La réforme va-t-elle inciter les branches professionnelles à se regrouper ?

Par - Le 15 janvier 2014.

Après la conclusion de l'Ani et avant l'adoption en conseil des ministres du projet de loi, l'heure
est à la prospective pour les acteurs de la formation. Les collecteurs − Opca et, plus encore,
Fongecif − s'inquiètent de la remise à plat du financement mutualisé des fonds. Et s'attendent déjà
à des regroupements

L'Aferp (Association française
d'étude des relations professionnelles)
a récemment invité
Joël Ruiz, directeur général
d'Agefos-PME, à présenter son
décryptage du contenu de l'accord. Un
avis d'autant plus attendu que l'Opca
qu'il dirige constitue l'un des “bras armés"
de la CGPME. “Cette réforme va
fortement impacter les Opca, a constaté
le directeur général, puisque, selon les estimations,
son application réduira de près
de deux milliards d'euros les fonds gérés
paritairement au titre de la formation."
Et s'il a vu dans le texte l'amorce d'une
réforme structurelle du système de formation
français “qui tourne la page de
quarante ans d'histoire initiés par la loi
de 1971", il a avoué s'inquiéter d'une
remise à plat du financement mutualisé
des fonds de la formation sans
que rien ne vienne remplacer le mécanisme
de mutualisation par lequel les
PME parvenaient à trouver l'argent
nécessaire à leurs actions de formation.
“Aujourd'hui, dans les entreprises de
moins de 250 salariés, près de 80 % des
fonds dédiés à la formation passent par les
tuyaux des Opca alors que ce ratio n'est
que de 36 % dans celles de plus grande
taille", a-t-il expliqué.

Logiques nouvelles

Au vu des chiffres, pas étonnant que,
durant la négociation, le Medef – en
tant que représentant des grandes
entreprises – ait estimé qu'il était
nécessaire de réformer en profondeur
un système de financement arrivé en
“bout de course", là où la CGPME
persistait à vouloir maintenir un financement
de la formation mutualisé,
efficace pour répondre aux besoins des
PME. Et si quatre syndicats de salariés
sur cinq (CFDT, FO, CFE-CGC,
CFTC) se sont alignés sur la position
du Medef, c'est avant tout dans l'idée
de remplacer l'actuelle logique de la
formation essentiellement tournée
vers l'adaptation au poste de travail
par des outils tels que le CPF ou l'entretien
professionnel, destinés à faire
croître le niveau de qualification des
salariés et des demandeurs d'emploi.
“Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'ils se
sont accordés sur une base de 150 heures
pour le compte personnel de formation,
puisque c'est le minimum horaire à partir
duquel peut commencer une action
de formation qualifiante", a souligné
Joël Ruiz.
Reste que la “révolution copernicienne"
induite par l'Ani du 14 décembre 2013
ne sera pas sans conséquences sur
la gestion de la formation. Va-t-on
connaître un nouveau regroupement
d'Opca pour faire coller leurs services
aux nouveaux besoins induits par l'accord
? “Peut-être"...

Fusions, élargissements,
regroupements...


Un rapprochement des branches professionnelles
? “Plus que probable", a
affirmé Joël Ruiz. D'autant qu'il s'agit
là de l'une des recommandations de
Jean-Denis Combrexelle qui, dans
son rapport [ 1 ]L'Inffo n° 846, p. 4., en comptait près de 700
(dont presque 186 non représentatives)
et suggérait de réduire ce nombre à
250-300 par le biais de fusions, élargissements
ou regroupements. “En
créant la pénurie des fonds de la formation,
le gouvernement incite celles-ci à se
regrouper…" À voir comment cellesci
procéderont, car jusqu'à présent,
leurs rapports aux fonds de la formation
correspondent à des logiques très
différentes.

Ainsi, si celle du bâtiment accorde un
suivi très attentif au plan de formation
des entreprises qui la composent,
ce n'est pas le cas de celle de la banque
et des assurances, qui recourt a minima
aux fonds fléchés. “La diminution
très forte du rôle des Opca et l'effondrement
des financements conventionnels
vont contraindre les branches à sortir
des politiques de métiers qui étaient
les leurs", a prédit le directeur général
d'Agefos-PME.

Benjamin d'Alguerre

UN PARI “À REBOURS DE QUARANTE ANS DE LOGIQUES FISCALES" ?

Rédigé sous pression, l'Ani proposé par les
partenaires sociaux le 14 décembre 2013 n'a
guère laissé le temps aux négociateurs d'entrer
dans le détail. Charge à la future loi et ses décrets
d'application d'en préciser les conditions
de mise en oeuvre. Sans attendre davantage,
les participants à un séminaire en ligne organisé
en décembre par l'organisme de formation
Demos [ 2 ]www.demos.fr ; www.demosgroup.com ont assailli de questions le consultant
en droit social et RH Jean-Pierre Willems, pour
mieux comprendre la portée opérationnelle de
la réforme 2013. Morceaux choisis.

Le CPF, un dispositif à
mi-chemin du Cif et du Dif


Grande nouveauté de la réforme, la création
du compte personnel de formation (CPF) vient
se positionner entre le congé individuel de
formation (Cif) et le droit individuel à la formation
(Dif). Alors que le Cif est aujourd'hui
“positionné très majoritairement sur des formations
diplômantes ou qualifiantes de longue
durée, explique Jean-Pierre Willems, le CPF
est, lui, positionné sur des durées moyennes
de formation et des objectifs de qualification".

Autrement dit, le CPF “suppose, soit d'arriver à
obtenir les abondements nécessaires au projet,
soit de fonctionner de manière modulaire et par
étapes, sur des éléments de qualification et
non pas sur des diplômes intégralement suivis
dans le cadre du CPF". S'agissant des abondements,
le consultant souligne que ceux-ci ne
passeront pas nécessairement par le plan de
formation : “Il faut oublier la notion de plan de
formation telle qu'on la connaît, c'est un financement
de l'entreprise, point final. La notion de
plan de formation n'avait de sens qu'au regard
de dépenses déductibles consécutives à l'obligation
de financer le plan", commente-t-il.

Grosse différence avec le Dif, qui reste en
vigueur jusqu'au 31 décembre 2014, le CPF
n'est pas orienté sur les formations de courte
durée type “conduite de réunions". Concédant
que les Opca n'auront désormais que peu de
dispositifs à mettre en face des demandes de
type Dif, Jean-Pierre Willems esquisse un nouveau
schéma : “D'un côté, les fonds mutualisés
pour accompagner les parcours un peu longs et
l'accès à la certification ; de l'autre, des entreprises
totalement libres de faire ce qu'elles
veulent en matière d'adaptation des salariés."
Précision : “Libre du point de vue fiscal, car
l'obligation d'adaptation demeure dans le Code
du travail." Reste que si la loi valide le principe
d'un fléchage vers les formations qualifiantes,
certifiantes et diplômantes, un vaste chantier
s'ouvre pour les entreprises qui avaient développé
des programmes importants autour du
Dif, prévient le consultant.

Des financements suffisants
pour démarrer


Comme jadis le droit individuel à la formation
(Dif), le financement du compte personnel de
formation (CPF) suscite de nombreuses interrogations,
posant parfois clairement la question
de la solvabilité du dispositif. Avec des estimations
comprises entre 800 et 900 millions
d'euros, l'enveloppe permet d'envisager un
potentiel de 300 à 500 000 bénéficiaires, calcule
Jean-Pierre Willems. Soit aucun “goulot
d'étranglement immédiat" à craindre au regard
des priorités hors temps de travail et du fléchage
du dispositif vers les formations qualifiantes,
estime-t-il. Preuve, selon lui, que l'on
prévoit en cette phase de démarrage des financements
suffisants au regard des demandes
des salariés, l'Ani prévoit même une “dynamique
des financements de la formation". Ceci,
en prévoyant un redéploiement par l'Opca de la
collecte au titre du CPF qui ne serait pas utilisée
dans l'année.

Quel avenir pour les Opca ?

“Seront d'autant plus prêts les Opca qui ont
déjà développé une politique de services en
direction des entreprises, sans attendre l'Ani
du 14 décembre 2013", prévient Jean-Pierre
Willems. Soulignant l'évolution importante
que fait peser l'Ani sur les Opca, il en précise
les enjeux : “Être capables de mener de front
les politiques d'intérêt général, plutôt dans la
sphère publique (demandeurs d'emploi, accès
à l'emploi, reclassement) et, par ailleurs, les
services davantage typés gestion des compétences
et des parcours en direction des entreprises."
Et d'insister : “Ce deuxième volet n'est
pas généré par la loi, mais par les branches et
les entreprises qui le souhaitent, ce qui veut
dire une politique de services renforcée et
développée."

Vers plus ou moins
de formation ?


Répondant aux craintes qui s'expriment quant à
une baisse de l'engagement formation des entreprises
consécutive à la baisse de la contribution
au plan de formation pour les entreprises
de 50 à 299 salariés, le consultant de Demos
évoque un “pari" reposant sur la capacité des
employeurs à assumer pleinement leurs “responsabilités
sociétales". À cette condition,
la diminution des financements obligatoires
“pourrait avoir un effet de développement dans
la mesure où l'entreprise ne prendrait plus son
obligation légale comme un budget indépassable
mais serait amenée à raisonner en fonction
de ses besoins". CQFD : “Ce n'est pas le
levier financier qui fait la formation."

Des entreprises vont-elles diminuer leur dépense
? “Bien évidemment, soit qu'elles n'ont
pas de besoins constatés, soit qu'elles n'ont
pas de demandes, soit qu'elles n'anticipent pas
les besoins à venir, etc." Un pari : “On essaie
de centrer le débat sur les besoins de chacun
plutôt que sur le pré-calcul d'un budget qu'il
s'agirait de dépenser. Tout le pari de l'Ani est
d'inverser la logique. Comme cela fait quarante
ans que l'on est inscrits dans des logiques
fiscales, il est certain qu'il va falloir perdre de
manière assez rapide certaines habitudes, ce
qui ne sera pas du tout évident…"

Alors qu'un vote de la loi est prévu dans les
deux mois, pour une entrée en vigueur au
1er janvier 2015, Jean-Pierre Willems souligne
les principaux points à préciser : les modalités
de mise en place du conseil en évolution
professionnelle (CEP) dans le cadre du service
public de l'orientation ; la définition nouvelle
de l'action de formation, avec l'apparition d'un
financement “au forfait" ; les conséquences de
la suppression de l'obligation fiscale, notamment
en matière de contrôle et de disparition
de la notion d'imputabilité.

Nicolas Deguerry

Notes   [ + ]

1. L'Inffo n° 846, p. 4.
2. www.demos.fr ; www.demosgroup.com