Ces grands groupes qui dirigent leurs alternants vers des PME

Par - Le 01 juin 2014.

Mauvais élèves en matière d'embauche des jeunes formés via l'apprentissage ? Pour répondre à
cette accusation, une association de grandes entreprises − comptant un grand nombre de sociétés
cotées au “Cac 40" − a lancé un programme destiné à créer des “passerelles d'emploi" avec des PME,
et notamment leurs sous-traitants.

Les grandes entreprises bouderaientelles
les apprentis ? C'est ce que
François Hollande semblait indiquer
le 6 mai dernier, au micro de
Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV :
“Beaucoup de jeunes aimeraient continuer
en apprentissage, mais ne trouvent
pas d'entreprise, nous allons faire en sorte
de les aider" [ 1 ] Voir dans ce numéro, p. 2., avait indiqué le chef de
l'État avant d'évoquer, quelques heures
plus tard, lors d'une visite à l'Institut
des métiers du Val-d'Oise, l'instauration
d'“obligations" sur les entreprises – sans
toutefois les détailler – d'embaucher
des apprentis dans le but de fournir un
employeur à chaque jeune de CFA d'ici
à la rentrée, cet automne.

Le programme “Jeunes
& Entreprises"


Coïncidence calendaire, l'Afep – l'Association
française des entreprises
privées, qui regroupe une centaine
de grands groupes – publiait le lendemain
une première synthèse de son
programme “Jeunes & Entreprises"
lancé voici un peu plus d'un an, en
mars 2013.

Et annonçait dans la foulée le lancement
de son portail Engagementjeunes.
com, consacré à la mise en relation
de jeunes ayant suivi un parcours
d'apprentissage au sein d'un grand
groupe et d'entreprises susceptibles de
les recruter.

Mener ses anciens alternants
vers l'emploi...

“Fin 2012, notre président, Pierre
Pringuet [ 2 ]Directeur général de Pernod-Ricard, à la tête de
l'association depuis juin 2012.
, a lancé plusieurs réflexions
autour de grandes thématiques comme
l'éthique, la gouvernance, l'emploi ou
la formation, explique Pierre-Aimery
Clarke de Dromantin, directeur des
affaires sociales de l'Afep. Veolia et
Carrefour ont initié un groupe de travail
consacré à l'alternance et c'est ainsi
que nous avons pu démarrer Jeunes
& Entreprises en 2013."

Aujourd'hui, une vingtaine de grands
comptes (Siemens, Axa, Brico Dépôt,
Michelin, Swiss Life, Orange, etc.) se
sont engagés dans ce programme qui
vise à mener leurs anciens alternants
vers l'emploi en permettant leur mise
en relation avec leurs PME et ETI soustraitantes
qui, de leur côté, peuvent se
montrer extrêmement intéressées par
les profils de ces jeunes formés au sein
de grandes entreprises.

... chez des fournisseurs PME

À cet effet, l'Afep vient de conclure
un partenariat avec l'association Pacte
PME [ 3 ]www.pactepme.org, un réseau fondé voici trois ans,
rassemblant près de 11 000 PME fournisseurs
(au travers de 45 branches professionnelles),
une soixantaine de grands
comptes et au conseil d'administration
de laquelle siègent des personnalités telles
que Pierre Gattaz (président du Medef ),
Jean-François Roubeaud (son homologue
de la CGPME), Henri Lachmann
(ex-PDG de Schneider, actuel vice-président
de l'Institut Montaigne), Fabrice
Brégier (président d'Airbus) ou Thibault
Lanxade (ancien rival de Laurence
Parisot et de Pierre Gattaz à la présidence
du Medef, aujourd'hui membre
du conseil exécutif de l'organisation
patronale). Un réseau qui disposait déjà
de sa propre plateforme dévolue, entre
autres, au recrutement d'alternants ou
d'ex-alternants (Carrière.pacte.PME) [ 4 ]http://carriere.pactepme.org destinée à fusionner à court terme avec
celle de l'Afep pour éviter les doublons.

“Pédagogie" indispensable

“Cela fait un an que nous avons développé
ce partenariat avec l'Afep, indique
Emmanuel Leprince, directeur de Pacte
PME. L'objectif est de créer des passerelles
d'emploi entre les grands groupes et leurs
sous-traitants pour aider les ex-apprentis
formés au sein des premiers à trouver
du travail chez les secondes. Ce n'est pas
facile. Il faut beaucoup de pédagogie pour
expliquer à ces jeunes – et souvent à leurs
parents – qu'il existe des opportunités de
carrière enrichissantes hors des grandes
boîtes !"

Des efforts pédagogiques qui se traduisent
par des journées de rencontres
entre alternants et PME – l'association
en organise cinq en mai 2014 – ou par la
fondation de communautés d'alternants
et de tuteurs dans le cadre d'un “mécénat
des compétences". “Nous encourageons
les entreprises de l'Afep à proposer à leurs
collaborateurs qui le souhaitent de s'engager
envers les jeunes, en leur apportant leur
connaissance du monde de l'entreprise, en
leur donnant du temps, en engageant un
dialogue avec eux en lien avec les associations
qui sont investies dans cette mission
afin de les aider dans leur parcours d'accès
à l'emploi", résume Henri de Castries,
PDG d'Axa, engagé dans la démarche.

Opposés aux quotas d'alternants

Pour autant, l'Afep ne souhaite pas formaliser
son engagement par des objectifs
chiffrés, et juge contre-productives les
logiques de quotas fixés par les pouvoirs
publics. “L'obligation faite aux entreprises
de plus de 250 salariés d'engager 4 % d'alternants
en leur sein – qui passera à 5 %
en 2015, d'ailleurs – n'est pas la bonne
méthode. C'est se focaliser sur des masses
au détriment d'un véritable travail sur la
qualité de l'alternance, la formation des
tuteurs et le suivi des jeunes. Alors, oui, les
entreprises continueront d'embaucher des
alternants pour répondre à l'obligation légale
qui leur est faite, pour éviter les pénalités.
Mais quid du parcours et du devenir
de ces jeunes ? Cette logique est d'autant
moins pertinente dans le contexte du pacte
de responsabilité", regrette Pierre-Aimery
Clarke de Dromantin. Tout comme
lui apparaît également peu pertinent le
fléchage accru de la taxe d'apprentissage
vers les Régions, au détriment des
entreprises : “Pas de nature à conforter les
employeurs dans la promotion de l'alternance",
juge-t-il.

Pour tous les niveaux
de qualification ?


À voir le profil des grands comptes
engagés dans le programme, on pourrait
cependant penser que la part belle
de “Jeunes & Entreprises" est faite aux
alternants issus des grandes écoles ou
des niveaux supérieurs universitaires.
Les partenaires s'en défendent. “Il
existe effectivement une certaine proportion
d'alternants de niveau master ou
master 2 au sein des grandes entreprises
concernées, mais tous les profils et tous les
niveaux de qualification sont représentés",
souligne Emmanuel Leprince. “Nous
avons, parmi nos adhérents, des groupes
de grande distribution, comme Carrefour,
Castorama, Brico Dépôt ou des entreprises
industrielles telles que Michelin ou
Eiffage, qui forment des alternants sur des
fonctions techniques ou de support parfois
infra-bac", ajoute le directeur des affaires
sociales de l'Afep.

“Les jeunes demeurent notre
public prioritaire"


C'est la remise du rapport Mestrallet [ 5 ]Voir L'Inffo n° 856, p. 6. qui a relancé l'idée de développer l'alternance
chez les chômeurs de longue
durée. Si l'Afep observe avec attention
cette proposition, elle n'envisage pas,
cependant, d'ouvrir son programme
à d'autres publics que ceux pour
lesquels il a été conçu initialement.
“Notre intention de départ était de nous
focaliser sur les jeunes, insiste Pierre-
Aimery Clarke de Dromantin. Nous
avons lu avec grand intérêt les préconisations
de Gérard Mestrallet, mais pour
l'instant, les jeunes demeurent notre
public prioritaire. Adapter le dispositif
à des chômeurs, par exemple, exigerait
des aménagements juridiques et techniques
particuliers." Avant d'ajouter :

“Cela ne signifie pas, pour autant, que
les grandes entreprises ne sont pas prêtes
à tendre la main à ces publics."

QUELS “GRANDS GROUPES" ?

107 entreprises sont adhérentes de l'Afep (Association française des entreprises
privées). Ce sont des grandes sociétés de tous les secteurs d'activité présentes en
France et à l'international. 34 entreprises du “Cac 40" sont également membres
de l'Afep : les deux listes ne se recoupent donc pas parfaitement.
Le Cac 40 (cotation assistée en continu), indice boursier de la place de Paris,
désigne les 40 sociétés dont les échanges sont les plus abondants. Représentatives
des différentes branches d'activité, elles reflètent ainsi la tendance économique.
En pratique, l'expression est usitée pour désigner les très grandes entreprises
françaises.

DOPER LES FILIÈRES PEU PRISÉES

Parallèlement au dispositif “Jeunes
& Entreprises", huit adhérents de l'Afep
(Air Liquide, BNP Paribas, Capgemini,
Groupe BPCE, GDF Suez, Manpower
et Score) ont initié, en mars 2011, le
programme “Booster", en partenariat
avec les Universités d'Aix-Marseille,
Paris-Est Créteil, Pierre-et-Marie-
Curie et Sorbonne Nouvelle, et en
collaboration avec le ministère de
l'Enseignement supérieur
et de la Recherche.

L'objectif : intégrer à ces grands
groupes des diplômés universitaires
issus de filières peu prisées par
l'entreprise (sciences humaines, lettres,
philosophie, sociologie, etc.) en leur
proposant un cycle de formation axé sur
les compétences techniques propres
aux hautes fonctions d'encadrement,
jusqu'alors réservées aux diplômés
des grandes écoles. “Les profils
universitaires sont encore sousreprésentés
au sein des entreprises
françaises", reconnaît Paul Hermelin,
le PDG de Capgemini, dont le groupe a
recruté 20 % de profils universitaires
l'an passé, et tête de pont du projet.
“Il s'agit d'amplifier la mobilisation des
entreprises de l'Afep pour atteindre
les objectifs fixés : 100 étudiants
accompagnés en 2014 et 1 000 en
2015."

Notes   [ + ]

1. Voir dans ce numéro, p. 2.
2. Directeur général de Pernod-Ricard, à la tête de
l'association depuis juin 2012.
3. www.pactepme.org
4. http://carriere.pactepme.org
5. Voir L'Inffo n° 856, p. 6.