Apprentissage : les Chambres de commerce entendent garder la main

Par - Le 15 juin 2014.

“Nous sommes, élus et collaborateurs des
Chambres de commerce et d'industrie, des
passionnés de l'apprentissage." À l'occasion
de deux “Journées techniques" sur la qualification
des jeunes et des actifs, organisées
par les Chambres de commerce et d'industrie
(CCI France) les 22 et 23 mai derniers, Patrice
Guezou, directeur formation et compétences
CCI France, a rappelé la principale position
de cette association fédérant les Chambres :
“L'entreprise doit rester un acteur majeur de
l'apprentissage en tant que structure formatrice
co-responsable."

“Nous sommes en terrain
instable"


La réussite de l'apprentissage est la résultante
d'une collaboration entre acteurs publics
et privés. Cet axe directeur se déclinera par
des revendications en direction des nouvelles
instances créées par la loi du 5 mars 2014,
le Cnefop (Conseil national de l'emploi, de la
formation et de l'orientation professionnelles)
et les Crefop (Comités régionaux de l'emploi,
de la formation et de l'orientation professionnelles).
Pour André Marcon, président de CCI
France, le réseau des CCI “doit rester vigilant
face à l'application de la loi du 5 mars 2014
compte tenu des enjeux pour l'ensemble des
CCI". Ajoutant : “Le texte reconnaît notre
place en tant qu'acteur au plan régional, mais
aussi territorial. Nous sommes cependant en
terrain instable et une baisse drastique de nos
moyens aurait des conséquences sur l'apprentissage.
Nous pouvons estimer une baisse
non négligeable du nombre d'apprentis, soit
30 000, dans les années à venir. Nous avons
d'ailleurs repris le dialogue avec le gouvernement",
a-t-il ajouté. Les CCI font en effet l'objet
d'une mission conjointe de l'Inspection générale
des finances (IGF), des affaires sociales
(Igas) et du Conseil général de l'économie, de
l'industrie, de l'énergie et des technologies
(CGEIET). Leur rapport prône d'importantes
coupes budgétaires et la régionalisation du
réseau.

Avec les Opca, quelles
convergences ?


La loi du 5 mars 2014 pourrait aussi entraîner
des synergies accrues entre Opca et Chambres
consulaires, pour répondre aux besoins des
entreprises et, plus particulièrement, des
PME. La question se pose dans le “contexte
perturbant" marqué par une redistribution des
cartes en matière de fonds mutualisés de la
formation (avec la disparition du 0,9 %), mais
aussi par une redéfinition des qualifications
reconnues éligibles au titre du compte personnel
de formation.

Quels services pour
les entreprises ?


“La réforme va-t-elle entraîner des réflexes de
réduction des coûts au sein des entreprises ?
J'y crois peu", a avoué Yves Hinnekint, le
directeur général d'Opcalia. À ses yeux, la
question est plutôt celle des services sur lesquels
se positionner, en fonction de la taille
des entreprises, de la nature des contrats
(apprentissage, professionnalisation, etc.) et
du caractère certifiant ou non des formations
à financer par les fonds mutualisés. “Sur le
certifiant, il existe des marges importantes
pour les réseaux consulaires, auxquels il
appartient d'inventer des mécanismes pour
soutenir les entreprises dans leur investissement-
formation", a pour sa part estimé Joël
Ruiz, directeur général d'Agefos-PME. Des
mécanismes parmi lesquels la création de
“blocs" de formation certifiants correspondant
aux crédits d'heures plafonds du CPF non
abondés (150 heures), alors que la moyenne
horaire d'une formation qualifiante tourne plutôt
autour des 300 ou 400 heures.

L'impact du nouveau fléchage
des fonds


Et quid des CCI et de leurs centres d'apprentissage,
alors qu'est prévu un fléchage de
56 % de la taxe d'apprentissage vers les
Conseils régionaux, et que les Opca, à leur
tour, sont tous appelés à devenir collecteurs
de cette taxe ? “La nouvelle donne va obliger
les Chambres consulaires à travailler au plus
près de l'échelon territorial… et l'échelon territorial,
ce n'est pas la Région : c'est le bassin
d'emploi", a observé Joël Ruiz, regrettant que
ni les questions de territorialisation de la formation
ni celles du développement territorial
des compétences n'aient été réglées.
Régions, Chambres consulaires et Opca-Octa,
futurs concurrents sur la collecte de la taxe
d'apprentissage ? Yves Hinnekint préfère
évoquer la nécessaire “co-construction" de
partenariats entre acteurs du financement de
la formation : “Tout nous pousse à mener des
actions communes avec les Chambres consulaires
et les Conseils régionaux. Personne n'a
intérêt à « jouer perso » sur un sujet aussi
important que celui de l'apprentissage."

Les ouvertures de CFA
“en accord avec la Région"


“Un des déséquilibres qui aurait pu être corrigé
par la loi du 5 mars 2014 concerne l'élaboration
de la carte des formations, a observé,
lors d'une table ronde, Patrice Omnes, délégué
général de l'Anfa (Association nationale
pour la formation automobile). Car si demain
une branche professionnelle s'exprime contre
l'ouverture d'une section dans un CFA, les
acteurs régionaux peuvent ne pas en tenir
compte. Nous souhaitons donc que l'avis de
la branche soit totalement pris en compte."
De son côté, Pierre Batoche, directeur général
de la CCIR Languedoc-Roussillon (LR), a mis
en avant la création d'un CFA régional des
CCI qui regroupe les CFA locaux en “une seule
entité depuis le 1er janvier 2013". Expliquant :
“Aujourd'hui, quand nous ouvrons une formation,
c'est toujours en accord avec la Région,
et en lien avec les entreprises. Les CCI font de
la formation pour aider les jeunes à trouver
un emploi."

“Instaurer une culture
du dialogue"...


Josick Paoli, directrice générale adjointe
au département “Jeunesse et égalité des
chances" à la Région LR, a exposé les trois
conditions de la réussite du développement
de l'apprentissage dans le cadre de la loi du
5 mars 2014 : “D'abord, la volonté politique
de mettre en place les conditions sur le plan
organisationnel, du choix des partenaires et
des engagements financiers, et de faire de
l'apprentissage une filière d'avenir (au-delà
de la qualification, il s'agit pour les jeunes
d'avoir un métier). Concernant le partenariat,
il faut instaurer une culture du dialogue au sujet
de l'adéquation offres-besoins, pour inciter
la Région à accompagner les branches, les industries
et les artisans. Enfin, il est nécessaire
de faire la promotion de l'apprentissage." Elle
a par ailleurs évoqué “la problématique de
cannibalisation du dispositif par le contrat de
génération".

... avec l'Éducation nationale
aussi


Suite à une remarque de Jean-Patrick
Farrugia, directeur de la formation et de l'emploi
à l'APCMA (Assemblée permanente des
Chambres de métiers et de l'artisanat), qui
s'étonnait de ne pas entendre parler du “comportement
de l'Éducation nationale au regard
de l'apprentissage", Véronique Gueguen, chef
du bureau de la formation professionnelle initiale
à la DGesco (Direction générale de l'enseignement
scolaire), a indiqué : “Le ministre
de l'Éducation, Benoît Hamon, a affiché la
volonté de porter l'effort sur l'apprentissage
dans le cadre plus large de l'insertion professionnelle.
Nous envisageons l'apprentissage
comme un des moyens de limiter le problème
du décrochage scolaire." Une précision qui a
créé un mécontentement dans la salle.

Le conseil en évolution
professionnelle dans les CCI ?


Une autre thématique liée à la réforme a été
abordée : les Chambres du commerce et d'industrie
seront-elles labellisées pour devenir
actrices du conseil en évolution professionnelle,
le CEP ? C'est en tout cas ce qu'a laissé
entendre Stéphane Lardy, secrétaire confédéral
FO et ancien négociateur de l'accord national
interprofessionnel signé le 14 décembre
dernier. Il a affirmé qu'elles seraient “sans
doute actrices du dispositif". La loi prévoit
aujourd'hui cinq organismes assurant cette
mission : les Missions locales, Pôle emploi,
l'Apec (Association pour l'emploi des cadres),
Cap emploi (réseau national d'organismes de
placement) et les Opacif (organismes paritaires
agréés au titre du congé individuel de
formation). Elle laisse cependant ouverte la
possibilité pour d'autres acteurs de l'emploi
de s'emparer de cette fonction de conseil.
n Philippe Grandin, Célia Coste et
Benjamin d'Alguerre