Le Dif : pourquoi n'a-t-il jamais trouvé sa place ?

Par - Le 16 septembre 2013.

Voici un peu plus de dix ans, le Dif était présenté comme une petite révolution, son chiffrage faisait même
peur. Las ! Peu ou pas compris, peu ou pas utilisé, il semble aujourd'hui voué à disparaître, remplacé par
le “compte personnel de formation", en cours de gestation. À supposer que ce ne sera pas qu'un simple
changement de nom : auquel cas, les mêmes causes pourraient bien produire les mêmes effets.

En 2011, un cinquième seulement
des entreprises ont eu
recours au droit individuel à la
formation (Dif) pour former
un peu plus de 670 000 salariés.
Lorsqu'il est utilisé, sa durée moyenne
− 22 heures − est stable d'une année
sur l'autre, alors que les droits ouverts
augmentent de 20 heures chaque année.

Par ailleurs, le taux d'utilisation
n'est que de 2 % dans les entreprises de
10 à 19 salariés, contre 8,5 % dans les
entreprises de plus de 2 000 salariés.
C'est le “bilan décevant" que dresse
une étude du Céreq (Centre d'études
et de recherches sur les qualifications) [ 1 ]Étude rendue publique le 17 juin 2013, intitulée
“À l'aube de la mise en oeuvre du compte personnel
de formation, retour sur les usages du Dif".
.

À ses yeux, le Dif n'a “pas frappé assez
fort pour modifier sensiblement le paysage
de la formation continue en France,
son usage évoque plutôt un type d'action
de formation relevant plus de l'adaptation
à l'emploi que du développement des
compétences". De plus, juge le Céreq,
“le faible usage actuel du Dif interroge
sur la capacité des règles élaborées par les
partenaires sociaux et approuvées par le
législateur à rencontrer l'assentiment des
opérateurs concernés : entreprises et salariés".

L'ensemble du système juridique est concerné

Mais “la question du maintien ou non
du Dif ne se résume pas à la mesure de
son audience !, souligne Jean-Philippe
Cépède, directeur juridique-observatoire
à Centre Inffo. Le Dif fait partie
d'un système juridique qui organise le
départ en formation des salariés. Lorsque
se pose la question du maintien d'un dispositif,
c'est l'ensemble du système juridique
qui est concerné. Les questions de
sa substitution par le compte personnel de
formation (CPF) ou de sa fusion avec le
congé individuel de formation (Cif ) sont
posées, mais au-delà de l'audience des dispositifs,
de leur nombre et de leur appellation, la question principale à laquelle
sont confrontés les partenaires sociaux et
le législateur est celle de savoir sur quels
mécanismes doivent reposer les départs
en formation des salariés." En somme,
l'appellation “droit individuel à la formation"
peut disparaître, mais les mécanismes
qui le caractérisent seront plus
difficiles à faire disparaître. De la même
manière, le Cif pourrait être fusionné
avec le Dif dans le CPF, mais les mécanismes
sur lesquels il repose auront du
mal à être remis en cause.

“Les mêmes mécanismes vont perdurer"

“Le Cif et le Dif sont construits sur des
mécanismes originaux. Avec le Cif, c'est
l'autorisation d'absence pour formation,
des reports possibles, mais pas de
refus envisageable par l'employeur, alors
qu'est mis en place, dans le cadre du Dif,
un compteur, un départ négocié, ainsi
qu'une transférabilité, devenue aujourd'hui
la portabilité", explique Jean-
Philippe Cépède. L'une des modalités
pour le CPF de fusionner le Dif et le
Cif “peut être de reprendre leurs mécanismes.
Il semble en tout cas difficile
d'imaginer que le CPF fasse disparaître
un ou plusieurs de ces principes sans
proposer de nouveaux mécanismes aussi
fondateurs, qui garantiront le départ en
formation des salariés".

Au-delà des mécanismes, le Dif constitue
une modalité de mise en oeuvre
des principes sur lesquels reposent les
départs en formation des salariés. Deux
grands principes caractérisent ce système
juridique :

 les obligations de formation de l'employeur
(trois niveaux différents selon les
objectifs de formation) ;

 les trois initiatives possibles : l'employeur
(le plan de formation), le salarié
avec l'accord de l'employeur (le Dif ), le
salarié (le Cif ).
“Pour l'instant, il n'est pas envisagé de
remettre en question ces deux principes.
Par conséquent, comme leur mise en oeuvre
repose sur les mécanismes du Dif et du
Cif, si le CPF prend le relais, il pourrait
reprendre ces mêmes mécanismes ou en proposer
de nouveaux, indique Jean-Philippe
Cépède. Si l'on compare les dispositifs de
formation à des voitures, la question qui est
posée aujourd'hui avec le CPF n'est pas de
savoir si on crée un nouveau modèle de voiture
essence ou diesel, mais si on remplace le
moteur à explosion par un moteur hybride
ou électrique."

Acquis du Dif, la logique de “co-construction"

Il est sûr que le compte personnel de
formation remplacera le Dif à partir du
1er janvier 2015. Mais “nous ne savons
pas pour autant comment se fera la transition
entre les deux dispositifs", précisait
Jean-Pierre Willems, juriste-expert en
droit de la formation, lors de la première
Agora RH organisée par l'Opca Forco,
le 25 juin dernier [ 2 ]La rencontre avait pour thème “Quelles perspectives
pour la formation professionnelle en 2014 ?".
. En effet, avait-il expliqué, le Dif a été construit “dans une
logique interne de dialogue autour des besoins
de formations entre l'employeur et le
salarié, et par conséquent de co-construction
de la politique de formation des entreprises
au travers de l'entretien professionnel".

Avec le CPF, “nous passons de la gestion
de la politique de formation à la gestion de
l'employabilité des salariés. Nous déplaçons
l'anticipation sur l'emploi et l'activité et
non sur la formation. Les pouvoirs publics
vont d'ailleurs dans ce sens, en concentrant
les efforts vers les politiques de l'emploi plus
que vers la formation interne à l'entreprise.
Ce qui conduit à une politique de gestion
de flux des urgences et des priorités".

Le CPF, un compte en temps et non en argent... comme le Dif

Quel rôle le responsable formation
pourrait-il jouer dans cette nouvelle
configuration ? Selon Jean-Pierre Willems,
le CPF prenant la suite du Dif, “le
responsable formation peut avoir le sentiment
d'être lâché dans la construction de
la politique de formation, alors qu'il avait
porté des projets au travers du Dif ". Et de
se demander : “Que faire de cette politique
en cours, alors qu'un nouveau dispositif
arrive ; comment basculer d'une politique
Dif vers un CPF qui sera financé grâce à
une réorientation des financements et non
pas par des financements nouveaux ?" La
question du financement du futur dispositif
suscite de pertinents questionnements. Selon Jean-Pierre Willems, “si
on veut que le CPF fonctionne, nous ne
pouvons pas avoir des priorités aussi largement
définies que pour le Dif". Il estime
que l'on ne pourra pas “faire de la formation
calibrée sur la politique de formation
de l'entreprise. La logique est d'orienter le
CPF sur des publics prioritaires, la transition
entre les deux va donc être une véritable
difficulté".

Selon Jean-Pierre Willems, “il va falloir
expliquer que tous les salariés sont titulaires
d'un compte mais qu'il n'y a pas d'argent
dedans, seulement des heures qu'ils ne
peuvent pas mobiliser seuls..." Dans son
étude, le Céreq précise qu'“il est difficile
de penser qu'un compte personnel de formation
adossé aux mêmes règles que le Dif
pourrait connaître un autre devenir".

Le Dif a manqué son but : les moins qualifiés.

Au Garf (Groupement des animateurs et
responsables de formation en entreprise),
“nous mettons en pratique le Dif dans plusieurs
centaines d'entreprises, ce qui nous
donne de nombreux retours d'expérience et
nous permet de mettre en lumière les bonnes
pratiques de ce dispositif vieux de dix ans",
indique Stéphane Diebold, président de
cet organisme qui réunit les responsables
formation de 800 entreprises.

Les responsables formation dans l'expectative

Selon lui, ce qui est important, dans la
démarche actuelle, est de “reprendre l'histoire
du Dif et de voir ce qui marche ou
pas". Le président du Garf reconnaît que
“l'usage du Dif n'a pas connu un très grand
succès. À l'origine, l'idée était qu'en individualisant,
on permettrait aux personnes les
moins qualifiées d'accéder aux formations,
avec l'idée égalitaire de la formation pour
tous. Malheureusement, le Dif a poursuivi
les inégalités. Ce sont les consommateurs
traditionnels de formation qui l'ont le plus
utilisé". Alors, la meilleure démarche,
selon lui, serait de “réinterroger non pas
le Dif avec sa volonté d'individualisation,
mais le collectif ". En clair : “Pourquoi les
entreprises devraient-elles demander aux
individus d'avoir une visibilité sur leur
parcours professionnel sur trois ou cinq ans,
alors qu'elles-mêmes n'ont plus de visibilité
sur trois mois et plus ?" Stéphane Diebold
insiste : “Dans un monde où on ne sait
plus où on va, nous devons réinterroger
notre façon d'apprendre ; sortir du moi, de
l'individuel pour s'installer dans le nous,
le collectif. Il s'agit de nouvelles logiques
d'apprentissage. Le meilleur espace pour le
faire, c'est l'entreprise."

“Les responsables formation attendent
avec intérêt les modalités opératoires
du CPF. Ils sont impatients de savoir
concrètement comment passer du Dif au
CPF", poursuit le président du Garf.
Ils y voient une volonté de faire entrer
de la formation des publics éloignés
du marché du travail, qui n'était pas
directement financée par les entreprises...
Le Garf n'est pas opposé à
une réflexion sur le Dif, mais celle qui
est engagée semble exclure les acteurs
des entreprises, qui redoutent d'être
piégés. Stéphane Diebold s'interroge :
“Pourquoi les entreprises paieraient-elles
pour former les personnes éloignées de
l'emploi ? Alors qu'elles ont elles-mêmes
des difficultés pour survivre ?"

Mais le vrai questionnement est :
“Comment fait-on pour que ceux qui
sont en poste puissent s'adapter à l'évolution
du marché et assurer les transformations
au sein des entreprises ?"
Stéphane Diebold craint que le 0,9 %
soit mis à contribution, mettant en
péril l'employabilité et l'efficacité des
salariés et des entreprises. Il prône la
mise en place d'un lieu de réflexion en
profondeur et de retour d'expérience
sur cette question de la formation et
de l'apprentissage aujourd'hui pour
demain, sans le limiter aux seuls partenaires
sociaux.

Notes   [ + ]

1. Étude rendue publique le 17 juin 2013, intitulée
“À l'aube de la mise en oeuvre du compte personnel
de formation, retour sur les usages du Dif".
2. La rencontre avait pour thème “Quelles perspectives
pour la formation professionnelle en 2014 ?".