L'intelligence économique, il faut la partager...

Par - Le 15 mars 2014.

L'intelligence économique, voici un concept à découvrir ou à redécouvrir, dans le monde de la formation.
Il ne s'agit pas ici de secrets à garder pour soi, mais tout au contraire de prospectives à partager. Essentiel,
pour la définition de politiques de branche pertinentes. Illustration avec celle du transport-logistique.

Comme le rappelle Fabrice
Gutnik, président de l'Afref [ 1 ]Association pour la réflexion et l'échange sur la
formation. http://fr.afref.org,
la définition de l'intelligence
économique − l'“IE" − par le
Commissariat au plan date de
1994 : un ensemble d'actions de diffusion
de l'information utile aux acteurs
économiques. Mais le concept est
d'actualité en formation, au coeur de
l'enjeu fondamental de la compétitivité
des entreprises.

Le rapport Carayon [ 2 ]En juillet 2003, le député Bernard Carayon listait
38 propositions dans son rapport “Intelligence
économique, compétitivité et cohésion sociale"
. a jeté en 2003 les
bases d'une politique publique de l'IE
étendue aux régions, avec des expérimentations
en Basse-Normandie et
dans le Nord-Pas-de-Calais. Elles visaient
à développer la compétitivité des
territoires, et préfiguraient les Crefop
(comités régionaux de l'emploi, de la
formation et de l'orientation professionnelle).
Dès 2005, les secrétariats
généraux à l'action régionale (Sgar)
étaient dédiés à l'intelligence économique.

“Aujourd'hui, l'IE s'impose sur les secteurs
en tension, pour adapter les formations
aux besoins de développement
économique des régions, résume Fabrice
Gutnik. Il faut donc réunir les acteurs
de secteurs très différents autour de la
table dans un dialogue constructif, pour
faire avancer ce dossier, et faire face à
la concurrence, y compris celle des territoires.
C'était la logique des pôles de compétitivité,
catalyseurs d'IE, qui ont encore
des marges de progression."

Mise en pratique

“Si le terme d'intelligence économique
n'a pas pris, c'est qu'il évoque l'espionnage,
analyse Fabrice Gutnik. Mais
les acteurs économiques ne peuvent rien
faire sans tenir compte de leur environnement."
C'est le cas des entreprises
de transport en zone frontalière. La
nuance est dans la marge entre information
et renseignement. Et cela vaut
pour la formation. Des questions se
posent sur l'accès à l'information et
aux formations, sur les places disponibles
par rapport aux besoins, les domaines
utiles pour l'emploi, la répartition
entre niveaux de qualification,
et l'accès à la formation continue sur
le territoire.

L'IE offre une vision de l'évolution
économique de la branche, paritaire
et territorialisée, et dégage des perspectives.
Pourtant, souligne Jean-
André Lasserre, directeur des études
de l'AFT-Iftim − organisme de formation
du transport-logistique, avec
94 centres et 200 000 personnes formées
par an −, son application à la
branche n'allait pas de soi : “Ce n'est
pas dans le registre de la formation professionnelle
de se livrer à des exercices de
conjoncture économique. Il y a eu une
réflexion patronale sur l'IE, puis syndicale,
et finalement, interprofessionnelle."

Avec l'émergence des contrats
d'études prospectives (CEP) et des observatoires,
le lien se fait. La production
d'intelligence économique a été
mise en place par les branches qui ont
réfléchi sur les territoires et l'emploi,
et voulu y participer activement.
Des conditions doivent être remplies :
une représentation territoriale et des
partenaires sociaux qui “se projettent
dans l'avenir", explique le directeur
des études. “Un travail de production
de données est réalisé par appropriation
de l'intelligence économique, pour peu
qu'elle soit partagée de manière pédagogique."
Comment ? “Un Observatoire
prospectif des métiers et des qualifications
dans les transports et la logistique
(OPTL) comprend 30 représentants
des organismes de développement de la
formation, de l'Opca Transports, des
Régions, des agences, des conventions de
coopération avec l'Éducation nationale,
Pôle emploi, les institutions de prévoyance,
le Cnam, l'Ademe… De quoi
produire des actions et des projets."
Et d'ajouter : “Le CEP a permis d'améliorer
l'observation territorialisée de
l'intelligence économique. Si l'on ajoute
le travail pédagogique dans la durée, et
l'organisation en réseau des acteurs, nous
croisons les démarches conventionnelles et
cela débouche sur des projets."

“Éco-conduite" en
Languedoc-Roussillon


Un exemple ? En Languedoc-Roussillon,
un partenariat avec l'Ademe et le Conseil
régional a permis de financer 183 parcours
de formation dans le cadre du
projet “Éco-conduite", explique Jessicah
Najih, déléguée régionale de l'Opca
Transports. La démarche était réservée
aux entreprises de transport signataires
de la charte “Objectif CO2". Quelque
118 parcours de formation (de sept
heures) ont porté sur les bases d'une
conduite maîtrisée, pour les conducteurs,
38 parcours offraient un perfectionnement
aux conducteurs ayant déjà suivi
une formation, et 27 ont permis de former
des référents internes parmi le personnel
d'exploitation, managers, cadres
chargés de collecter l'information pour
leur entreprise et de rappeler les bonnes
pratiques aux conducteurs. L'engagement
financier s'élève à 32 631 euros hors
taxes. Pour le Conseil régional, il s'inscrit
dans le cadre d'un programme pour la
promotion de l'emploi par la formation
des actifs (Pefa). Une démarche en phase
avec celle de l'intelligence économique,
appliquée à la formation.

“Une approche intégrée
qui profite à tous"


“La démarche empirique dégage la logique
à l'oeuvre dans notre champ, et la
puissance publique apporte son soutien
pour l'amplifier, résume Jean-André
Lasserre. Dans le transport, beaucoup de
très petites structures ont besoin de se retrouver
et d'être représentées par les corps
intermédiaires. Notre activité n'est pas
concentrée. Prenez le cas des ambulances,
il n'y a pas de monopole d'activité sur
un territoire. Cela induit une démarche
sociologique intéressante, avec plusieurs
branches qui entrent dans la même dynamique
et expérimentent des moyens
différents. Cela montre qu'il faut réussir
l'articulation entre le sectoriel européen,
le national et le local, territoire de prédilection
de la formation professionnelle.
On ne peut pas produire de projets qui
ignorent les particularités de branche.
Il faut tout faire pour préserver ce qui
existe, l'appui des écoles vers les métiers,
et créer une approche intégrée qui profite
à tous."

“En s'appuyant sur des réalités sectorielles,
on peut construire des relais d'accompagnement
de ces dynamiques auprès des
PME, poursuit le directeur des études
de l'AFT-Iftim. Si ce n'est pas trop
« techno », il est possible de favoriser la
logique de coopération sans fragiliser ce
qui fonctionne." Mais “aujourd'hui, je
crains que l'on ne laisse pas les constructions
arriver à maturité, que l'on crée des
batailles entre interprofessionnel et professionnel,
régional et sectoriel...".

Il souhaite que l'AFT et l'Opca travaillent
ensemble sur des champs complémentaires.
“S'ils se coordonnent, cette
ossature peut accompagner des entreprises
comme Mory-Ducros, travailler avec
l'Ademe, signer des conventions entre la
Fédération nationale des transporteurs
sanitaires et l'organisme de prévision de
la branche… Cela crée un climat favorable
à l'entreprise et à l'accompagnement
des hommes, à l'enseignement professionnel,
dans les territoires et les secteurs",
envisage-t-il.

L'IE, on en fait sans le savoir

Maxime Dumont, président de la
commission paritaire nationale professionnelle
de l'emploi et de la formation
professionnelle dans les transports
routiers et les activités auxiliaires du
transport (CPNE), nous précise que sa
commission gère 650 000 salariés, correspondant
à la convention collective
des transports. Elle met en place des
formations de branche à mesure que les
métiers apparaissent, et éprouve davantage
de difficultés à réformer ceux qui
existent. L'IE lui sert à définir les perspectives
de formation, avec des certifications
de qualification professionnelle
(CQP) inscrites au Répertoire national
des certifications professionnelles
(RNCP). Les formations sont agréées,
ou retirées. Cela concerne des processus
de sécurité, avec un jury composé
de professionnels en activité dans le
secteur qui présente un candidat. Le
jury contrôle les formations et passe
trois jours dans les établissements à
vérifier que le parcours des élèves correspond
au référentiel. Si le centre ne
répond pas au cahier des charges, son
agrément est suspendu.

Se percevant comme un “Monsieur
Jourdain" de l'intelligence économique,
Maxime Dumont dit en avoir
fait sans le savoir. La démarche d'IE
est en adéquation avec les logiques
d'entreprise, centre de profit qui, en
tant que tel, a avantage à rendre ses
salariés plus performants. C'est ainsi
qu'ont été mises sur pied des certifications
répondant aux questions
posées par les comités de pilotage, et
modifiées en fonction des évolutions
rapides du secteur, pour le transport
de fonds ou les déclarants en douane.
“Les OPTL sont nos yeux et nos oreilles
en régions, et font le yoyo vers le CPNE et
le national", dit-il, fier de la précision
de ses prévisions d'emploi à 0,5 %
près depuis quinze ans, intégrant les
besoins de logistique et transports de
personnes lors de la construction de
lignes à grande vitesse.

Notes   [ + ]

1. Association pour la réflexion et l'échange sur la
formation. http://fr.afref.org,
2. En juillet 2003, le député Bernard Carayon listait
38 propositions dans son rapport “Intelligence
économique, compétitivité et cohésion sociale"