De quelle valeur la formation est-elle le nom ?

Par - Le 15 janvier 2014.

“Quand la formation crée la valeur", tel est le thème de l'Université d'hiver de la formation
professionnelle [ 1 ]Organisée à Biarritz par Centre Inffo,
du 29 au 31 janvier.
. De plus en plus de voix s'élèvent pour évoquer la nécessité d'une valeur ajoutée
à la formation, souvent abordée, jusqu'ici, surtout comme une dépense doublée d'une contrainte.
Comprise comme un investissement, à la fois économique et humain, aussi bien par les employeurs
que par les salariés, la formation pourrait bien retrouver des couleurs. Si elle n'est pas rattrapée
par ses habitudes.

C'est donc acté. Avec la disparition
de la contribution
mutualisée obligatoire des
entreprises au titre du plan
de formation (le “0,9 %"), une
page de quarante-trois ans vient de
se tourner et fait entrer la formation
professionnelle dans un paradigme
nouveau qui verrait les entreprises ne
plus la considérer comme une charge
− au même titre que n'importe quel
autre impôt − mais plutôt comme un
investissement misant sur le développement
des compétences des salariés
(au travers, notamment, du compte
personnel de formation) susceptible
de profiter, par effet de ricochet,
à l'entreprise dans le cadre d'une
relation gagnant-gagnant.
“Grâce au CPF, la formation deviendra,
pour l'individu, un outil de maintien de
son employabilité, note Jean Wemaëre,
PDG de Demos et président de la
Fédération de la formation professionnelle
(FFP) [ 2 ]Auteur du livre La formation, créatrice
d'avenir. Éditions Demos, 2009.
. L'acquisition de compétences
enrichit son capital humain,
lui permet de trouver un emploi, de
changer de profession, de faire jouer ses
compétences transversales ou même de
lui donner plus de capacité à réfléchir, à
s'exprimer. Tout ceci est créateur de valeur
pour lui." Pour l'individu, mais aussi
pour l'économie française dans son
ensemble, à l'heure où le Qatar a mis
15 milliards de dollars sur la table pour
faire sortir de terre son complexe universitaire
de 14 000 hectares Education
City, et où les investissements chinois
en matière de recherche, développement
et formation (101 milliards de
dollars, selon le rapport 2005 de l'Observatoire
des sciences et techniques)
viennent de faire passer l'Empire du
Milieu au troisième rang mondial des
pays misant sur le développement
d'une économie de l'innovation et de
la connaissance.

La simple adaptation, peu
stimulante...


En France, le système de formation
né de la loi de 1971, s'il correspondait
aux nécessités de son temps dans le
cadre d'une économie de plein emploi
qui manquait d'ingénieurs et de techniciens,
semblait à bout de souffle.
Pire, à en croire Emmanuelle Wargon,
déléguée générale de l'emploi et de la
formation professionnelle, interrogée
en septembre 2013 par l'Institut
Montaigne, l'obligation de dépense
des entreprises était devenue, pour ces
dernières, “source de déresponsabilisation
quant à leur efficacité", particulièrement
sur un marché éclaté où l'offre
de formation – éclatée au sein des plus
de 55 000 organismes recensés – est à
ce point hétérogène qu'elle en devient
illisible.

“Les entreprises souffrent d'un tel
manque de visibilité sur l'offre existante
qu'elles tendent, par confort, à reproduire
systématiquement les mêmes actions de
formation auprès des mêmes publics,
explique Julien Veyrier, directeur
de Centre Inffo, et, de fait, une telle
demande standardisée se traduit par
une standardisation de l'offre, ce qui
entraîne peu d'innovations et des actions
de formation majoritairement tournées
vers l'adaptation des salariés à leur poste
de travail." Un contexte peu stimulant
susceptible de se traduire par une
diminution du dynamisme des entreprises
– empirée par le contexte
de crise – et l'érosion qualitative de
l'employabilité des individus.

L'appétence dépend de la valeur
ajoutée


“Les entreprises se posent assez peu la
question de l'employabilité de leurs collaborateurs",
admet Michel Fourmy,
directeur du cabinet RH MF Conseil [ 3 ]Auteur de Ressources humaines,
création de valeur et capital humain,
Éditions Maxima, 2013.
,
pour qui les ressources humaines
perçoivent encore trop la formation
comme “la valorisation d'un stock"
plutôt que l'investissement sur un
capital humain. “Les entreprises doivent
garder à l'esprit que la formation doit être
créatrice de valeur pour les individus qui
en bénéficient. Aujourd'hui, hélas, elles
procèdent encore rarement à l'évaluation
des bénéfices des actions de formation
menées au sein de leurs équipes et, de
fait, créent peu de valeur économique et
humaine, mais aussi peu d'appétence chez
leurs collaborateurs pour l'acquisition de
nouveaux savoirs."

Mais si, de son point de vue, le compte
personnel de formation présentera un
caractère vertueux en matière de responsabilisation
des individus quant au
développement de leur employabilité,
la réforme telle qu'elle a été menée ces
derniers mois ne révolutionnera pas le
système. “Le risque du CPF, c'est qu'il se
résume à un Dif bis, prévient le spécialiste
des stratégies RH. Si le Medef en
a accepté le principe, c'est uniquement en
échange de la suppression de l'obligation
fiscale. Et si les syndicats s'y sont accrochés,
c'est uniquement pour continuer à exister
au travers des instances du paritarisme.
Mais le CPF issu de l'Ani est d'autant
plus imparfait qu'il conserve cette
dimension nécessairement qualifiante ou
certifiante typiquement française qui veut
que le diplôme mène à l'emploi… Or,
c'est de compétences dont les entreprises
et les individus ont besoin."

Analyse et prospection
des besoins


Sévère avec la réforme, Michel
Fourmy ? “Pour instaurer un système
de formation réellement créateur de
valeur, il aurait fallu convertir certains
services de l'État – à commencer par Pôle
emploi – en services régionaux pour qu'ils
se concentrent sur l'emploi dans les territoires
et instaurer un guichet unique
pour gérer le conseil en évolution professionnel,
plutôt que de créer un SPRO qui
ne représente qu'une toute petite avancée
en matière d'orientation. Au lieu de ça,
la réforme a surtout renforcé le poids des
branches professionnelles et de leurs observatoires
dans le recensement des listes de
formations qualifiantes…", regrette le
directeur de MF Conseil.
Mais si l'expert en stratégies RH juge
négativement l'implication renforcée
des branches professionnelles induite
par la réforme, d'autres estiment au
contraire que l'obligation qui leur est
faite par l'Ani de se structurer et de
se rapprocher davantage contribue à
favoriser l'innovation dans l'offre de
formation. “Les organismes de formation
ont tout à gagner à ce que les branches
affinent leurs outils d'analyse et de
prospection des besoins", estime Julien
Veyrier. Mais davantage qu'un rapprochement
des branches, le directeur
de Centre Inffo plaide pour la mise
en place d'une logique de filières, qui
permettrait d'établir une réflexion
prospective de long terme et, ainsi,
de favoriser l'émergence d'ingénieries
de formation capables d'anticiper les
besoins en compétences des territoires,
dans le cadre de politiques de GPEC
animées au niveau des bassins d'emploi.
“Pour cela, la réforme aurait dû renforcer
les pouvoirs des Régions en matière
d'emploi, observe Michel Fourmy.
Malheureusement, trop souvent, encore
les chômeurs ou les
jeunes sont orientés par
Pôle emploi vers des
impasses et des formations
sans débouchés, dans
lesquelles ils s'investissent
peu et qu'ils considèrent
comme une perte de
temps et d'énergie. Cette
formation, vécue comme
une obligation a des
conséquences délétères
sur leur appétence quant
au développement de leur
employabilité."

Le rôle
déterminant
de l'information


Radical, le patron de
MF Conseil n'hésite
pas à prophétiser
l'échec de la réforme si
les mécanismes d'accès
et d'accompagnement
à l'emploi ne se voient
pas drastiquement
renforcés. Et, pourquoi
pas, par une information
sur les mécanismes
de formation continue qui pourrait
débuter dès la classe de troisième en vue
de sensibiliser les jeunes non seulement
à leurs droits à la formation, mais aussi
à leurs devoirs quant à la garantie de leur
employabilité ?

Cependant, au-delà du système tel qu'il
est ou tel qu'il sera amené à changer
dès l'application de la réforme, Michel
Fourmy en est convaincu : la formation
en tant que créatrice de valeur sera
effective dès lors qu'aura été dénoncé
le concept même de “ressources
humaines", pour lui substituer celui de
capital humain. “Et ce capital humain,
c'est comme le capital financier : si vous
le considérez juste comme un bas de
laine qu'on cache sous son matelas, alors
il n'évoluera jamais. Si vous l'investissez,
en revanche, vous en tirerez les bénéfices.
La valeur ne peut pas dormir."

Notes   [ + ]

1. Organisée à Biarritz par Centre Inffo,
du 29 au 31 janvier.
2. Auteur du livre La formation, créatrice
d'avenir. Éditions Demos, 2009.
3. Auteur de Ressources humaines,
création de valeur et capital humain,
Éditions Maxima, 2013.