Des médecins trop peu formés ?

Par - Le 15 juin 2014.

Les médecins suivent trop peu de cursus de formation continue − pourtant indispensables pour
la sécurité des patients. Fort de ce constat, depuis 2009, le secteur a entrepris une importante réforme.
Mais selon l'Igas, le remède serait pire que le mal.

Absence de gouvernance claire,
financement insuffisant au
regard des objectifs fixés, vice
de conception dans le contenu
des formations agréées… le rapport
de l'Inspection générale des affaires
sociales (Igas) sur le développement
professionnel continu (DPC),
institué par la loi “Hôpital, patient,
santé et territoires" (HPST) de 2009,
dresse un constat sans appel de ce
dispositif de formation continue [ 1 ]L'Inffo n° 857, p. 23..
“La mise en place de cette architecture
est émaillée de nombreuses difficultés,
de natures différentes", souligne le
récent rapport sur l'Organisme gestionnaire
du développement professionnel
continu (OGDPC). “Des
dysfonctionnements affectent notamment
les procédures concernant l'inscription
des professionnels, ainsi que
leur indemnisation, et l'enregistrement
des organismes n'a pas encore abouti,
à cause du lent démarrage de la procédure
d'évaluation."

Une foule de nouveaux
organismes de formation


“Auparavant, la gestion de la formation
conventionnelle était paritaire. Avec la
loi HPST, c'est désormais le ministère qui
a la main sur cette question", explique le
docteur Raymond Attuil, membre du
comité de direction de FMC-Action
(qui est l'un des organismes majeurs
de formation des médecins). Par ailleurs,
“depuis 2013 et la mise en oeuvre
du DPC, le nombre d'organismes agréés,
qui était d'une centaine, a été multiplié
par près de 20. Les CSI (commissions
scientifiques indépendantes) n'ont pas les
moyens humains et matériels d'évaluer
sérieusement les nouveaux organismes,
ni de garantir la qualité pédagogique
et scientifique des cursus proposés. Que
cela n'ait pas été anticipé relève tout au
moins de l'amateurisme", dénonce-t-il.

Un devoir déontologique

Les médecins, notamment libéraux,
n'ont pas attendu la loi HPST et 2009
pour avoir des droits − et même
un devoir − de formation continue.
Déontologiquement, le
perfectionnement et l'entretien
des connaissances est depuis
toujours une obligation.
Néanmoins, la mise en place
de dispositifs d'encadrement
et de financement est récente.
C'est en 1990 que la formation
médicale continue financée et
indemnisée pour les médecins
libéraux a été mise en place, et
elle a été rendue obligatoire par
l'ordonnance du 24 avril 1996.
En 2002, la loi du 4 mars étendait
aux 215 000 praticiens en
activité cette obligation, tandis
que l'agrément des organismes
formateurs et la définition des
orientations politiques étaient
gérés par un Conseil national
de la formation médicale. Ce
dernier étant composé d'universitaires,
de représentants de
syndicats de praticiens, ou encore
du conseil national de l'Ordre des
médecins.

Deux circuits distincts

La loi du 9 août 2004 a étendu l'obligation
de formation et d'évaluation
des pratiques à 17 professions de santé.
Depuis la loi HPST de 2009, c'est un
groupement d'intérêt public (GIP),
l'OGDPC, qui agrée les organismes de
formation, finance les cursus et indemnise
les professionnels libéraux. “La
particularité pour les médecins, c'est que
les actions de formation pour les activités
support − informatique, gestion, comptabilité…
− sont clairement dissociées de
la formation médicale continue, et gérées
par des organismes comme le Fonds d'assurance
formation de la profession médicale,
le Faf-PM. Il est alimenté par une
partie des prélèvements de l'Urssaf − sur
leur chiffre d'affaires − dont le budget,
5 millions d'euros, est dérisoire par rapport
à celui du DPC", explique Jean-
François Thébaud, membre du collège
de la Haute autorité de santé. Celle-ci
définit le cahier des charges et les orientations
nationales des cursus, qui sont
validées par un arrêté ministériel ou
une Agence régionale de santé (ARS).

Financer ce qui n'est pas
“médical"


Cependant, certaines formations non
médicales, dont l'objectif est de permettre
le bon fonctionnement d'un
service hospitalier, sont éligibles
au titre du DPC, mais leur prise en
charge est incertaine. “C'est effectivement
très compliqué dorénavant pour
trouver des financements pour toutes les
formations hospitalières qui ne sont pas
médicales. Avec les réformes de ces dernières
années, les médecins chefs de pôle,
par exemple, sont associés à la gestion
des établissements et les cursus portant,
par exemple toujours, sur les questions
de financement sont très difficiles à faire
prendre en charge", explique de son
côté Christophe Segouin, secrétaire
général du SNAM-HP, le Syndicat
national des médecins, chirurgiens,
spécialistes et biologistes des hôpitaux
publics.

L'article 59 de la loi HPST précise que
l'objectif du DPC est “l'évaluation des
pratiques professionnelles, le perfectionnement
des connaissances, l'amélioration
de la qualité et de la sécurité des soins,
ainsi que la prise en compte des priorités
de santé publique et de la maîtrise médicalisée
des dépenses de santé".

Risque de conflits d'intérêts

Concrètement, pour suivre une formation,
les médecins ouvrent un compte
sur le site de l'OGDPC, Mondpc.fr, où
ils ont accès aux contenus des programmes
des centres de formation
agréés et enregistrés par des commissions
scientifiques indépendantes,
composées notamment de médecins,
formateurs et enseignants chercheurs.
Mais la proportion de déclarations
publiques d'intérêt non collectées varie
entre 4 % (dentistes) et 26 % (sages
femmes), selon la commission.
Autre gros point noir du dispositif : la
faiblesse des moyens alloués au regard
des objectifs fixés et des besoins des
médecins. Ainsi, le DPC est financé
en premier lieu par l'assurance maladie,
grâce notamment à une taxe prélevée
sur l'industrie pharmaceutique,
mais aussi par une contribution des
employeurs publics ou privés des médecins.

Selon le rapport, “un calcul détaillé du
coût du DPC pour les seules professions à
la charge de l'OGDPC établit à 565 millions
d'euros le coût d'une formation
généralisée aux conditions actuelles de
prise en charge, à comparer aux ressources
actuelles de l'organisme gestionnaire, soit
155 millions d'euros."

De son côté, l'OGDPC souligne, dans
ses observations, “une contradiction
entre l'obligation annuelle de formation
et le niveau de budget alloué. [...] Par
ailleurs, ce rapport s'interroge sur l'absence
de priorité dans les financements :
toutes les formations dispensées par un
organisme évalué favorablement (et actuellement
simplement enregistré) sont
éligibles au financement de l'OGDPC."

Seul un médecin sur trois
se forme officiellement


“Il existe une obligation de formation,
mais pour la mettre en oeuvre, les moyens
sont insuffisants, donc les médecins se
moquent de la formation continue. Cela
ne signifie pas qu'ils ne se forment pas
par d'autres biais, plus informels, comme
les échanges entre collègues ou les colloques",
explique Bernard Ortelan, le
directeur du centre de formation de la
Confédération des syndicats médicaux
français, la principale organisation de la
branche professionnelle. De fait, l'Igas
souligne que seuls 31 % des médecins
ont créé un compte sur Mondpc.fr, et
remet en cause le choix du “tout-informatique"
à ce titre.

Sans traçabilité, des dérives

“Il y a également un problème de traçabilité
et de lisibilité sur l'utilisation
des fonds, qu'ils viennent de l'État, de
l'assurance maladie ou autre. Nous voulons
une charte de transparence. Il faut
simplifier et optimiser ce dispositif. Nous
faisons appel au rôle régalien de l'État,
que nous avons alerté plusieurs fois
sur ces différents problèmes", souligne
Patrick Bouet, le président du conseil
national de l'Ordre des médecins.

De son côté, le Collège de médecine
générale s'étonne que l'Igas “ne
dénonce ni l'utilisation de l'argent public
pour la formation à la méditation
thérapeutique sous les tropiques, ni les
indemnisations permettant de recevoir
517 euros par demi-journée de présence
contemplative lors de colloques...".

Quatre scénarios

Le rapport de l'Igas dresse quatre scénarios
pour l'avenir. Premièrement :
le statu quo, une solution peu envisageable.
Autre piste : confier la gestion
des formations propres à chaque
métier ou spécialité aux Opca (pour
les salariés) et Faf (pour les non-salariés)
compétents. Ou encore : limiter
le champ de compétence du DPC aux
cursus visant à la sécurité des soins
dans un premier temps, et rebâtir
progressivement un système de certification
aux compétences plus larges.
Enfin : supprimer purement et simplement
l'obligation légale de DPC et
mettre en place des incitations financières
pour encourager les médecins à
suivre des formations validées par la
HAS.

Cette dernière solution semble plébiscitée
par la profession, qui souhaite
reprendre la main sur sa politique de
formation, tandis que les Faf ou Opca,
logiquement, préfèrent le second scénario.
In fine, chacun attend l'arbitrage
du ministère de la Santé dans les
semaines à venir. Mais sans un financement
suffisant, quelle que soit la solution
choisie, les médecins ne se formeront
pas davantage.

Notes   [ + ]

1. L'Inffo n° 857, p. 23.