Les groupes de formation français misent sur l'international

Par - Le 01 juin 2014.

Les marchés émergents de la formation, du Togo aux Philippines en passant par les Émirats, ou
de la Guinée équatoriale au Mozambique, sont-ils l'Eldorado des organismes de formation privés
français ? Les chiffres le prouvent : ils portent la plus grande part du chiffre d'affaires des géants
du secteur. Le e-learning qu'ils diffusent répond à la demande de pratiques “professionnalisables",
adaptables aux cultures locales, faciles à mettre en œuvre.

Amérique du Nord, Mexique,
Togo, Singapour, Philippines...
Début avril dernier, Cegos, l'un
des leaders européens de la formation
professionnelle, annonçait
avoir conclu six nouveaux partenariats
internationaux de distribution de son
catalogue e-learning, renforçant ainsi
son réseau de partenaires, qui en comptait
déjà une quarantaine. Pour Pascal
Debordes, directeur de ce réseau, “ces
nouveaux partenariats témoignent de la
rapidité à laquelle le marché évolue, et de
notre capacité à saisir les bonnes opportunités
pour accroître notre développement
à l'international. Sur les marchés les plus
matures comme dans les pays émergents, les
besoins de formation sont considérables".

60 % du chiffre d'affaires
de Cegos


Selon les résultats 2013 du groupe, cette
“activité distributeurs" − qui vise à distribuer
les offres de formation e-learning
et blended learning du groupe à l'international
− représente plus de 60 % de
son chiffre d'affaires. Cette tendance,
qui ne concerne pas uniquement le
e-learning, s'explique aussi par “la volonté
stratégique du groupe de se développer
à l'international, en dehors des territoires
historiques comme l'Europe".

Elle se justifie sûrement aussi par la
mauvaise performance économique
des pays d'Europe, qui tire les résultats
globaux des prestataires français vers le
bas. Le groupe Cegos, qui a réalisé un
chiffre d'affaires global de 158,5 millions
d'euros (- 6 % par rapport à 2012),
peine en Europe : - 3,5 %, en France,
8 % en Europe du Nord (Allemagne,
Grande-Bretagne et Suisse), 14 %
en Europe du Sud (Espagne, Italie et
Portugal).

La première priorité
de Demos Group


Son concurrent, Demos Group, qui a
annoncé un chiffre d'affaires consolidé
2013 de 89 millions d'euros (- 7,6 %
par rapport 2012), se trouve-t-il dans
une situation similaire ? “Les chiffres
d'affaires de l'ensemble des organismes de
formation connaissent une baisse due à
la crise et à un marché en contraction en
Europe, particulièrement en France. Ces
entreprises doivent la stabilité de leurs
bilans à la bonne santé de leurs activités
à l'étranger", indique Sean Craig, le directeur
des opérations internationales
du groupe. Ici aussi, c'est l'international
qui donne le souffle au groupe.

En effet, explique-t-il, “sa stratégie est
de développer ses activités à l'international.
Nos principaux clients sont internationaux
et nous demandent d'avoir
la capacité d'intervenir partout dans le
monde. De plus, nos solutions sont mondiales
dans un marché qui se développe
à l'international. Il aurait été suicidaire
d'être peu présents dans les parties où il se
développe".

Sur 4 continents et dans 12 pays

Dans ce cadre, le groupe dirigé par Jean
Wemaëre a procédé à des rachats d'organismes
de formation à l'étranger en les
transformant en filiales : en Allemagne
(EWA), en Espagne et au Portugal
(Global), en Suisse (Mos et STS), en
République tchèque (Pragoeduca),
au Royaume-Uni et aux États-Unis
(Hemsley Fraser). Auxquelles il faut ajouter
des “partenaires" au Mozambique,
au Cap vert et en Guinée équatoriale.
Les autres filiales sont des créations :
en Belgique, en Pologne, au Maroc,
en Algérie, à Dubaï et en Australie. En
Chine, il a choisi d'opérer des co-entreprises [ 1 ]Accords passés entre plusieurs entreprises, qui
acceptent de poursuivre ensemble un but précis
pour une durée limitée.
(à Pékin et Shanghaï). Sean Craig
s'occupe du développement du groupe
dans 12 pays.

Portés par le e-learning

Cegos a donc démultiplié ses implantations
et ses partenariats à l'international,
tant sur les marchés dits “matures"
(Amérique du Nord) qu'émergents
(Togo, Philippines, etc.), avec, en
focus, un ciblage particulier sur le
Moyen-Orient (notamment dans les
Émirats Arabes Unis, où le groupe
développe du e-learning en arabe, lui
permettant de se positionner sur l'ensemble
des États du golfe Persique),
l'Asie-Pacifique (avec l'ouverture d'un
nouveau bureau à Singapour ), etc.

“De toute évidence, les solutions formation
qui s'appuient sur les nouvelles technologies
s'imposent de plus en plus sur ce marché.
Cette progression tend à devenir la
norme. La demande est particulièrement
présente dans les économies émergentes,
qui recherchent de plus en plus de solutions
fondées sur le partage des meilleures pratiques
professionnalisables, adaptables à
la culture locale, faciles à mettre en oeuvre
et adaptées à l'objectif de formation", explique
Jérémy Blain, directeur général
de Cegos Asie-Pacifique. En 2013, le
groupe a enregistré, dans cette zone, des
résultats de + 7 %. Cette hausse continue
depuis plusieurs années, n'est pas
prête de s'arrêter.

Recruter des “partenaires
distributeurs"


“Pour se développer rapidement dans
ce domaine [du e-learning], notre
stratégie est de recruter des partenaires
distributeurs de nos solutions dans les
différentes parties du monde, explique
Pascal Debordes. S'implanter dans un
pays prend du temps et est compliqué.
Alors que recruter des partenaires déjà
leaders dans leur pays et leur domaine
nous ouvre les portes de leurs clients. Il
est donc préférable et rapide d'étendre
notre activité au niveau international
via des partenaires que de chercher à
s'implanter dans les pays."

Maîtriser l'accompagnement
des entreprises


Comme Sean Craig, Pascal Debordes
reconnaît le rôle important que joue le
e-learning dans ces expansions : “La
volonté stratégique du groupe de
se renforcer à l'international répond
aussi à un développement
important du e-learning."
Les entreprises ont besoin
de former leurs salariés,
notamment dans les pays
à forte croissance, où elles
sont à la recherche de salariés
qualifiés.

“L'utilisation du e-learming
et sa « maximisation » sont
aujourd'hui acquises. Les
prestataires ont une meilleure
maîtrise de l'accompagnement
des entreprises dans l'utilisation
de cette modalité d'apprentissage",
poursuit Pascal Debordes. De plus, la
pression sur les budgets de formation
est devenue importante, et partout
dans le monde les entreprises doivent
former davantage de personnes avec
des budgets non extensibles. Elles sont
sensibles aux avantages économiques
apportés par le e-learning. Clairement,
“les besoins en formation des entreprises
ont changé, et nous avons adapté notre
ingénierie et notre pédagogie. Notre présence
opérationnelle permet de proposer
à nos clients des offres qui répondent à
leurs situations et leurs besoins", précise
Sean Craig.

Des formations proposées
en... 37 langues


Mais, à l'étranger, les organismes
français sont-ils polyglottes ? Selon
Sean Craig, Demos, qui “emploie
650 formateurs permanents et 3 000
formateurs experts associés recrutés au
même niveau de chaque pays", délivre
des formations dans les langues locales.
37 langues, précise-t-il. Il reconnaît
cependant, que “la demande
de formation en anglais est de plus en
plus forte".

Pour Pascal Debordes, “dans notre
catalogue, toutes les formations sont en
français, mais également en anglais et
dans les 16 autres langues. La première
chose à faire est d'avoir des contenus
dans différentes langues. Nombreux
sont ceux qui parlent anglais, mais
la plupart des apprenants ont besoin
d'être formés dans leur propre langue".

Le Cesi mise sur la
francophonie


Le Cesi, qui n'a pas la même culture
d'expansion capitalistique que Demos
et Cegos, met en avant sa volonté de
promouvoir le français et la francophonie.

“Outre l'Espagne, les pays dans lesquels
le Cesi dispose de filiales (Algérie et
Maroc) ou développe des partenariats
(Cameroun) sont exclusivement francophones.
Et nos programmes et outils
pédagogiques sont en français. C'est
un choix" (voir interview), explique
Jacques Bahry, délégué général de
l'organisme dont l'activité à l'international
représenterait moins de 3 millions
d'euros (sur les 70 à 75 millions
d'euros de chiffre d'affaires réalisé en
2013). L'association participe cependant
à des projets européens (Tempus,
Force, Leonardo…) notamment tournés
vers l'Europe de l'est (Roumanie,
Russie, Pologne).

Le marché des institutions
européennes


Accompagner les institutions européennes
constitue une autre activité à
l'international pour le groupe Demos.
Depuis plus de dix ans, indique
Sean Craig, “le groupe développe un
savoir-faire et expertise technique dans
la conception et la mise en oeuvre de
programmes sur-mesure à destination
d'audiences multiculturelles des institutions
européennes" (formations en
finance, gestion, management,
communication, développement
personnel et “efficacité
professionnelle",
etc.). Dispensées à 60 %
en anglais, ces formations
concernent près
de 40 institutions,
agences et de nombreux
fonctionnaires
en Europe et dans
les délégations de
l'Union à l'étranger.

“Des contrats
d'envergure
mondiale"


Le groupe Cegos souhaite
également poursuivre son
développement international “en
consolidant sa position sur les contrats
internationaux, en accompagnant de
nombreuses multinationales dans la
globalisation de leur politique de formation,
en favorisant le développement
de parcours blended, associant formation
présentielle et e-learning". Et,
insiste le directeur du réseau des partenaires
internationaux du groupe,
“en remportant des contrats d'envergure
mondiale, intégrant des services de management
de la formation".

ENTRETIEN AVEC JACQUES BAHRY, délégué général du groupe Cesi [ 2 ]Et vice-président de Centre Inffo.
“Une aide rélle dans des pays francophones"

Fondé en 1958, le Cesi est historiquement
tourné vers l'international. Qu'y fait-il ?


Le Cesi a intégré la dimension
internationale dans chacune de ses trois
marques : “Cesi Entreprises", qui répond à
l'ensemble des problématiques de gestion
des emplois et des compétences dans le
cadre d'une offre de formations modulaires,
qualifiantes et sur mesure ; “eCesi",
première école d'ingénieurs par la voie de
l'apprentissage en France ; “Exia.Cesi",
qui permet l'obtention du titre de niveau I
de manager des systèmes d'information.
Il l'a intégrée également au travers de ses
deux filiales implantées en Espagne et en
Algérie.

En effet, dans le cadre de son activité
de formation continue, le Cesi a créé, en
1989, une filiale en Espagne. Implantée
à Madrid et à Barcelone, “Cesi Iberia"
réalise des prestations d'études et de
conseil, essentiellement dans les domaines
du management et des ressources
humaines, dans des grands groupes
industriels internationaux, pour le compte
de fédérations sectorielles d'entreprises
et auprès des administrations publiques.
Il développe une expertise en matière de
e-learning et conçoit de nombreux contenus
de formation à destination des marchés
hispanophones et francophones.

Un marché touché par la crise financière...

Effectivement, cette filiale a connu
une réduction d'effectifs. Nous avons
développé les locaux de façon à avoir
les salles nécessaires pour pouvoir
réaliser des actions de formation d'aide à
l'insertion en partenariat avec des branches
professionnelles.

Toujours en Espagne (Pays basque), le Cesi
a développé un partenariat avec l'Institut
de la machine-outil (Instituto de máquina
herramienta, IMH) qui forme en apprentissage
des ingénieurs espagnols.

Et en Algérie ?

Notre filiale “Cesi Algérie", à Alger, a été
créée en 2003. Avec un chiffre d'affaires
de quelque 2 millions d'euros, elle propose
des formations interentreprises et intra sur
mesure, des formations en informatique,
ainsi que des mastères spécialisés. Elle
s'adresse principalement aux grandes
entreprises publiques ou privatisées, ainsi
qu'aux administrations publiques. Depuis
deux ans, nous avons ouvert notre école
d'informatique, l'Exia Cesi, qui connait un
franc succès.

Cette filiale de 35 collaborateurs gère
aussi des programmes franco-algériens
de coopération interuniversitaires pour le
compte de l'ambassade. Nous envisageons,
à l'instar de la France, une régionalisation.
Le fait d'avoir une langue commune a
facilité le développement de nos activités
en Algérie. L'ensemble de nos outils
pédagogiques étant en français, les
Algériens participent plus facilement à nos
activités. Nous parvenons à apporter une
aide réelle dans des pays francophones,
davantage que dans des non francophones.
N'ayant pas d'objectifs capitalistiques, notre
objectif est ainsi d'aider au développement
de pays, surtout francophones.

Sans créer des filiales dans ces pays ?

Nous ne souhaitons plus créer de filiales,
parce que coûteuses. Nous avons plutôt
décidé de développer un système de
franchise.

La formation en informatique est celle de
nos offres la plus facile à franchiser. Elle
est “packagée" et envoyée chaque nuit
par internet. C'est pour cette raison que
nous avons décidé de monter l'“Exia Cesi"
à Douala (Cameroun), en partenariat avec
l'Institut catholique des arts et métiers
(Icam). Celui-ci relève de l'Université
catholique de l'Afrique centrale (Ucac).
Nous sommes actuellement en phase de
recrutement des stagiaires, dont la première
promotion débute en octobre prochain.

Pourquoi avoir choisi le Cameroun et
l'informatique ?


Il nous a semblé que les besoins majoritaires
dans ce pays, et sûrement dans les autres
pays de la région, sont particulièrement
les infrastructures. Dans le domaine de
l'informatique, ces pays investissent
énormément dans les réseaux (4G, mobilité,
etc.). Les besoins en compétences sont
considérables, qui ont motivé notre choix
de former des informaticiens spécialisés.
Nous les faisons bénéficier d'un accord de
partenariat avec Cisco, spécialisée dans les
systèmes réseaux. Nous croyons beaucoup
au développement de l'Afrique, dont la
plupart des pays connaissent des taux de
croissance très positifs. Nous développerons
sans doute d'autres franchises dans d'autres
pays francophones africains. Car pour qu'une
franchise fonctionne, il faut un réseau de
franchisés, qui communiquent entre eux.
Mais avant cette étape, il est important de
réussir la première expérience, avec l'Icam-
Ucac. Ce sera un élément important pour
trouver des partenaires pour de nouvelles
franchises.

Quelle méthode pédagogique appliquez-vous
?


Nous avons choisi une méthode fondée sur
les apprentissages par problèmes (APP) [ 3 ]À ne pas confondre avec les Ateliers
de pédagogie personnalisée.
développée par l'Uqam [L['Université du Québec à Montréal.[/footnote] En partant de l'idée que la plupart des
écoles d'informatique qui sélectionnent à
l'entrée par les mathématiques perdent ainsi
beaucoup de jeunes à potentiel. De plus, un
des reproches que les entreprises adressent
aux jeunes informaticiens est de ne pas
savoir participer à un collectif de travail.
La formation accorde une place importante
aux stages en entreprise et à la pédagogie
d'ouverture. Comme c'est le cas avec les
Français, les stagiaires de l'Icam-Ucac qui le
souhaitent pourront poursuivre leur formation
en doctorat à l'Université du Québec à
Montréal.

Notes   [ + ]

1. Accords passés entre plusieurs entreprises, qui
acceptent de poursuivre ensemble un but précis
pour une durée limitée.
2. Et vice-président de Centre Inffo.
3. À ne pas confondre avec les Ateliers
de pédagogie personnalisée.