cela a bien montré qu'il
faut relancer l'ascenseur interne et le
recrutement externe. Cependant, d'une manière générale, on a peu de
négociations dans les branches et les entreprises. Celles qui existent ne
débouchent pas toujours sur des signatures de la CGT.
Quels sont les freins ?
La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences devrait être liée
aux prévisions de formations. Les textes imposent à l'employeur de livrer
aux représentants des salariés des informations sur ce qu'il envisage de
faire de l'entreprise. Cela doit amener une délibération sur l'évolution
des effectifs et des formations. Dans les faits, les dirigeants ne veulent
jamais dire vers quoi ils veulent amener l'entreprise. Leurs stratégies sont
occultes et décidées dans des réunions de détenteurs des capitaux.
Les 4 000 euros versés aux entreprises sont-ils suffisants ?
On aurait préféré un dispositif d'accompagnement sans aide financière.
Dans une entreprise normale, ce n'est pas une aide qui détermine les
embauches. Ce sont les besoins de production, et donc, en face, le niveau
de consommation. Des millions d'euros sont distribués à travers de telles
aides à l'embauche, mais nous pensons qu'ils seraient plus efficaces
ailleurs. On sait que certaines embauches ont été gelées jusqu'à ce que
l'aide soit mise en place et que ces 4 000 euros vont directement dans la
marge des entreprises. Les politiques distribuent de l'argent, et à force, il
n'y a des créations d'emplois (ou du maintien) que quand il y a des aides.
Ces aides sont un leurre !
Est-ce une bonne stratégie de ne pas cibler les jeunes les plus
éloignés de l'emploi ?
Comment déterminer s'ils le sont ? On prend les jeunes pour des haricots
rangés dans trois catégories : extra fins, fins et gros. En réalité, on ne se
base que sur le niveau scolaire alors qu'on peut avoir des jeunes sans
diplôme et très intelligents, avec une bonne dynamique d'esprit et une
bonne capacité d'adaptation. Je trouve cela très bien de ne pas classifier
ces jeunes et ainsi d'ouvrir le dispositif à toute une partie de la population
située dans des zones grises.
Fallait-il instaurer des formations obligatoires pour les jeunes ?
Cela aurait été une bonne chose. Mais l'idée était que l'apprentissage
se fasse sur le terrain, entre un ancien et un nouveau salarié. Nous
trouvons cette démarche très intéressante, d'autant plus qu'imposer une
formation aurait été compliqué, vu la disparité des situations. Il aurait
fallu un dispositif à envergures variables. Je rappelle malgré tout une
chose : il ne suffit pas d'être senior pour être un bon tuteur. Il faut faire de
l'accompagnement.
Et fallait-il fixer des objectifs de signatures dans les préfectures,
comme pour les emplois d'avenir ?
Cela n'aurait pas de sens que des chiffres soient fixés par les Direccte. On
est sur un renouvellement de génération et les objectifs ne peuvent venir
que de l'entreprise. Le retard s'explique aussi par le fait que les patrons
étaient très occupés à changer leur direction ces derniers mois. Et bien
sûr, ils ne s'empressaient pas de s'emparer d'un dispositif venant d'un
gouvernement qu'ils combattent.
Propos recueillis par François Picard