Déficits de compétences et chômage : liaisons trompeuses ?

Par - Le 15 avril 2014.

Le constat s'applique à l'Europe entière et
ne cesse de choquer : en dépit d'un chômage
élevé et persistant, l'ensemble des enquêtes
témoigne du nombre élevé d'entreprises déclarant
des difficultés de recrutement faute de
compétences. À qui la faute ? À l'inadéquation
de la formation initiale et aux lacunes des
travailleurs, estiment acteurs économiques
et politiques. Pas seulement et loin s'en faut,
répond une note d'information que vient de
publier le Cedefop [ 1 ]Centre européen pour le développement de la
formation professionnelle.
. Certes, les déficits de
compétences existent, mais ils ne sont pas les
premiers responsables du déséquilibre entre
l'offre et la demande.

“Inadéquation" ou déficit
de compétences ?


Premier constat, la situation diffère selon le
niveau de l'emploi : on trouve ainsi près de
deux fois moins d'emplois de niveau peu élevé
que de travailleurs ayant les qualifications
correspondantes, alors que le pourcentage
d'emplois de niveau élevé correspond peu
ou prou au nombre de travailleurs hautement
qualifiés. Qui plus est, si le déséquilibre est
en revanche réel pour les emplois de niveau
intermédiaire (10 points d'écart), les données
analysées par le Cedefop démontrent qu'il
s'explique moins par l'absence de compétences
que par un phénomène de surqualification,
qui touche près de 29 % des travailleurs
très qualifiés.

D'après les employeurs eux-mêmes, plus que
le manque de compétences, ce sont aussi “les
perspectives d'insuffisance de la demande"
qui limitent le recrutement. D'autres entreprises
soulignent que la notion de déficit de
compétences sur les emplois très qualifiés
n'est pas affaire de niveau mais d'adéquation,
avec des futurs diplômés formés aux besoins
de l'industrie d'hier. Sont particulièrement visées
“les compétences non techniques, telles
que les compétences relationnelles, de communication
ou de résolution de problèmes".

Poids des causes économiques
et sociales


Loin d'être le seul facteur de déséquilibre,
la question des compétences est souvent
supplantée par les “frictions du marché du
travail". En ligne de mire : la main-d'oeuvre
sédentaire, les variations saisonnières et les
rigidités salariales. C'est également l'inefficacité
des stratégies de recrutement et de
formation qui est reconnue comme responsable
de la difficulté à pourvoir des emplois
vacants. À titre d'exemple, le manque d'expérience
des jeunes travailleurs est couramment
mis en avant, alors que les entreprises
européennes peinent à s'engager davantage
dans l'alternance. De même, la notion de
“potentiel" apparaît insuffisamment prise en
compte par les employeurs qui préfèreraient
“attendre le candidat idéal". Principales victimes
de ce manque d'empressement à redéfinir
les critères de qualification : les candidats
en provenance d'une autre région ou pays,
les jeunes, les femmes et les seniors. Soit un
immense gâchis, selon l'analyse du Cedefop :
“Près de 40 % des chômeurs occupaient précédemment
des emplois hautement qualifiés
ou qualifiés non manuels."

Reconnecter l'économie et la
formation au travail


L'étude du Cedefop le souligne, les “efforts
visant à rapprocher l'éducation et la formation
du marché du travail (…) devraient être intensifiés".
Ceci, notamment par le soutien à l'apprentissage
et le développement de stages
de qualité. L'inadéquation de l'offre et de la
demande se combat également par une amélioration
de l'information relative au marché
du travail, de nature à “étayer une orientation
professionnelle de qualité". Et de conclure
par un rappel de l'enjeu : “Il y aurait toujours
deux millions d'emplois vacants dans l'économie
européenne", alors que “l'UE comptait en
2012 près de 25,3 millions de chômeurs."

L'ENQUÊTE “EU-SKILL"

Le Cedefop conduit des recherches au niveau européen
afin d'“identifier et de prévoir les besoins futurs en compétences".
Il anime Skillsnet, un réseau réunissant des
experts de la “détection précoce des besoins en compétences".
Le centre européen prépare d'ailleurs cette
année la “première enquête paneuropéenne sur les
compétences", ou “eu-Skill". Elle portera sur près de
48 000 travailleurs adultes dans les 28 États membres, et
mesurera l'incidence dans le temps de “l'inadéquation des
compétences" sur les carrières. Eu-Skill examinera aussi
la capacité de la formation professionnelle à réduire cette
“inadéquation".

Notes   [ + ]

1. Centre européen pour le développement de la
formation professionnelle.