Nicolas Ehrhart, artisan vélociste

Par - Le 01 octobre 2013.

Les stabilisateurs sont encore présents,
mais le pilote n'en est pas moins fier.
Le casque a tout d'une cagoule, mais le
guidon est tenu fermement, les pieds sont
bien calés sur les pédales, le blouson
remonté. C'est sûr : l'asphalte va défiler.

Du reste, est-ce une Harley ou un vélo ?
Il faudrait, pour le savoir, remonter dans
les souvenirs de Nicolas Ehrhart, 4 ans
sur la photo qui orne sa carte de vélociste
indépendant. Encore plus que sa page
Facebook, cette carte lui vaut sésame
dans le coeur d'une clientèle pour qui la
bicyclette est bien autre chose qu'un objet
mondialisé parmi d'autres… “Les gens ont
un affect particulier avec le vélo, peut-être
parce que c'est le premier véhicule qu'ils
ont pu maîtriser en totale indépendance",
commente-t-il. L'indépendance, lui la
conquiert en s'essayant à divers métiers :
commis de cuisine, libraire ou steward en
wagon-lit, rien ne le prédestine alors au
monde du vélo. Passionné par les Vespas
à l'adolescence, il s'était même juré qu'il
ne pédalerait plus jamais de sa vie. C'est
d'ailleurs nanti d'un moteur qu'il devient
coursier, enthousiaste jusqu'à finir sous un
taxi. Plus de peur que de mal mais à court
d'idées, à court d'argent, il accepte d'aller
faire le mécano chez Bicloune, fameuse
enseigne de vélociste parisien.

Détour formateur par l'industrie

Formé sur le tas, il y vit sa première
expérience professionnelle de longue
durée : cinq ans à découvrir que la
subtilité de l'entretien des vélocipèdes
doit beaucoup aux standards, conçus selon
lui “pour que l'on s'y perde…" Au moins
ne s'ennuie-t-il pas et, pour la première
fois, ne pense plus à changer de secteur
lorsqu'il change d'employeur. Ironie de la
vie, il déménage alors à Rouen et découvre
que la Haute-Normandie ne l'attend pas.

Que faire ? Tenté par l'industrie, le voici
à l'Afpa de Saint-Étienne-du-Rouvray
pour passer un diplôme de fraiseur puis,
après quelques expériences, un diplôme
de technicien d'atelier automatisé. C'est
avec Robert Linhart en tête, sociologue
communiste français entré comme ouvrier
spécialisé chez Citroën, qu'il rejoint la
marque aux chevrons dans son usine
d'Asnières. Verdict ? “C'était important,
il fallait que je me tape les 3/8 pour
découvrir en vrai l'industrie bête et
méchante…" Suivent une dizaine d'années
en tant que chef d'atelier dans l'industrie
aéronautique. Quand le dialogue social
se durcit, il sent une page se tourner et
négocie une rupture conventionnelle.

Renouer avec le savoir-faire français

“C'était l'explosion du fixie [vélo à
roue fixe, prisé des cyclistes branchés],
j'ai créé dans la foulée ma boutique."
Objectif : fabriquer des vélos
en s'inspirant de la richesse
du patrimoine français en la
matière. Installé depuis 2011
dans le XVIIe arrondissement
parisien, à deux pas du métro
Guy-Môquet, devanture en
bois façon Amélie Poulain
et atelier à l'ancienne,
Nicolas Ehrhart tient plus de
l'artisan que du revendeur
de machines high-tech sitôt
vendues sitôt obsolètes.
Mais attention, véritable
champion du redressement
productif, l'homme n'a rien
du conservateur de musée.
Ce qui est ancien l'intéresse
car il y trouve un savoirfaire
qu'il se désole de voir
disparaître. “Il y a eu une
grande tradition du vélo dans
ce pays", rappelle-t-il. Que
faudrait-il pour la relancer,
à l'heure où Asiatiques mais
aussi Allemands, Hollandais
et encore quelques Italiens profitent de
l'engouement renouvelé pour la petite
reine ? “Ce qui fait le succès du vélo, c'est
la crise", lance-t-il, un brin pessimiste. De
fait, avec une activité aujourd'hui centrée
à 80 % sur l'entretien et la réparation,
son enseigne survit. “Gagner de l'argent
avec un boulot du tiers-monde, c'est
âpre", poursuit-il. Reste qu'il entend bien
poursuivre l'aventure. À ses côtés, un
jeune auto-entrepreneur en résidence dans
sa boutique usine une fourche à partir des
plans apportés par un client. L'ancien chef
d'atelier aéronautique en est convaincu :
le sur-mesure, le luxe, la “tradition chic",
voilà qui pourrait bien faire décoller les
Cycles Nicolas Ehrhart.

1998 - titre professionnel de fraiseur (Afpa)

2000 - titre professionnel de technicien d'atelier automatisé (Afpa)