Dix indicateurs de suivi pour une stratégie plus efficiente de la formation professionnelle en entreprise ?

Par - Le 16 mars 2013.

Un groupe de travail initié par la Fédération de la formation professionnelle (FFP) a travaillé pendant un an pour concocter une grille d'indicateurs de suivi destinée aux entreprises. L'objectif était de se conformer à l'article 225 de la loi “Grenelle 2" dans lequel il est demandé à l'entreprise de renseigner les thématiques sociales. Pour les entreprises, l'exercice sera réussi si ce suivi permet une réelle stratégie en matière de formation professionnelle.

Le décret d'application de l'article 225 de la loi “Grenelle 2" ne propose pas de méthodologie en matière d'indicateurs pour les thématiques sociales que les entreprises ont l'obligation de renseigner. Le groupe de travail pluridisciplinaire (il y avait des entreprises, mais aussi des organismes de formation, des représentants de ministères et le Medef ), qui s'est retrouvé au cours
de l'année 2012 à l'initiative de la FFP a mis en lumière dix indicateurs
(voir encadrés) sur lesquels les entreprises pourront prendre appui.

Les trois premiers sont des indicateurs de base, les sept suivants les complètent. “L'objectif est de s'assurer si la formation s'inscrit dans la stratégie de l'entreprise à la fois en termes de business et de responsabilité sociale en valorisant l'immatériel", a résumé Marie-Josée Ruaudel, directrice de la formation et de la professionnalisation au sein du groupe France Télécom-Orange. À quand un premier bilan de l'appropriation et de l'efficacité de ces indicateurs ? “Dans trois ans, ce sera parfait, nous aurons tout le recul nécessaire", répond Sébastien Thevoux-Chabuel, analyste extra financier pour Groupama Asset Management et membre du groupe de travail sur les indicateurs de la formation professionnelle. “Je pense que nous aurons au moins une centaine d'entreprises dans les deux prochaines années qui s'appuieront sur les trois premiers indicateurs et indiqueront si ces critères leur ont été utiles."

Les critères qualitatifs doivent expliciter les indicateurs quantitatifs

Marie-Josée Ruaudel, de France Télécom-Orange, est l'une des participantes au groupe de travail. “Je tenais à m'exprimer sur la batterie d'indicateurs les plus pertinents, c'est-à-dire afin qu'ils soient réalisables au sein des entreprises et qu'ils puissent alimenter la réflexion des services de formation pour un réel accompagnement
tout au long de la vie. À côté d'indicateurs quantitatifs, j'ai souhaité mettre l'accent sur des indicateurs qualitatifs. Les chiffres seuls ne permettent pas de réfléchir à une stratégie d'entreprise. Avec des critères croisés, on peut recouper les objectifs et les affiner", souligne-t-elle. Ainsi, France Télécom-Orange annonce avoir investi 276,4 millions d'euros dans la formation professionnelle en 2011, soit 3,3 millions d'heures (75 % de formations métiers, 4 % de formations management et 21 % de formations transverses). Cette somme
représente 6,6 % de la masse salariale (103 490 personnes, y compris les CDD et les apprentis). La moitié est consacrée aux salaires,
avec les frais de mission, et l'autre moitié correspond aux achats de prestations de formation externes ainsi qu'à l'élaboration et la dispense de formation par des acteurs internes. “Depuis 2010, nous avons mis l'accent sur les formations complémentaires aux formations strictement métiers, par exemple, pour la prévention des risques psychosociaux et pour les managers. Nous proposons des modules de développement personnel afin que les salariés se sentent mieux dans leur vie personnelle et sur leur lieu de travail. Nous recherchons également à mieux équilibrer les formations transverses qui développent des compétences utilisables dans plusieurs domaines de métiers et à diminuer celles orientées “métier"", poursuit Marie-Josée Ruaudel.

Des investisseurs qui regardent l'effort consenti

L'enjeu des entreprises est de valoriser l'aspect “immatériel" de la formation professionnelle qui n'apparaît pas dans un bilan comptable, mais dont l'impact sur les finances de l'entreprise et sur la compétence des effectifs est une donnée non négligeable de son activité.

Or, cet “immatériel" est de plus en plus scruté par les investisseurs. En effet, si l'on en croit Sébastien Thevoux-Chabuel, ils sont demandeurs de données exploitables concernant la formation professionnelle. Le critère “socialement responsable" est désormais pris en considération par des financiers qui “se sont longtemps heurtés à un déficit d'information".

Éduquer les entreprises à la formation professionnelle via les nouveaux indicateurs de suivi pour intéresser les investisseurs est peut-être l'occasion d'agir sur leur compétitivité et de les amener à envisager l'article 225 de la loi “Grenelle 2" sous cet angle.

Claire Padych

QUESTIONS À JEAN-CLAUDE DUPUIS, CONSEILLER SCIENTIFIQUE
DU GROUPE DE TRAVAIL


“Il faut encourager l'utilisation de ces indicateurs"

Qu'est-ce qui justifie la mise en place d'une grille d'indicateurs de
reporting des investissements en formation dans les entreprises ?


Les entreprises sont, de plus en plus, tenues à rendre des comptes en matière de responsabilité sociétale (RSE). Ce reporting comporte des données financières (notamment le chiffre d'affaires). Mais, concernant son volet extra-financier, il manque des données sur la formation professionnelle. Les entreprises, quelle que soit leur taille, communiquent peu sur leur politique de formation, qui est pourtant aussi un enjeu de RSE. La mise en place d'une grille des indicateurs est une façon de mieux valoriser les investissements en matière de formation ainsi que leurs impacts économiques et sociétaux.

Nous avons pris en compte les outils existants, notamment des référentiels internationaux. La grille que nous avons élaborée comporte dix indicateurs : trois “de base" et sept complémentaires. Elle vise à étendre les indicateurs existants et permettre aux entreprises de mieux répondre à leurs
obligations.

Comment peuvent-elles les mettre en œuvre ?

Quelques aménagements sont nécessaires pour améliorer la mise en œuvre et la diffusion des indicateurs quantitatifs. Dans certaines
entreprises, les données existent déjà, il suffit de les rassembler et de les intégrer dans les pratiques de reporting. Toutes les entreprises ne
disposent pas encore de ces éléments. Il faut bien les aider à les avoir.

À quels types de contraintes les entreprises peuvent être confrontées dans la mise en œuvre ?

Une des contraintes est celle de la production des informations. Le reporting sur la formation s'ajoute à d'autres, pour lesquels les entreprises sont déjà sollicitées. Pour répondre à cette dernière démarche, elles doivent mobiliser du personnel et du temps. Il faut aussi noter qu'elles se voient contraintes de divulguer des
informations qu'elles peuvent estimer stratégiques ou pouvant servir la concurrence. La démarche reporting des investissements sur la formation n'est pas obligatoire. Une communication auprès
des entreprises encouragera l'utilisation de ces indicateurs.

Propos recueillis par Knock Billy

PERTINENCE DES TROIS INDICATEURS DE BASE
1. Nombre moyen d'heures de formation par an et par salarié, et par catégorie : sexe, catégorie professionnelle, classe d'âge (moins de 30 ans, 30 à 45 ans, plus de 45 ans), grande zone géographique (pour les entreprises multinationales), ainsi que pour les bénéficiaires de l'obligation d'emploi (BOE), c'est-à-dire pour les personnes en situation de handicap.

Pertinence : l'indicateur fournit un aperçu du
degré d'investissement de l'entreprise en la matière et la façon dont celui-ci bénéficie aux salariés.

2. Taux d'accès à la formation

Pertinence : si cet indicateur fournit un degré d'accès à la formation pour les différentes catégories de salariés, il ne peut permettre de relever certains écarts entre les salariés et oblige l'entreprise à déterminer en amont ce qu'elle entend par temps et action de formation.

3. Programmes de développement des compétences et de formation tout au long de la vie destinés à assurer l'employabilité des salariés et à les aider à gérer leur fin de carrière.

Pertinence : cet indicateur permet à l'entreprise de planifier l'acquisition par les salariés de compétences nécessaires pour atteindre des objectifs stratégiques définis en amont. Pour les salariés proches de la retraite, il permet de les aider à aborder cette étape.

LES SEPT INDICATEURS SUPPLÉMENTAIRES

1- Pourcentage de salariés n'ayant pas bénéficié d'actions de formation depuis au moins deux ans.

2- Nombre de stagiaires et d'alternants.

3- Effort financier de formation.

4- Pourcentage de salariés bénéficiant d'entretiens d'évaluation et d'évolution de carrières périodiques intégrant une composante formation.

5- Nombre de salariés ayant suivi une formation certifiante.

6- Répartition des heures de formation par thème.

7- Programmes locaux et nationaux d'aide au développement des compétences.