François Hollande veut ouvrir l'apprentissage aux chômeurs de longue durée

Par - Le 01 juin 2014.

Comment “ouvrir la
porte de l'entreprise
à ces chômeurs de
longue durée" ? Par
l'apprentissage ? C'est que
souhaite le chef de l'État,
qui a annoncé ne plus
vouloir réserver cette voie
d'emploi-formation aux
jeunes de 16 à 25 ans.
Les chômeurs de longue
durée rejoindraient dès lors
les repreneurs d'entreprise
et les travailleurs
handicapés, qui bénéficient
déjà de la dérogation d'âge.
Un million de travailleurs
pourraient être concernés...

Ouvrir l'apprentissage “à tous les
âges de la vie" pour les chômeurs
de longue durée, c'était l'une
des 150 propositions récemment
présentées par Gérard Mestrallet,
le président de la Fondation agir contre
l'exclusion (Face) [ 1 ]L'Inffo n° 856, p. 6.. Une thématique qui
a retenu l'attention du président de la
République. “Je demande que l'on puisse
faire en sorte que les chômeurs de longue
durée bénéficient du statut d'apprenti,
quel que soit leur âge. Bien sûr, leur rémunération
étant maintenue au niveau
de l'indemnisation telle qu'elle est prévue",
annonçait-il le 28 avril dernier, devant
des acteurs territoriaux de l'État réunis
à Paris. Cette mesure concernerait plus
d'un million de chômeurs en France [ 2 ]Selon les chiffres publiés par la Dares (direction
des statistiques du ministère du Travail).
.

Lutter contre les réticences

Si l'apprentissage n'est aujourd'hui
ouvert aux plus de 26 ans que pour les
repreneurs d'entreprise et les travailleurs
handicapés (voir ci-contre), l'alternance
est plus généralement possible par le
contrat de professionnalisation. 19,8 %
de ceux-ci sont signés par des adultes
de plus de 26 ans. L'alternant doit alors
percevoir au minimum 85 % de la
rémunération et cette somme ne doit
pas être inférieure au Smic. Problème,
pour Vincent Baholet, délégué général
de Face : ce type de contrat ne bénéficie
que trop rarement aux chômeurs de
longue durée. “Si l'entreprise a le choix,
elle choisira toujours le demandeur d'emploi
qui est depuis le moins longtemps au
chômage."

Outil de reconversion

Mais selon lui, c'est un tabou qui est
en train d'être levé. D'ailleurs, poursuit
Vincent Baholet, “c'est la mesure qui a été
immédiatement pointée du doigt lors de
la remise du rapport". L'idée est de permettre
à ceux qui ont perdu le lien avec
le monde du travail de remettre un pied
dans l'entreprise. “Beaucoup d'entre eux
doivent trouver un emploi dans une zone
géographique nouvelle ou occuper un poste
différent. C'est donc pour eux l'occasion
d'une immersion en situation de travail."

Une nouvelle forme
d'alternance


Construire une alternance d'un autre
type. Telle était l'idée derrière la proposition.
Si François Hollande a spécifiquement
parlé d'apprentissage, le
rapport mentionnait, lui, un dispositif
d'alternance différent. “Nous parlions
plutôt d'expérimenter des formes d'alternance
nouvelles pour éviter les effets d'aubaine",
explique Vincent Baholet. En
effet, les entreprises, qui n'auraient rien
à débourser, pourraient voir en ces alternants
et chômeurs de longue durée de la
main-d'oeuvre gratuite. “Le risque existe,
c'est pour cette raison que le gouvernement
et les partenaires sociaux doivent s'emparer
de cette idée pour créer les conditions
favorables à éviter cet effet. On pourrait
imaginer, par exemple, des mesures visant
à réduire le temps passé dans l'entreprise."

Un “épouvantail" ?...

Mais l'apprentissage n'est une solution
que si les entreprises embauchent les
apprentis... La Confédération générale
des petites et moyennes entreprises
(CGPME) redoute des mesures aggravant
la situation. “En 2013 il y a eu une
chute de 8 % des contrats d'apprentissage,
les premiers chiffres sont encore pires
pour cette année et ce n'est que le début
des conséquences catastrophiques de la
dernière réforme", explique Jean-Michel
Pottier, chef de file de la CGPME lors
des négociations.

Et de rappeler que les contrats d'apprentissage
sont un dispositif de formation
initiale, et à ce titre, qu'ils visent très
majoritairement à obtenir un diplôme.
“Je ne vois pas en quoi le fait de retourner
en formation initiale pourrait permettre
aux seniors au chômage de retrouver un
emploi. Par ailleurs, vouloir imposer l'embauche
d'apprentis à des PME n'a pas de
sens, tandis que, de son côté, le contrat de
professionnalisation avec la dernière loi va
manquer de financement", souligne-t-il.
Jean-Michel Pottier fait le parallèle avec
une autre évolution en cours, la refonte
du statut des stagiaires (qui devrait
imposer le paiement des indemnités
dès le premier jour de présence, pour
les périodes de stage de plus de deux
mois). “Cet ensemble de réformes va être
dramatique pour l'emploi des jeunes et
l'alternance, dont on va faire un épouvantail
pour les entreprises", poursuit
Jean-Michel Pottier, qui assure que la
prochaine conférence sociale, début
juillet, sera avant tout l'occasion pour la
CGPME de rappeler cet argumentaire.

... ou un “tour de passe-passe" ?

Côté syndical, la CGT réagi avec virulence
: “Effet d'annonce", “tour de
passe-passe", “charity business", s'est-elle
immédiatement exclamée. Décryptant
une décision gouvernementale sous
influence “d'un patronat à l'affût de
nouvelles baisses de charges tous azimuts".

À ses yeux, “nous assistons au retour des
préconisations du rapport Boissonnat qui,
à la fin des années 1990, proposait la mise
en place d'un contrat d'activité avec un
revenu garanti sur cinq ans, contre la possibilité
de prêt de salariés entre entreprises
autant que de besoin". Pour la CGT, cette
proposition “entretient de graves confusions
entre formation initiale et formation
tout au long de la vie", en multipliant les
différents contrats de travail et les dispositifs
de formation.

Confusion avec le contrat
de professionnalisation


“Le contrat d'apprentissage, rappelle le
syndicat, relève de la formation initiale
en complémentarité avec la voie scolaire
d'enseignement professionnel. Son but est
d'amener un jeune en formation à une
certification facilitant son insertion professionnelle
comme sa reprise d'études." Son
ouverture aux chômeurs de longue durée
risque de le dénaturer. “Quel serait, dès
lors, le rôle du contrat de professionnalisation
− également appelé « formation en
alternance » − dont le but est, justement,
l'insertion dans l'emploi ?", s'interroge la
centrale. Des contrats pro que le patronat
est d'ailleurs accusé de privilégier au détriment
de l'apprentissage, “afin de transférer
le financement du parcours qui se faisait
autrefois dans l'entreprise sur la collecte
de la professionnalisation", et de ne proposer
aux jeunes, en sortie de parcours, que
sur une majorité d'embauches en CDD.
“Le contrat de formation est transformé en
contrat de production : c'est d'ailleurs une
des fraudes courantes dénoncées par les services
de l'inspection du travail", estime la
CGT.

“Vieux rêve patronal"

Pour le syndicat, “il est nécessaire de ramener
les contrats de professionnalisation
à leur finalité : l'accès à l'emploi de tous
ceux qui le souhaitent, donc majoritairement
des privés d'emploi ; de réserver de
façon stricte ce type de contrat aux jeunes
sortis du système scolaire sans qualification,
en renforçant l'accompagnement de
ce dispositif par le service public régional
de l'orientation et de permettre le maintien
du contrat de professionnalisation
pour les jeunes ayant besoin de finaliser
l'accès à un diplôme professionnel".

Un message directement adressé tant au
gouvernement qu'aux employeurs, alors
que du côté du Medef, Pierre Gattaz
dévoilait le programme “Beau travail"
développé pour faire connaître et valoriser
les métiers en tension, les formations
en alternance pour y accéder et les offres
d'emploi disponibles.

Célia Coste, Cédric Morin, Benjamin d'Alguerre

TROIS QUESTIONS À ROMAIN PIGEAUD,
juriste à Centre Inffo

“Une possibilité déjà existante,
quoique méconnue"

Le projet d'ouvrir l'apprentissage
aux privés d'emploi de longue durée
constitue-t-il une nouveauté ?


Dans une certaine mesure, le dispositif
existe déjà, mais il est très peu connu.
L'entrée en apprentissage sans limite d'âge
est possible dans les cas suivants : lorsque
le contrat d'apprentissage est conclu
par une personne reconnue travailleur
handicapé, et lorsque ce même contrat est
souscrit par une personne qui a un projet
de création ou de reprise d'entreprise dont
la réalisation est subordonnée à l'obtention
du diplôme ou titre sanctionnant la
formation poursuivie.

Avec quel impact ?

Dans une étude de 2013 sur les
apprentis, la Direction de l'évaluation,
de la prospective et de la performance
(Depp, Éducation nationale) indique qu'en
2011, l'effectif d'apprentis de plus de
26 ans s'établissait à 5 531, mais sans
préciser la part d'apprentis concernés
par l'enchaînement de formations en
apprentissage (autre dérogation sur la
limite d'âge), la reprise d'un commerce et
la situation de travailleur handicapé. La
proposition du président de la République
suggère que l'apprentissage puisse être
ouvert à une catégorie supplémentaire
de la population, alors qu'aujourd'hui, il
est limité, pour les plus de 26 ans, à la
création/reprise d'entreprise. Sur le plan
historique, le dispositif révèle une tendance
à s'ouvrir et il mérite d'être mieux connu et
utilisé pour la création-reprise.

Quel serait dès lors le rôle du contrat de
professionnalisation ?


Je maintiens cette idée d'ouverture du
contrat d'apprentissage car les deux types
de contrats de formation en alternance
(apprentissage et professionnalisation)
n'offrent pas les mêmes qualifications
et renvoient à des offres de formation
différentes. Par exemple, le Céreq
(Centre d'études et de recherches sur
les qualifications) a bien montré que les
deux types de contrats comportent des
caractéristiques distinctes, surtout quant au
niveau de la formation préparée. L'ouverture
de l'apprentissage reste donc une belle
possibilité, car il invite les personnes
à construire un projet professionnel
concret et très avancé. Cela leur offre
une chance supplémentaire de s'insérer
professionnellement.

Propos recueillis par Philippe Grandin

500 000 APPRENTIS EN 2017 : UN OBJECTIF TOUJOURS
D'ACTUALITÉ


L'alternance ? “Une priorité des prochaines
semaines et des prochains mois" du ministère
du Travail, selon François Rebsamen. Invité
par le Medef à la présentation du programme
“Beau travail" − une série de spots destinés à
valoriser les métiers en tension et les formations
qui y mènent, diffusés sur France 2 et
France 3 jusqu'en décembre −, le ministre n'a
pas nié la baisse des chiffres de l'alternance.
Mais l'heure est aux “campagnes de recrutement
pour la rentrée. C'est donc maintenant
que beaucoup de choses se dessinent. Tous, il
nous faut porter ce message dans les petites
entreprises comme dans les grandes, dans
tous les secteurs".

Parce que “c'est bon pour
l'économie "


En dépit d'un début d'année 2014 marqué par
un recul de 20 % des entrées en alternance
par rapport à 2013, le ministre du Travail a
réitéré l'objectif présidentiel de 500 000 alternants
à l'horizon 2017. “Non pas pour s'accrocher
aux engagements d'hier, mais tout simplement
parce que c'est bon pour l'économie
française." Et si d'ores et déjà des consignes
en ce sens ont été communiquées aux préfets
et aux services du ministère du Travail en parallèle
de discussions avec les Régions et les
partenaires sociaux, François Rebsamen a annoncé
la tenue de rencontres régionales entre
services de l'État, des Régions, syndicats et
patronat en juin, pour déterminer les pistes
nécessaires à “un développement maximal"
de l'apprentissage.

La réorientation
des fonds


Des discussions, mais pas seulement. La réorientation
des fonds de l'apprentissage est à
l'ordre du jour, via, notamment, une simplification
drastique des circuits de collecte et la
sensibilisation du corps enseignant. “Je vous
fais confiance pour porter ces attentes dans
les entreprises au niveau national et plus
encore à l'échelle régionale où la carte des
formations se construit", a lancé le ministre
du Travail aux représentants patronaux réunis.

Dépasser l'adéquation de l'offre
et de la demande


Également en perspective, le plan “100 000
formations prioritaires" (dont 35 000 ont déjà
été entamées pour l'année 2013), destiné à
insérer des demandeurs d'emploi dans les
métiers en tension − que le Medef valorise au
travers de sa campagne de communication. Sa
réussite est conditionnée à une “alliance des
forces économiques et sociales", à laquelle a
appelé le successeur de Michel Sapin, affichant
cependant sa volonté de voir dépassée
la simple règle d'adéquation entre l'offre et
la demande, pour entamer aussi une action
concrète en faveur des conditions de travail
et de rémunération. Une question “dont le
patronat doit se saisir", notamment dans les
futures négociations de branche, à l'heure de
la première vague d'allègements de charges
(10 milliards d'euros) au titre du pacte de responsabilité.

Benjamin d'Alguerre

Notes   [ + ]

1. L'Inffo n° 856, p. 6
2. Selon les chiffres publiés par la Dares (direction
des statistiques du ministère du Travail).