Formation des détenus : expérimentation prolongée en Pays de la Loire et Aquitaine

Par - Le 15 mars 2014.

La réforme récemment adoptée confirme que les Régions seront − prochainement − compétentes
pour la formation de tous les publics en réinsertion, y compris les personnes placées sous main
de justice. Ce transfert de compétences en particulier est actuellement expérimenté en Pays de
la Loire et en Aquitaine, et une mission d'évaluation vient de publier son rapport. Explications.

L'expérimentation du transfert
de l'organisation et du
financement de la formation
professionnelle des détenus,
dans laquelle se sont engagées les
Régions Pays de la Loire et Aquitaine,
vient d'être prolongée d'un an. Elle se
poursuit dans l'attente d'une généralisation
de la décentralisation des compétences
à l'ensemble des Régions au 1er
janvier 2015, comme le prévoit le texte
de loi sur la formation professionnelle
définitivement adopté par le Parlement
le 27 février dernier.

Son article 11 stipule en effet que la
Région est désormais compétente vis-àvis
de tous les publics, y compris ceux
relevant jusqu'à présent de la compétence
de l'État (personnes handicapées,
Français établis hors de France, personnes
placées sous main de justice).
En outre, suite à un amendement du
gouvernement, les personnes détenues
seront rémunérées par la Région. La
durée effective de l'expérimentation
était au préalable de trois ans, à compter
du 1er janvier 2010, telle que stipulée
par l'article 9 de la loi pénitentiaire du
24 novembre 2009. Ce texte a ensuite
été modifié à deux reprises, par la loi
Warsmann du 17 mai 2011 de simplification
et d'amélioration de la qualité
du droit, qui a porté la durée de l'expérimentation
à quatre ans, et par la loi
d'orientation et de programmation
pour la refondation de l'école républicaine
du 8 juillet 2013, qui l'a étendue
à cinq ans. La prolongation entre donc
bien dans le cadre de la durée effective
d'expérimentation portée à cinq ans à
compter du 1er janvier 2010 (jusqu'au
31 décembre 2014). Elle présuppose
que les deux Régions signent un avenant
à la convention nationale d'expérimentation
signée avec l'État (ministère
de la Justice, Direction de l'administration
pénitentiaire - Dap).

La mission d'évaluation

Dans ce contexte de décentralisation,
l'Inspection générale des services judiciaires
(IGSJ) et l'Inspection générale
des affaires sociales (Igas) ont été chargées
de conduire une mission d'évaluation
de cette expérimentation dans ces
deux Régions. Dans son rapport, publié
le 7 février dernier, elle a identifié trois
points de vigilance pour garantir les
bonnes conditions d'une généralisation
du transfert aux Régions de l'organisation
et du financement des actions de
formation professionnelle des personnes
détenues.

Le premier est de prendre “le temps
nécessaire à l'acculturation réciproque
(adaptation à une culture étrangère) entre
les Conseils régionaux et l'administration
pénitentiaire"... La mission indique en
effet avoir constaté, de part et d'autre,
des craintes qu'il lui semble prudent de
lever avant la décentralisation : “D'une
part en rassurant les Conseils régionaux
sur les modalités financières de ce transfert
(la mission recommande dans un premier
temps de ne pas transférer l'investissement,
immobilier et pédagogique), d'autre part,
en rassurant l'administration pénitentiaire
sur le maintien, voire le renforcement
de l'accès des personnes détenues à
la formation après la décentralisation."
Le deuxième point de vigilance renvoie
aux ajustements de la gouvernance. Le
rapport indique que “le pilotage général
devra être réalisé au niveau de la Région
afin de veiller à l'inscription de la formation
des personnes détenues dans les plans
régionaux de développement de la formation
des Conseils régionaux". Le troisième
fait valoir que le transfert de compétences
aux Régions “doit aussi concerner
la formation dans les établissements en
gestion déléguée" [ 1 ]Mode de gestion des établissements dans lesquels
les fonctions de gestion courante ainsi que certaines
fonctions liées à la prise en charge des personnes
placées sous main de justice sont assurées par des
groupements privés.
. À ce titre, la mission
recommande d'attendre l'échéance de
chacun des marchés de gestion déléguée
− fin 2015 ou fin 2017, pour la plupart
− pour la décentralisation effective.
La mission plaide aussi pour la mise en
oeuvre d'une “action volontariste en faveur
de la mixité des groupes de formation,
conformément à la dérogation permise par
l'article 28 de la loi pénitentiaire" [ 2 ]L'article 28 prévoit qu'à titre dérogatoire les formations,
comme d'autres activités, peuvent être mixtes.
. Le cas
échéant, il s'agit d'inverser le dispositif
prévu et de faire de la mixité le principe,
et de la non-mixité l'exception. En effet,
rapporte la mission, “la question de
l'accès à la formation professionnelle en
détention se pose avec une acuité particulière
pour les femmes". Les établissements
dotés de quartiers femmes ne proposeraient
que très peu de formations, faute
de constituer des groupes mixtes ou de
mutualiser les locaux.

Formations diplômantes
en Aquitaine


En Aquitaine, l'expérimentation a
débuté en janvier 2011, après une préparation
en 2010. Le bilan chiffré de
2011 à 2013 fait apparaître que, sur
cette période, 2 376 personnes détenues
ont bénéficié d'une formation dans sept
établissements pénitentiaires sur les
neuf que compte la région (deux sont
en gestion déléguée), soit “644 personnes
formées en 2011, 845 en 2012 et 887 en
2013", précise Catherine Veyssy, viceprésidente
du Conseil régional d'Aquitaine
déléguée à la formation professionnelle.

En 2013, la région comptait 3 285 personnes
écrouées (dont certaines ne sont
pas hébergées dans un établissement pé
nitentiaire) sur 12 000 personnes sous
main de justice. Les formations dont
ont bénéficié les personnes détenues (ou
“hébergées") sont des formations spécifiques
et non pas de droit commun.
“L'acquisition des titres et diplômes repose
sur l'organisation, à l'intérieur des établissements,
des mêmes conditions d'examens
qu'à l'extérieur. Nous construisons en
amont les parcours de formation avec les
services de l'administration pénitentiaire et
la personne détenue peut, à sa sortie, s'engager
dans une formation de droit commun
dans le cadre du programme régional de
formation", ajoute Catherine Veyssy. En
2011 et 2012, des modules supplémentaires
et une augmentation du volume
horaire ont été financés dans le domaine
de la restauration (titre professionnel
“agent de restauration"). Cela concerne
les maisons d'arrêt de Périgueux et de
Bayonne “qui dispose d'une cuisine pédagogique
et qui offre 30 places par an".
“En 2013, nos actions ont été axées sur
la préparation à la qualification par une
découverte des métiers hommes et femmes
dans plusieurs établissements. Une dynamique
a également été poursuivie cette
même année avec la mise en place d'un
CAP « métiers de la mode vêtement flou »
pour les hommes à la maison d'arrêt de
Bordeaux-Gradignan, la création d'un
titre professionnel « menuiserie d'agencement
» (meubles ergonomiques pour les
résidences de personnes âgées) au centre
de détention d'Eysses, un CAP « maintenance
de matériels parc et jardin » au
centre de détention de Mauzac, ou encore
une formation « tissage de haute couture »
pour les femmes à la maison d'arrêt de
Pau", détaille Catherine Veyssy.

Dispositif d'orientation
de Pays de la Loire


En Pays de la Loire, la Région a mis en
oeuvre en février 2013 un dispositif expérimental
d'orientation en milieu carcéral
qui se prolonge jusqu'à fin 2014.
Ce dispositif entre dans le cadre d'une
convention signée avec Pôle emploi et
la Direction interrégionale des services
pénitentiaires (DISP) et concerne les
établissements pénitentiaires publics
(centre de détention de Nantes, maisons
d'arrêt d'Angers, Fontenay-le-
Comte, Laval et La Roche-sur-Yon).
“Depuis 2011, nous sommes engagés dans
des actions de pré-qualification dans les
secteurs du bâtiment et de l'industrie,
et le volet orientation était peu présent",
rappelle Jean-Philippe Magnen,
3e vice-président du Conseil régional,
et président de la commission emploiformation.
“Dans la mesure où la Région
expérimente le futur service public régional
de l'orientation, nous avons réfléchi
sur le type d'actions à mener en milieu
carcéral en termes d'orientation vers les
dispositifs de formation et de préparation
à la sortie. Nous avons mis en place des
ateliers d'orientation avec des conseillerspsychologues
du travail de Pôle emploi
pour accompagner les personnes détenues
et formaliser avec eux un projet professionnel
ou un projet tout court", explique-
t-il. En 2013, la Région a ainsi
engagé un effort budgétaire supplémentaire
à hauteur de 160 000 euros
pour le financement de ce dispositif
d'orientation, qui s'ajoute au budget
“de 1,5 million d'euros en 2013 consacré
à la formation des personnes détenues
dans les secteurs du bâtiment et de
l'industrie". Les ateliers sont animés par
Pôle emploi en lien avec les équipes pédagogiques
des établissements pénitentiaires.
“L'idée est d'aider la personne à se
projeter dans l'avenir, à poser des perspectives,
à partir de ce qu'elle a fait avant,
de ses centres d'intérêt, de ses attentes et
des aptitudes à valoriser", expose Jean-
Philippe Magnen.

Pour la période 2011-2013, 1 132 personnes
détenues ont été formées en Pays
de la Loire. Selon le bilan établi en janvier
dernier, la Région indique que “361 détenus
sont entrés en formation en 2013".
Trois-quarts d'entre eux ont un niveau
égal ou inférieur au CAP (certificat
d'aptitude professionnelle, niveau V).
Au 31 décembre 2013, 93 étaient toujours
en formation, 124 avaient bouclé
leur parcours, parmi lesquels 70 avaient
obtenu un certificat de formation
générale (CFG), un diplôme d'accès
aux études universitaires (DAEU), un
diplôme d'études en langue française
(Delf), un CAP (menuiserie, plâtrerie,
froid et climatisation), une certification,
un titre professionnel, un contrat
de continuité professionnelle (CCP)
ou encore une habilitation. En outre,
“48 % des détenus sortis de formation avec
un projet ont trouvé un travail à l'extérieur
de la prison".

Notes   [ + ]

1. Mode de gestion des établissements dans lesquels
les fonctions de gestion courante ainsi que certaines
fonctions liées à la prise en charge des personnes
placées sous main de justice sont assurées par des
groupements privés.
2. L'article 28 prévoit qu'à titre dérogatoire les formations,
comme d'autres activités, peuvent être mixtes.