Quels usages pour le compte personnel de formation ?

Par - Le 01 avril 2013.

Compte. Dès le premier mot de l'intitulé du futur dispositif - inscrit dans l'Ani du 11 janvier 2011, puis dans le projet de loi “sécurisation de l'emploi" - le problème est posé. Ce droit devra être financé, et l'Igas, consultée sur la question, prévient déjà des répercussions. La “créance" pourrait être plus large que prévu.

Jeunes décrocheurs, actifs sans qualification, en transition professionnelle ou demandeurs d'emploi… Pour illustrer la mise en œuvre du (futur) “compte personnel de formation" tout au long d'une vie professionnelle, une note de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales), présentée au CNFPTLV le 18 mars dernier, fait une simulation de son usage en fonction des principaux statuts sur le marché du travail. Indiquant d'emblée que si les formes d'abondement du compte restaient distinctes en fonction du statut des personnes, son caractère universel se traduirait à la fois par la traçabilité de ces abondements, et par “la faculté nouvelle offerte à la personne de les conjuguer pour assurer le financement de son projet : créance, dotation, cumul de droits acquis, droit de tirage, épargne, etc."

Jeunes décrocheurs

Les jeunes de 18 à 24 ans étant sortis du système scolaire sans qualification représenteraient, en 2011, un total de 680 000 personnes.

Il est notamment prévu par l'Ani du 11 janvier 2013 (article 5) qu'une personne sortie du système de formation initiale sans qualification pourra “bénéficier, avant son premier emploi, d'un compte personnel de formation pris en charge financièrement par les pouvoirs publics". L'Igas s'interroge pour savoir si “cette première étape de mise en œuvre d'un droit de créance, ouvert de façon non pas universelle, mais ciblée, sur le pouvoir public État (en l'occurrence le système d'Éducation nationale) doit, ou non, être considérée comme partie intégrante du compte".

Actifs sans qualification

Selon l'Insee, en 2011, 26,2 % des actifs (en emploi ou non) étaient dépourvus de diplôme. La question soulevée par l'Igas à cet égard est de savoir si “au nom des principes d'égalité et d'équité, l'atteinte du premier niveau de qualification est considérée comme une créance de la personne sur la collectivité". Elle irait ainsi au-delà de celle des partenaires sociaux signataires de l'Ani, puisqu'elle couvre les personnes par-delà leur premier emploi.

“Reste posée la question de savoir si l'abondement public doit couvrir la totalité du droit d'accès à un premier niveau de qualification, ou si les personnes peuvent être appelées à mobiliser en complément tout ou partie des droits à formation qu'elles ont acquis au titre de leur activité professionnelle", souligne la note, qui fait notamment référence au Dif non consommé, portable, au Cif ou encore au compte épargne temps. Si, en vertu du principe d'équité, l'on optait pour une créance “strictement identique" pour toutes les personnes sorties du système de qualification (en emploi ou non), cela aurait un “fort impact en termes de coûts pour la collectivité"...

Actifs en situation de transition

Selon la réflexion du groupe de travail du CNFPTLV, le futur compte personnel doit permettre, pour les actifs en mobilité professionnelle, de “conjuguer l'abondement éventuel sous forme de créance et/ou de dotation qui résulte du statut et/ou de la situation, avec le cumul des droits acquis au titre de l'activité professionnelle", écrit l'Igas. Compléter un éventuel apport public par l'utilisation du Cif, du Dif ou encore par la mobilisation du CET est, dans ce cas, considéré comme “un enjeu majeur".

Demandeurs d'emploi

La note indique que les modalités d'achat public de formation dans chaque région vont faire l'objet d'une modification dans le cadre du projet de loi de décentralisation, qui prévoit, à ce stade, d'instaurer le Conseil régional en unique acheteur public de formation, y compris pour le compte de Pôle emploi.

L'inscription sur le compte personnel du droit à se former du demandeur d'emploi, traduit en heures ou en euros, constituerait une forme d'abondement par “dotation". Le compte permettrait au demandeur d'emploi de conjuguer, au service de son projet personnel de formation, ces droits, reconnus par Pôle emploi et/ou la Région, avec ceux inscrits au titre du cumul des acquis résultant de son activité professionnelle antérieure à la période de chômage, dont le Dif portable.

Aurélie Gerlach

INTERROGATIONS SUR LE FINANCEMENT

“Le compte personnel de formation, c'est le Dif. Il n'y a pas de nouveauté dans le texte de l'Ani du 11 janvier 2011. Pire encore : le texte indique que ce compte est opposable, transférable et individuel. Ce sont des notions qui nous sont chères. Ces trois mots-là ont été portés par la CGT en 2003 dans l'accord interprofessionnel [relatif à l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle]. Mais l'on transforme ces forces en handicap." C'est ce qu'a déclaré Thierry Lepaon (devenu le 22 mars secrétaire général de la CGT), le 13 mars dernier, à l'occasion de son audition par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi.

À ses yeux, les modalités de fonctionnement et de financement du CPF devraient être renvoyées à une prochaine négociation paritaire. “Ce dispositif permet de cumuler 20 heures de formation par an pendant six ans, et de les transférer dans le sac à dos du salarié, mais
ce droit est porté uniquement par le salarié, puisqu'il n'est pas finançable, et pas financé.

Entre deux salariés, dont l'un à dans son sac à dos 120 heures, et un autre qui n'a pas d'heures…

Quel est celui que va embaucher l'employeur ? Celui qui n'aura pas 120 heures à financer. Je veux bien que vous me donniez le nom, le prénom et l'adresse de l'employeur prêt à financer 120 heures à un salarié qui n'a même pas commencé à travailler", a observé Thierry Lepaon.

“Refaire le Dif ?"

Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de Force ouvrière, chargé du secteur emploi, chômage et formation, audité par la commission le 21 mars, a rappelé que son syndicat n'avait “jamais été contre le compte personnel de formation, mais nous ne voulions pas qu'il soit abordé dans cette négociation. […] Nous sommes surpris du rajout d'un paragraphe qui pose le principe de la création de ce compte [...]. _ Celui-ci laisse penser que la formation professionnelle se réduit au compte personnel ! De plus, on a un peu de mal à comprendre de quoi on parle. Par exemple, qu'est-ce que cela veut dire, « dès son entrée sur le marché du travail » ? Parle-t-on des salariés en emploi ?" Pour Stéphane Lardy, il est nécessaire de renvoyer à la négociation les modalités de mise en œuvre. Et d'insister : “Tous les cinq ans on nous ressort que le système de formation ne marche pas et n'est pas efficace. Moi j'ai envie de demander : quel est l'objectif ? Avoir des chômeurs bien formés ? Avec le CPF tel qu'il est, on nous refait le Dif, et ça ne sert à rien. Il faut bien-sûr nous donner un délai précis, et nous sommes prêts à nous saisir du sujet, mais avec le
dispositif actuel, on court à la catastrophe."

“Ce n'est pas aux entreprises de le financer"

“Tel que nous interprétons l'Ani du 11 janvier dernier, le Dif pourrait se voir transféré dans ce compte", observe pour sa part Jean-Michel Pottier, président de la commission éducation formation de la CGPME, dont l'organisation plaide depuis longtemps pour une fusion du Dif et du Cif, au motif que “le Dif n'a jamais séduit les salariés des PME".

Cependant, au-delà de toute fusion des outils existants, ou de l'ajout d'un nouveau, le vrai problème, à ses yeux, relève
davantage du manque d'appétence des salariés à partir en formation. “À en croire la pensée unique qui préside aux discours sur la formation, on imaginerait presque des files interminables de salariés qui, le ticket à la main, attendent leur tour pour entrer en formation. Or, ce n'est pas le cas ! On ferait bien de réfléchir à cet état de fait, avant d'imaginer toute réforme." Demeure que si elle perçoit d'un bon œil la mise en place du CPF, la CGPME estime que son existence dépasse le simple cadre de la formation professionnelle continue pour relever du concept de “formation initiale différée". Laquelle concernerait également la formation scolaire et universitaire.

CQFD : “Il n'appartient pas aux entreprises de la financer !" Pour la CGPME, les organismes les plus susceptibles de gérer les comptes des salariés (qu'il s'agisse de déduire ou d'abonder les heures de formation du CPF), par le biais de la mutualisation, seraient les Opca. “L'organisme le plus adapté à l'incrémentation du compte est l'organisme payeur", résume le responsable patronal. Une incrémentation qui pourrait s'effectuer par le biais d'un outil dématérialisé (un logiciel ?) encore à créer et qui pourrait permettre aux PME, TPE et à leurs salariés de pouvoir consulter l'état de leur compte.

“Ces idées, que nous avons déjà notifiées au ministre, la CGPME saura les défendre lors des concertations à venir", prévient Jean-Michel Pottier.

Aurélie Gerlach et Benjamin d'Alguerre

“DE LA SORTIE DE L'ÉCOLE À LA RETRAITE"

Les trois représentants de la CFE-CGC, de la CFDT et de la CFTC ont défendu leur signature de l'Ani,l e 13 mars, devant la commission présidée par la députée PS Catherine Lemorton. Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT, a indiqué qu'il se retrouvait “dans cet accord, car il y a des droits nouveaux…" Parmi eux, le compte personnel de formation, “de la sortie de l'école à la retraite", avec désormais un travailleur “acteur de sa vie professionnelle" et prescripteur de ses choix. “Pour le compte personnel de formation, nous ne pouvions pas aller beaucoup plus loin, car nous attendons la loi sur la formation."