Un effort pour la formation continue chez Renault, dans un contexte de crise aiguë

Par - Le 16 juillet 2013.

En dépit de l'annonce de la
suppression de 7 500 postes,
le groupe Renault reste attentif
au maintien de ses engagements
en matière de formation
continue. Il poursuit un triple
objectif : cohérence avec la
GPEC, formation des jeunes,
incitation à l'employabilité
présente et future.

En 2012, les dépenses du groupe
Renault pour la formation professionnelle
étaient en légère diminution
par rapport aux années
antérieures. “Il y a un indéniable effet
crise, les budgets sont diminués. Toutes les
dépenses ont été mises sous contrainte",
note Marie-Laure Greffier, responsable
du service formation chez Renault
France. “Dans le secteur automobile,
la perception d'une crise temporaire s'est
transformée en perception d'une crise durable
mais, pour autant, nous avons fait
le choix de ne pas trop baisser les budgets
de formation, pour garantir l'avenir du
groupe", précise-t-elle.

81,7 millions d'euros en 2012

Ainsi, Renault a investi
81,7 millions d'euros en
2012, contre 87,85 millions
d'euros en 2011
(mais 80,05 millions en
2010). Cette baisse est, selon
Renault, “imputable à
une conjonction de facteurs
tels que la diminution des
achats de formation au profit
de la formation interne,
la diminution des heures
de formation réalisées sur
Renault SAS, corrélée aux
départs ou mobilités consécutives
à l'application de
l'accord GPEC [signé le
4 février 2011 et qui est
prolongé jusqu'en 2016],
ainsi que la diminution des
frais de structure".

Au sens de l'imprimé fiscal 24-83 relatif
à l'obligation de contribuer à la
formation professionnelle continue, la
dépense représente 3,7 % de la masse
salariale (4,1 % en 2011). Donc, bien
plus que l'obligation légale de 1,6 %.
La répartition des “dépenses internes"
et “dépenses externes" reste comparable
à celle des années antérieures (respectivement
66 % et 24 %).

“Égalité de traitement" ouvriers cadres

D'autres éléments semblent constants.
Par exemple, la durée moyenne passée
en formation reste de 31 heures pour
toutes les catégories : 30,9 heures pour
les agents de production (29,5 heures en
2011), 32,8 heures pour les employés
techniciens et agents de maîtrise (31,9
heures l'année précédente) et 29,3 heures
pour les ingénieurs et cadres (30,4 heures
en 2011).

“80 % du personnel actif suit au moins
une formation chaque année, souligne
Marie-Laure Greffier. L'écart type entre
ouvriers et cadres est faible, il y a une
véritable égalité de traitement. D'ailleurs,
cette année, le volume d'heures de formation
est plus important chez les ouvriers
que chez les cadres...." (voir graphiques).
Dans le détail, la répartition des
heures en pourcentage pour les formations
déployées met au premier rang
la “fabrication" (26,06 %) devant le
domaine “supports" (25,7 %) – en
2011, le secteur supports représentait
20,8 % des formations, contre 17,7 %
pour la fabrication. Troisième place
pour “management et développement
personnel" avec 15,4 % des formations
(16,4 % en 2011).

Codes culturels à décrypter

Dans ce domaine, Renault a imaginé
des modules de “formations interculturelles",
nécessaires au décryptage des
codes culturels propres à chaque pays.
“Ce n'est pas propre à Renault France",
précise Marie-Laure Greffier : si les
Français appelés à travailler avec le
personnel de Samsung doivent suivre
une session pour connaître les principaux
us et coutumes coréens, il en est
de même pour les personnels russes de
Renault confrontés à la culture roumaine.
Il faut toutefois noter que le programme
“langues", qui était de 13,9 % en 2011,
tombe à 7,76 %, imputable, selon le
bilan social 2012, “au raccourcissement
volontaire de la durée des parcours langues
(...). 56 379 heures de formation
à l'anglais ont été dispensées auprès de
2 781 personnes. Le réingéniering des
formations à l'anglais, mené début 2012,
permet de maintenir le nombre de formés
tout en diminuant le nombre d'heures
de formation passées sur ces dispositifs
(moins de 27 706 heures)".
Quant à la répartition des stagiaires par
âge, elle est proportionnelle à l'effectif
des actifs : la tranche des “45 ans et
plus" représente 47,6 % des actifs et
réalise 36,8 % des heures du plan en
2012. Les 35-44 ans bénéficient de
34,8 % d'heures de formation, tandis
que les moins de 25 ans n'en ont que
2,8 %. Pourtant, comme dans d'autres
structures “il faut souvent inciter les
salariés à se former, leur expliquer qu'ils
pourront ainsi progresser", note Marie-
Laure Greffier.

Des “écoles métiers" et “Renault Academy"

Pour former les salariés en interne,
Renault a misé sur des “écoles métiers"
dont les principales concernent la
fabrication (plus de 50 % de l'effectif
de l'entreprise est concerné), l'ingénierie
et le commerce.

“Ces écoles sont notamment constituées
de chefs de projet formation et de spécialistes
des métiers, qui travaillent conjointement
à la construction de parcours
formatifs, pour répondre principalement
à trois types de situations professionnelles
: parcours d'intégration des nouveaux
entrants, élévation du niveau de
compétences et parcours de reconversion",
relève Marie-Laure Greffier.
Pour la fabrication, Renault s'est doté
de deux centres qui reproduisent des
ateliers en grandeur réelle : à Flins
(dans les Yvelines), les stagiaires travaillent
sur la carrosserie et le montage,
et à Cléon (près de Rouen), sur
la mécanique et les boîtes de vitesses.
Des écoles pour les métiers d'achatgestion,
d'informatique, de ressources
humaines ou d'informatique sont également
opérationnelles.

Enfin, la “Renault Academy" est le
centre de formation du réseau commercial.
Renault y vend ses propres
formations aux concessionnaires, y
compris les indépendants.
Dans un contexte difficile, l'année
2012 a donc vu une consolidation des
initiatives en faveur de la formation, et
certaines d'entre elles sont parvenues à
maturité, comme les écoles métiers. Et
Renault insiste : le groupe poursuivra

PROMOTIONS STATUTAIRES

Le dispositif de promotion
n des Etam
(employés, techniciens et agents de
maîtrise) au statut de cadre comporte
deux filières : “promotion supérieure
diplômante" et “promotion cadre en
cours de carrière". Celle-ci représente à
elle seule 54 % des heures de formation
du dispositif, devant les formations
diplômantes (40 % des personnes
formées).

LE CONTEXTE SOCIAL

Le 15 janvier dernier, Renault a annoncé
la suppression de 8 260 postes sur la
France d'ici à 2016, ramenés à 7 500
car le groupe devrait aussi recruter
760 personnes sur la même période.
Sur ce total, 1 800 personnes pourraient
être concernées par l'accord GPEC, qui
a pour objectif d'anticiper au mieux les
mutations à venir. Dans cet accord, des
incitations à la “mobilité professionnelle"
en interne, ou en externe, ou encore
des aménagements de fin de carrière
via une dispense d'activité des carrières
spécifiques (DACS) ont été mises en
oeuvre bien avant la loi du 14 juin 2013
relative à la sécurisation de l'emploi.
La crise reste un indicateur prégnant
chez Renault. Mais Marie-Laure Greffier,
responsable du service formation chez
Renault France, insiste sur l'idée que
“les formations pour développer les
compétences des salariés, leur
employabilité, ne sont pas faites
pour les inciter à partir", mais bel et
bien pour préparer l'avenir au sein du
groupe avec des mutations techniques,
présentes et à venir...

COMMENT NE PAS ÊTRE “TROP BIJECTIF" ENTRE L'ACCUEIL ET L'EMBAUCHE

“Il ne faut pas être trop bijectif entre
l'accueil et l'embauche, il faut un partage
intelligent des responsabilités entre les
entreprises", indiquait récemment Jean
Agulhon, DRH de Renault France, lors d'une
rencontre sur le sujet de la formation des
jeunes au sein du groupe. Comprendre : ce
n'est pas parce qu'on accueille qu'on pourra
embaucher.

Pour le coup, Renault accueille environ
4 000 jeunes âgés de 18 à 25 ans chaque
année, soit en stage, soit en alternance.
À la fin de l'année 2012, ils étaient
2 045 alternants répartis en 15 % de bac
professionnel, 41 % de BTS et 44 % de bac
+ 4 (ou plus). “Ce sujet nous tient à coeur...
Notre intention est de préparer l'avenir de
notre entreprise. Nous souhaitons préparer
le meilleur futur possible pour donner des
perspectives et de l'espoir dans le pays
France comme pays « racine » de Renault",
insistait Jean Agulhon. Des perspectives,
mais pas consolidées dans l'immédiat : car
Renault, qui doit supprimer 7 500 postes en
trois ans, n'a pu faire que 200 recrutements
en 2012 et 30 à la fin du mois de mai 2013.
Alors que, voici quelques années encore,
certains sites pouvaient embaucher jusqu'à
2 000 personnes en deux ans.

Permettre aux jeunes de se valoriser... ailleurs

Certes, la politique d'apprentissage est toujours
à l'ordre du jour dans le groupe, mais
sans promesse de CDI. “Nous sommes très
clairs : notre responsabilité est d'encadrer
ces jeunes, de les aider dans leur formation
pour une employabilité. Mais actuellement,
nous ne recrutons pas, même si nous
accueillons des alternants. Ensuite, nous
essayons de les mettre en contact avec des
entreprises qui recrutent", souligne Sophie
Labbey, responsable de la politique jeunes
en France. Selon elle, l'aéronautique, par
exemple, est demandeur de jeunes qualifiés,
tout comme “des fournisseurs communs"
(plasturgie, connectique, textile, ingénierie,
etc.).

Le groupe forme donc pour d'autres entreprises
qui pourraient recruter ces jeunes. Au
risque qu'en période de crise, cette réponse
– même conjoncturelle – apparaisse comme
un mauvais signe pour toutes les personnes
qui cherchent à trouver le chemin le plus
direct possible entre employabilité et emploi.

OBJECTIF : 5 % D'ALTERNANTS
Le nombre d'heures de formation
dispensées dans le cadre de contrats
de professionnalisation est en hausse,
par rapport à 2011, de 9 722 heures
(23 464 heures en 2012, contre
13 742 heures en 2011), notamment
en raison de l'intégration en CDD
de jeunes visant, dans le cadre de
l'alternance, l'acquisition d'un certificat
de qualification paritaire de la métallurgie
(CQPM) ou d'un titre à finalité professionnelle
(listes 1 et 2 de la Commission
paritaire nationale de l'emploi, CPNE).
Selon le bilan social, “en augmentant
le nombre d'heures de stages financés,
Renault est conforme à la politique
de la branche de la métallurgie avec
un objectif de 5 % d'alternants".

Questions à Francis Touny, responsable GPEC au sein de l'“école de la fabrication" de Flins

“Nous proposons une centaine de modules de formation"

Francis Touny pilote les actions
de formation dans cette école
qui existe depuis trois ans.
Le modèle “Global training
center" (GTC) a été inspiré par
le japonais Nissan, partenaire de
Renault, et lui donne aujourd'hui
une dimension internationale.

Pourquoi avoir créé cette “école de la fabrication" ?

Le GTC a trois objectifs : former les
formateurs qui utiliseront les standards de la
fabrication Renault dans tous les centres du
monde, former directement les stagiaires de
certaines usines françaises pour les “métiers
critiques", et, enfin, former des salariés qui
sont confrontés à de nouveaux projets à
l'international, comme l'usine à Tanger.
Le centre forme à tous les métiers importants
de la fabrication. Il y en a une dizaine,
comme l'emboutissage, la tôlerie, le montage
des pièces, la mécanique, la peinture,
l'assemblage, les fonctions support...
Et dans tous ces secteurs, il y a d'autres
subdivisions. Nous proposons actuellement
une centaine de modules de formation, qui
représentent 80 000 heures chaque année.

Qu'appelez-vous “métiers critiques" ?

Ce sont des métiers qui risquent de disparaître
lorsque les personnes partent en retraite,
mais qui sont indispensables à la fabrication.
Par exemple, les outilleurs à l'emboutissage
ou les électromécaniciens sont nécessaires
à nos process. Alors nous avons imaginé des
parcours de reconversion vers ces métiers
qui permettent aux salariés de monter en
compétences.

La GPEC a permis d'identifier les endroits où
les compétences critiques sont nécessaires.
Une cartographie existe pour revitaliser les
sites. Ce plan “parcours GPEC" permet à
l'entreprise de rester très vigilante afin de ne
pas perdre en compétitivité et les salariés, qui
ont du potentiel, peuvent se reconvertir. Ils
sont valorisés par l'apprentissage de nouveaux
métiers sur lesquels mise l'entreprise. En
trois ans, cela représente 160 000 heures de
formation et 140 stagiaires reconvertis sur
le secteur de la fabrication. L'enjeu de notre
centre est stratégique et vital.
Les formations sont-elles longues ou
courtes ?

Tous les cas de figure sont possibles. Certains
viennent à Flins pour des petits modules de
quelques jours à un mois. D'autres pour des
formations en alternance qui peuvent durer
dix-huit mois. Dans ce cas, le stagiaire passe
deux semaines dans l'école, puis retourne
deux semaines sur le site, où il met en
application ce qu'il a appris.

Les formateurs sont-ils tous des salariés de Renault ?

Certains instructeurs métiers peuvent
venir de l'extérieur, mais nous avons 300
formateurs Renault. Les cours sont dispensés
principalement en français. Pour les étrangers
que nous devons former aux standards de
production Renault, des formations peuvent
être faites en anglais ou dans d'autres
langues, car nous pouvons aussi faire appel
à des traducteurs.

Quels sont ces standards de production ?

Nous sommes dans une démarche de
“lean manufacturing" [ 1 ]Inventé par Toyota dans les années 70, système
de production utilisant des “workshops", groupes
où tous les niveaux hiérarchiques se mêlent, avec
un délai court de réalisation (moins d'une semaine),
pour maximiser qualité, coût et délai.
. Nous allons vers un
développement encore plus important de ce
modèle, comme d'ailleurs pratiquement tous
les constructeurs automobiles dans le monde.

Notes   [ + ]

1. Inventé par Toyota dans les années 70, système
de production utilisant des “workshops", groupes
où tous les niveaux hiérarchiques se mêlent, avec
un délai court de réalisation (moins d'une semaine),
pour maximiser qualité, coût et délai.