L'Irffe, cinq ans de conflits sociaux en Picardie
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 octobre 2013.
Relations interinstitutionnelles, absence de statut conforme à l'activité réelle ou souhaitée, rupture
du dialogue social et conflits... Retour sur un “cas d'école", celui de l'Institut régional de formation
aux fonctions éducatives de Picardie. Qui semble à présent en voie de résolution.
C'est un conflit qui dure depuis
près de cinq ans, mais dont le
règlement a commencé. Cinq
ans que les salariés de l'Irffe
(Institut régional de formation
aux fonctions éducatives) de Picardie
revendiquent leur reprise par une
commission régionale.
Si l'Irffe – qui accueille annuellement
quelque 1 200 étudiants ou stagiaires [ 1 ]Sur ses trois sites d'Amiens, Laon et Beauvais.,
pour les former à une dizaine de métiers
relevant du domaine médico-social – ne
dispose pas du statut d'IRTS (Institut
régional du travail social), c'est, aux
yeux des représentants du personnel,
à sa tutelle, le Centre régional pour
l'enfance et l'adolescence inadaptée
de Picardie (CREAI Picardie), qu'elle
le doit. “L'Irffe pouvait prétendre au
statut d'IRTS depuis janvier 2004", se
souvient Gérard Poncelet, psychosociologue,
responsable de la formation
des moniteurs-éducateurs et délégué
syndical CGT au sein de l'Institut.
“À l'époque, nous n'avions pas pu y
prétendre car l'école ne rassemblait pas en
son sein toutes les formations nécessaires
à l'obtention de ce statut. Il existait
alors une structure chargée de former
les assistantes sociales qui dépendait
directement du Conseil général de la
Somme, et non de la Région."
Une situation qu'avec le recul, Didier
Cardon, vice-président du Conseil
régional en charge des questions de
formation, juge “aberrante", mais qui
s'est vu corrigée en 2006, lorsque
l'Irffe a absorbé cette structure
départementale.
Tensions sociales
L'erreur de tir corrigée, un groupe
de réflexion a entamé une réflexion
en vue de faire passer l'Irffe du statut
d'Institut de formation aux fonctions
d'éducateur (Iffe) à celui d'IRTS, étape
préalable à la fondation d'une Haute
école professionnelle en action sociale
et de santé (Hepass). La première en
région picarde, qui, à la différence de
ses voisines champenoise, nordiste et
normande, ne disposait alors pas d'une
telle structure sur son sol.
Une ambition qui s'est traduite, dans
les faits, par un certain nombre de
changements pour les salariés et de
nouvelles exigences. Des bouleversements
qui auraient pu se passer en douceur
si, au même moment, le CREAI
n'avait pas lui-même modifié son
équipe dirigeante. Nouveau président,
nouvelle directrice générale, nouveau
directeur administratif et financier. Un
“triumvirat" – selon les mots de Gérard
Poncelet – placé en responsabilité de
chapeauter l'Irffe et son CFA associé [ 2 ]CFA Essas, dispensant des formations
dans les domaines de l'animation, du sport
et de l'économie sociale.,
où sont dispensées en alternance des
formations d'éducateurs spécialisés et
de moniteurs-éducateurs.
Un certain nombre de tensions sont
apparues chez les salariés de l'Irffe, se
traduisant par des arrêts maladie – “souvent
non remplacés" – des démissions,
une surcharge de travail et une explosion
des heures supplémentaires réalisées
par les formateurs. Didier Cardon
assure qu'“à l'époque, on nous avait
signalé que le CREAI interdisait à ses services
RH de s'entretenir avec les salariés de
l'Institut de formation…"
Crise de confiance
Une crise sociale sur laquelle s'est alors
greffée une crise de confiance entre
l'école et sa tutelle. “Ce fut le moment
où le CREAI décida de mettre en place
ce que ses dirigeants nommaient alors
des services mutualisés", raconte Gérard
Poncelet. Services qui, concrètement,
consistaient à mettre en commun les
trésoreries des deux structures. “Le
CREAI, à cette époque, se trouvait en
grande difficulté financière, explique le
délégué CGT, aussi, cette mutualisation
des moyens permettait, dans les faits, au
CREAI de se faire financer par l'Irffe."
Soixante-dix salariés pour l'Irffe, une
dizaine pour le CREAI… “était-il
normal que, dans ces conditions, les frais
de siège du Centre, correspondant aux
salaires de la directrice générale, de son
assistante et du directeur administratif
et financier aient été fixés à 220 000
euros par an ?", s'indigne le cégétiste
qui, aujourd'hui encore, avoue
ignorer à combien exactement a pu
se monter la “participation" de l'Irffe
aux activités budgétaires du Centre. Et
notamment aux indemnités de départ
de la directrice générale, en 2009, après
son licenciement. “C'était en réalité
une rupture conventionnelle, mais la
présidence du CREAI l'a qualifiée en
licenciement afin de permettre que celle-ci
quitte l'association avec près de 100 000
euros, ce à quoi le CE s'est évidemment
opposé !" Une accumulation de faits
qui se sont conclus, la même année,
par une première grève. “Une heure à
peine pour souligner notre insatisfaction,
sans pour autant nuire au cursus de nos
étudiants."
Enquête et audit
Alertées par les représentants du personnel,
l'Inspection du travail et la Région Picardie
ont, en 2010 et 2011, commanditées
respectivement une enquête de la part
de l'Aract (Association régionale pour
l'amélioration des conditions de travail)
et un audit financier. “Côté financier,
les inspecteurs n'ont relevé aucune
malversation", indique Didier Cardon.
De son côté, Gérard Poncelet parle
de “manipulations peut-être légales,
mais tout de même très torturées". Sans
compter qu'en l'absence de directeur,
c'est aux responsables de pôle de l'école
qu'est revenu – de fait – le soin d'en
assurer l'intérim gestionnaire, jusqu'à
la nomination, en octobre 2011,
de Stéphane Doutrelon à la tête de
l'établissement. “Mais son poste était
verrouillé. Il ne disposait ni des fonctions
RH, ni du contrôle du budget…",
observe le syndicaliste CGT. Était,
car, depuis le 7 septembre 2013, celuici
a quitté son poste pour assurer
la direction de l'IRTS de Poitou-
Charentes. Joint par L'Inffo, Stéphane
Doutrelon n'a pas donné suite à notre
demande d'entretien.
Une feuille de route régionale pour le nouveau président
Il n'est d'ailleurs pas le seul aux
abonnés absents. Roland Lefèvre,
président du Centre depuis 2007, a lui
aussi signifié sa démission au mois de
juin, remplacé, depuis le 27 septembre
par Marc Launnoy. Marie-Pierre
Delignières, directrice générale du
CREAI est injoignable car en arrêt
maladie depuis plusieurs mois. Un
arrêt maladie qui touche également
son directeur administratif et financier.
“Pour être franc, cette situation agace
Claude Gewerc, le président de la Région
Picardie", confesse Didier Cardon.
Il n'est pas le seul, d'ailleurs, puisqu'au
vu de la situation, les étudiants de l'Irffe
se retrouvent pris entre le marteau et
l'enclume. “Avec tous ces responsables
qui ont pris la poudre d'escampette, nous
avons eu peur que l'Irffe ne puisse pas
assurer la rentrée de septembre", confie
S. [ 3 ]Anonymat respecté à sa demande., étudiant en troisième année.
“Mais au-delà, l'absence de président ou
de directeur empêche nos certificats de
formation d'être signés ! Ils ne sont donc
ni recevables par Pôle emploi, ni pour
l'obtention de bourses ou des aides au
logement…"
Une situation qui a amené une
délégation estudiantine à solliciter le
CREAI pour que son vice-président
puisse disposer du mandat de signature
nécessaire. “Cette formalité technique
est possible", rassure Didier Cardon. La
Région, elle aussi, a été sollicitée pour
régler les problèmes de gouvernance à
la tête de l'Irffe et, pour l'heure,
contrainte par le respect réglementaire,
elle a, durant l'été, rédigé une feuille
de route qu'il appartiendra à Marc
Launnoy d'appliquer.
Mais au-delà de la nomination d'un
nouveau président pour le CREAI,
la Région envisage sérieusement
d'extraire l'Institut de la tutelle du
CREAI et de constituer un groupement
d'intérêt public (GIP) pour en
assurer le pilotage. C'était d'ailleurs
une revendication des organisations
syndicales durant le conflit. “Que le
CREAI fasse partie du GIP, nous n'y
sommes pas opposés, explique Gérard
Poncelet, mais qu'il ne soit plus l'organe
de direction de l'Irffe."
Le 4 octobre, Marc Launnoy présentait
d'ailleurs sa feuille de route à l'occasion
de l'AG de l'établissement. Mais si la
confiance a été renouée, les salariés ne
lui accordent pas un blanc-seing pour
autant. “Il ne faudrait pas qu'il se trompe
dans l'orientation de sa gouvernance,
assure le délégué cégétiste, car selon
l'expression à la mode : on ne lâchera
rien !"
Notes
1. | ↑ | Sur ses trois sites d'Amiens, Laon et Beauvais. |
2. | ↑ | CFA Essas, dispensant des formations dans les domaines de l'animation, du sport et de l'économie sociale. |
3. | ↑ | Anonymat respecté à sa demande. |