L'UIMM a regagné son influence dans le champ de la formation

Par - Le 01 novembre 2013.

Affaiblie par le procès de son ancienne équipe dirigeante, accusée d'avoir alimenté une “caisse noire",
l'Union des industries et métiers de la métallurgie veut prouver qu'elle a rompu avec les pratiques
du passé. Y compris en matière de formation professionnelle.

Lundi 21 octobre. Neuf hommes
et une femme s'entassent sur le
banc des prévenus, dans la célèbre
salle des criées du tribunal correctionnel
de Paris. Parmi eux, Denis
Gautier-Sauvagnac, ex-président et
délégué général de l'UIMM, et son ancien
adjoint Dominique de Calan de Lalande,
poursuivis pour abus de confiance au
détriment des adhérents de la fédération de
la métallurgie. Au terme de deux semaines
de procès, la procureure requiert contre eux
des peines d'emprisonnement de douze et
huit mois avec sursis, respectivement [ 1 ]L'enquête judiciaire avait démarré en septembre
2007 par un signalement au parquet de Paris de
Tracfin, la cellule anti-blanchiment du ministère de
l'Économie. Le tribunal correctionnel de Paris rendra
son jugement le 10 février prochain.
.
Interrogé sur les bénéficiaires des
15,6 millions d'euros provenant de
la caisse noire [ 2 ]L'Epim (entraide professionnelle des industries
et des métaux) a été créée par l'UIMM en 1972
pour apporter “un appui moral et matériel" à ses
adhérents en cas de grève de leurs salariés.
sur lesquels la Justice
a enquêté, Dominique de Calan a
répondu lors d'une audience : “Les associations,
les partenaires sociaux, les intel-
Affaiblie par le procès de son ancienne équipe dirigeante, accusée d'avoir alimenté une “caisse noire",
l'Union des industries et métiers de la métallurgie veut prouver qu'elle a rompu avec les pratiques
du passé. Y compris en matière de formation professionnelle.
lectuels, les médias et les pouvoirs publics."
Inconnu du grand public, “Calan", comme
on l'appelait familièrement avenue de
Wagram, au siège de sa fédération, a
marqué de son empreinte le monde de la
métallurgie. Surtout, il a été l'homme fort
de la formation professionnelle en France
pendant plus de vingt ans.

“J'ai été quasiment l'inventeur du Dif ",
lance-il fièrement, quelques heures avant
le début d'une audience au tribunal. En
apparence pas le moins du monde affecté
par le procès en cours. Six ans après avoir
quitté ses fonctions au sein de la puissante
UIMM, Dominique de Calan n'a guère
changé. Sûr de lui, il égrène son bilan sans
l'ombre d'un regret.

Son principal motif de satisfaction ? La
création d'écoles d'ingénieurs par la voie
de l'apprentissage. À l'époque où, assure-il,
syndicalistes et patrons tordaient le nez à
l'évocation des formations en alternance
pour les niveaux de qualifications les plus
élevés. “Quand j'ai quitté l'UIMM, 22
écoles d'ingénieurs préparaient à 30 diplômes
différents", se félicite-t-il.

“I want my money back"

Défenseur intransigeant des intérêts du
patronat de la métallurgie, Dominique
de Calan en imposait. Fort d'un réseau
territorial sans équivalent,
Dominique de Calan “appliquait à la lettre
la devise de l'ancienne Premier ministre
britannique Margaret Thatcher" : “I want
my money back" (en français : je veux
récupérer mon argent), analyse Jean-
Claude Quentin, l'ancien patron du pôle
formation à Force ouvrière. “Dans les
négociations, au niveau interprofessionnel,
l'UIMM ne pouvait admettre que figure une
disposition impliquant que les financements
de la métallurgie échappent à ses propres
centres de formation. En matière d'alternance,
apprentissage et contrat de professionnalisation,
l'UIMM est structurée de telle manière
que les financements des entreprises circulent
dans les organismes satellites de l'UIMM, en
toute légalité." En l'occurrence, les fameux
centres de formation d'apprentis de l'industrie
et les AFPI (Associations de formation
professionnelle de l'industrie).
Une position assumée sans ambages par
de Calan. “Quoi de plus normal, la négociation
est un compromis. Pas sûr que Monsieur
Quentin se réjouisse de mon départ", fait-t-il
remarquer.

S'il ne se réjouit pas de la tournure des
événements, Jean-Claude Quentin épingle
sévèrement les méthodes de son ancien interlocuteur.
“De Calan est un provocateur, un
manipulateur, ce qui n'est pas obligatoirement
négatif. Tout négociateur a dans sa panoplie
un peu de provocation et de manipulation.
Mais il avait un défaut, celui de toujours
chercher à passer en force", se souvient
l'ancien dirigeant de FO.

En juin 2004, Jean-Jacques Briouze
(CFE-CGC), le président de l'Agefal,
l'ancêtre du Fonds paritaire de sécurisation
des parcours professionnels, est débarqué
du jour au lendemain. “J'avais déplu à
Monsieur de Calan, qui a demandé au
secrétaire général de ma confédération de me
faire partir", témoigne l'ancien responsable
formation de la confédération des cadres.
De Calan ne dément pas : “C'est une affaire
interne à la CFE-CGC. J'entretenais en effet
d'excellents rapports avec le numéro deux de
la CFE-CGC."

C'est surtout dans l'orbite patronale
que Dominique de Calan exerçait une
influence prépondérante. Son bras de fer
victorieux avec Alain Dumont, le directeur
formation du CNPF (Centre national du
patronat français) dans les années 90 puis
du Medef, est resté dans les mémoires.
“Alain Dumont était un homme ouvert au
dialogue, prêt à avancer pour renforcer les
compétences des salariés. Tout le contraire
de Calan, pour qui tout compromis était
synonyme de perte de pouvoir", relate Jean-
Jacques Briouze.

Lobbying parlementaire

Dans le contexte du déclin de l'industrie
française, les organisations syndicales
et le CNPF prennent conscience de la
nécessité de financer la reconversion des
salariés de la métallurgie vers d'autres
branches. Le 26 juillet 1995, quatre
syndicats concluent un accord interprofessionnel
au terme duquel les Opca de
branche devront reverser 35 % de leur
collecte au titre de l'alternance (0,4 % de
la masse salariale) aux collecteurs interprofessionnels,
Agefos-PME ou Opareg,
l'ancêtre d'Opcalia. Trois jours après la
signature de cet accord, l'UIMM fait
passer l'amendement dit Bachelot [ 3 ]Roselyne Bachelot, députée RPR du Maine-et-
Loire, future ministre de la Santé.
, l'exonérant
de ce versement. “Messieurs Alain
Dumont et Jean Gandois (président du
CNPF à l'époque) n'avaient rien compris
en 1995. En nous enlevant ces 35%, ils
tuaient l'apprentissage, c'était inadmissible.
Avec le bâtiment et la CGPME, j'ai pris
mon téléphone, et nous avons obtenu gain
de cause", explique Dominique de Calan.
Vaincu, Dumont rentre dans le rang et
laisse la main à de Calan.

2001 : le syndicat et le patronat négocient
un accord national interprofessionnel sur
la formation. Chef de file de la délégation
patronale, Francis Mer − le futur ministre
de l'Économie −, est effacé par de Calan,
qui orchestre les discussions avec la
partie syndicale... Le scénario se répétera
deux ans plus tard, avec la négociation
qui aboutira à l'accord créant le droit
individuel à la formation.

Après 2007, l'UIMM
en (relatif) retrait


L'affaire de la caisse noire met un terme
brutal à l'hégémonie personnelle de
Dominique de Calan et à celle de la métallurgie.
“Après 2007, l'UIMM a fermé les
écoutilles et s'est placée en retrait sur l'interprofessionnel
national. Au profit des techniciens
du Medef, qui ont pris du poids dans les
négociations interprofessionnelles", observe
François Hommeril, secrétaire national
chargé de la formation professionnelle à la
CFE-CGC de 2010 à 2013.

Avec l'élection d'un des siens à la tête du
Medef, Pierre Gattaz, et la nomination de
son délégué général, Jean-François Pilliard,
au poste clé de vice-président en charge
du social, l'UIMM a retrouvé toute son
influence. Qu'elle n'avait bien sûr pas tout
à fait perdue...

Ainsi, en 2009 et 2010, l'Opcaim, Opca
de la métallurgie (le deuxième de France en
termes de collecte, derrière Agefos-PME et
devant Opcalia), a bénéficié à lui seul de
83 % des financements du Fonds unique
de péréquation puis du Fonds paritaire de
sécurisation des parcours professionnels, en
matière de chômage partiel. Contre 10 %
pour Opcalia et 6 % pour Agefos-PME.

L'Opcaim, bien présent

“Si l'on compare la mobilisation des opérations
Fup et FPSPP chômage partiel par les
Opca avec les établissements de leur secteur
ayant obtenu une autorisation de chômage
partiel, l'écart en faveur de l'Opcaim est très
important. Ceci dit, ce taux très élevé d'actions
développées au titre des opérations Fup et
FPSPP Chômage partiel chez les adhérents
de l'Opcaim s'explique par la taille plus
importante des établissements de cet Opca",
détaille une étude du cabinet Geste sur les
actions de formation relatives au chômage
partiel financées par la péréquation.

Rien de grave, selon Stéphane Lardy,
actuel secrétaire confédéral de FO
chargé du pôle formation professionnelle
et emploi. “Cela ne me choque pas
que la majorité des fonds de l'appel à projets
chômage partiel aille à la métallurgie. Ce
secteur a été particulièrement touché par
la crise, et a dû faire beaucoup appel à
ce dispositif. Par contre, au niveau du
FPSPP, FO fait savoir qu'il était nécessaire
d'apporter des précisions sur ce qui se passe
derrière, sur la manière dont l'argent est
employé. Nous craignons que ces sommes
soient utilisées à du refinancement de plan
de formation, que ce qui devait pourvoir
à des politiques conjoncturelles devienne
structurel." Quel que soit le jugement du
tribunal correctionnel de Paris, les jours
de l'UIMM sont loin d'être comptés.

Notes   [ + ]

1. L'enquête judiciaire avait démarré en septembre
2007 par un signalement au parquet de Paris de
Tracfin, la cellule anti-blanchiment du ministère de
l'Économie. Le tribunal correctionnel de Paris rendra
son jugement le 10 février prochain.
2. L'Epim (entraide professionnelle des industries
et des métaux) a été créée par l'UIMM en 1972
pour apporter “un appui moral et matériel" à ses
adhérents en cas de grève de leurs salariés.
3. Roselyne Bachelot, députée RPR du Maine-et-
Loire, future ministre de la Santé.