Et si la réforme ouvrait le marché des PME aux éditeurs de formation digitale ?

Par - Le 01 mars 2014.

La formation à distance a longtemps été une épine dans le pied du système français de formation,
pensé pour le présentiel et ses feuilles d'émargement. Une donne appelée à évoluer, avec la
fraîchement adoptée réforme de la formation. Pour l'heure, les éditeurs de formation digitale attendent
de voir.

On pouvait penser que la réforme
de la formation aurait occupé une
partie non négligeable des débats
de l'iLearning Forum des 11 et
12 février 2014. Perdu ! À peine un
seul atelier d'une vingtaine de minutes
lui fut consacré. “La réforme ? Bof. Moi,
je suis surtout au top sur les grands comptes
qui financent directement leurs politiques
e-learning sur leurs propres budgets formation,
sans passer par les fonds mutualisés des
Opca qui n'aiment pas tellement le distanciel
et le financent déjà peu… Alors, cette
réforme, je m'en fiche un peu", confiait un
éditeur de solutions e-learning interrogé
au débotté sur son stand. Avis unanime ?
Pas vraiment, car à écouter les concepteurs
de pédagogie numérique, le monde
de la formation qui naîtra de la future loi
pourrait bien constituer un vivier d'opportunités.

Car la réforme, c'est surtout la fin de la
contribution fiscale des entreprises aux
fonds mutualisés de la formation et la
disparition annoncée de la déclaration
“24-83" que les utilisateurs de ces fonds
devaient produire devant l'administration
pour justifier le bien-fondé des
dépenses. Cette même déclaration qui
posait tant de problèmes aux prestataires
de formation numérique, notamment
en matière de justification de la présence
des stagiaires aux cours (toujours difficile
dans le cas du distanciel).

Mais c'est aussi une définition d'une
action de formation reprenant intégralement
l'article 63-31-1 du Code
du travail, rappelant que ladite action
“peut s'effectuer tout ou partie à distance",
même si cette définition sera vraisemblablement
amenée à être approfondie
par décret en aval de la promulgation
de la loi.

Et c'est surtout une réduction de l'enveloppe
des fonds mutualisés de la formation
(de 1,6 % de la masse salariale des
entreprises à 1 %), alors que persiste,
pour les entreprises, l'obligation de former
leurs collaborateurs. Une configuration
qui, pour Céline Delort, dirigeante
du cabinet d'externalisation RH Alithia,
“peut amener les entreprises à considérer le
recours à des solutions e-learning comme
un moyen de rationaliser leurs coûts dans
le cadre d'une diminution de l'enveloppe
globale".

Stratégies “fast" et “micro"

Formations à bas coût ? L'expression
est lâchée. Elle n'effraie d'ailleurs pas
Jérôme Bruet, PDG du concepteur de
logiciels E-doceo, à condition qu'elle
ne soit pas synonyme de prestation de
mauvaise qualité. “Mieux vaut parfois
l'usage de modules distanciels de courte durée,
pédagogiquement « micro », mais en
phase avec les besoins des apprenants, que
des stages s'étendant sur plusieurs journées
dont le contenu s'éloigne de leurs problématiques."
Une stratégie “fast" qu'a bien
compris l'éditeur Xos-Learning, par
exemple, qui propose à ses clients des
“grains de formation" de dix minutes
selon des formules d'abonnement mensuel
à 9,90 euros.

“L'essentiel, c'est la qualité pédagogique
des programmes et leur cohérence avec
les besoins des stagiaires", estime Pierre
Berthou, directeur général de FuturSkill
Digital, éditeur rennais passé, voici trois
ans, dans le giron du géant de l'intérim
Manpower.

CPF : le retour de “l'usine à gaz
Dif 2004" ?


L'influence de la réforme sur les affaires ?
Elle pèsera peu, si l'on s'en tient aux
chiffres de croissance affichés par les participants
du forum (entre 10 et 15 % sur
2013), indépendamment des décisions
politiques. Mais avec la nouvelle loi formation,
entrera en vigueur le compte
personnel de formation (CPF) à la vocation
nécessairement qualifiante ou certifiante
dont la mobilisation dépendra de
“listes éligibles" qu'il appartiendra aux
Conseils régionaux et aux partenaires
sociaux de définir.

Aussi, on craint que ce nouvel outil ne
s'accompagne de nouvelles contraintes
administratives en termes de contrôle.
“En 2004, j'étais sincèrement persuadée
que le Dif allait donner un sérieux coup
de pouce au développement du e-learning
en France, se souvient Sally Ann Moore,
organisatrice et directrice des conférences
du forum, mais durant les trois
années qui ont suivi, la plupart des budgets
de développement des éditeurs de pédagogies
numériques ont été engloutis par
les activités de tracking-systems (systèmes
de contrôle), destinées à assurer à l'administration
que les cours e-learning conçus
autour du Dif étaient bien conformes à la
loi… Tout ce qui aurait dû être consacré
à l'investissement est passé là-dedans : une
vraie tragédie !" Et de redouter que ce
scénario ne se répète avec le CPF.

“Le risque existe", confirme Jérôme
Bruet. Plus optimiste, cependant, quant
à la maturité de l'e-learning de 2014 par
rapport à celui de 2004. “Le marché, les
technologies, des pratiques d'utilisation et
même le rapport des individus au numérique
a bien changé depuis dix ans. J'ai
plutôt tendance à penser que la situation
de 2004 ne se reproduira pas." Un espoir
fondé en partie sur le développement
de nouvelles technologies en matière
de signature électronique pour attester
du suivi des formations. “La clé de la
certification des enseignements en ligne,
c'est l'évaluation finale, confirme Pierre
Berthou, et, en la matière, les pratiques,
la culture et les usages ont évolué."

Accrocher le marché des PME

Dix ans auparavant, le e-learning, de
par son coût, demeurait réservé aux
grands groupes. Les ETI (entreprises
de taille intermédiaire) y sont progressivement
venues et désormais, l'une
des opportunités de cette réforme pour
les prestataires de solutions e-learning
pourrait être l'opportunité d'accrocher
le marché des PME, voire des TPE. “Les
seules PME à utiliser la formation numérique,
ce sont les franchisés qui peuvent
bénéficier des politiques de leur réseau",
note Sally Ann Moore. Mais avec la
réduction des fonds mutualisés, les entreprises
de petite taille pourraient être
tentées de se tourner vers ces nouveaux
outils que sont les Mooc ou les solutions
de rapid-learning (ou de rapid-gaming
dans le cas de serious games).

Une tâche que les branches ou les
Opca, de par l'accroissement de leurs
fonctions de conseil que leur imposera
la réforme, pourraient être amenés à
développer via des cursus aux contenus
mutualisés spécifiques aux TPE
comme c'est déjà le cas aux États-
Unis avec des initiatives comme le
programme CyberU de Cornerstrone
OnDemand, proposant des cours numériques
thématiques aux structures
de moins de dix salariés. Ou comme,
en France, l'UIMM le pratique en
matière de formations industrielles.
“Avec le 0,9 % qui saute, les branches
et les grandes fédérations professionnelles
ont tout intérêt à développer une information
de qualité auprès de leurs entreprises
sur les gains en matière de formation
qu'elles peuvent obtenir par le biais
des pédagogies digitales", avertit Pierre
Berthou. Les PME, futur Eldorado du
e-learning ?