Métiers du “bien vieillir" : le marché est-il prêt à payer pour former ?

Par - Le 01 juillet 2014.

Vieillir étant toujours le meilleur moyen de rester vivant, le grand âge concernera bientôt un tiers de
la population française. Une économie - flanquée de ses filières de formation - se développe pour faire
face à cette réalité, déjà baptisée “silver economy", celle des “tempes argentées". L'argent : voilà bien
toute la question.

Alors que le projet de loi sur
“l'adaptation de la société au
vieillissement" passait en commission
des affaires sociales de
l'Assemblée nationale le 10 juin
dernier, se tenait le même jour une
conférence parlementaire sur la “silver
economy" - laquelle regroupe toutes les
entreprises agissant pour (ou avec) les
personnes âgées. S'il y fut beaucoup
question de marketing et de communication,
la formation s'est également
invitée à la table des débats. Avec une
interrogation majeure à la clé : comment
convaincre les acteurs du secteur
qu'il s'agit d'un investissement, si le
marché n'est pas prêt à payer l'exigence
de compétences ?

Une source inespérée
de croissance ?


“Alain Juppé m'a envoyé une carte
senior. Je pensais que c'était une
sorte de reconnaissance pour mes
états de service, mais non. C'est
une carte de réduction pour les
opérettes en matinée et les magasins
de prothèse…" Guy Bedos ? Raté :
Michèle Delaunay, ancienne
ministre déléguée aux Personnes
âgées et à l'Autonomie.
Objectif : démontrer que la
francophonie pouvait bien
tolérer une entorse au
bon usage au service
de la grande cause
de la “silver economy".
Concocté
avec son ancien
collègue Arnaud
Montebourg, le
concept vise à redorer
le grand naufrage… pardon,
la vieillesse. “Silver, c'est
comme la carte Gold, c'est appréciatif !",
estime-t-elle. Soit. Et la silver economy,
c'est une source inespérée de croissance
pour une économie en berne qui s'apprête
à compter 30 % de plus de 60 ans
dans ses rangs. Évoquant un “socialisme
de l'offre et de la demande", Michèle
Delaunay en conclut : “Le job du ministre
en charge des personnes âgées, c'est de susciter
la demande…"

“Les professionnels, mêmes
admirables, sont très peu
formés"


Tout aussi enthousiaste, l'économiste
Jean-Hervé Lorenzi, titulaire de la
chaire “Transitions démographiques,
transitions économiques", avertit toutefois
: “Chacun d'entre nous a l'expérience
personnelle d'un proche pris en charge et a
pu constater que les professionnels, mêmes
admirables, sont très peu formés ; si on
décide de vous suivre, si on décide que la
silver economy est un secteur très important
où la France peut bien se débrouiller,
alors il faut que l'on prenne le taureau par
les cornes et que l'on traite les sujets de la
formation et du financement."

Ne pas oublier de “construire
une économie plus juste"...


De là à considérer que le sujet dépasse,
de loin, l'enjeu de communication, il
n'y a qu'un pas, franchi allègrement par
Jean-Pierre Nicolaï, chef du département
Économie et finances au Commissariat
général à la stratégie et à la prospective
(CGSP). S'il souscrit, comme tous les
intervenants, à l'optimisme de rigueur
en matière de silver economy, il n'en prévient
pas moins : “On a beaucoup aimé les
services à la personne parce qu'il y avait un
gisement d'emplois, sauf que l'on est en train
de créer une économie un peu dangereuse,
parce que le cercle qui se construit n'est pas
très vertueux : c'est de moins en moins bien
payé et, d'une certaine manière, de moins
en moins bien qualifié…" Attention,
donc, à ne pas oublier “de faire monter
en niveau la productivité des intervenants,
pour construire une économie et une société
plus justes", conclut-il.

La question : le financement de
la dépendance


Objectif louable, mais pas forcément
simple à réaliser, ainsi que le souligne
Marie-Christine Dalloz, députée du Jura,
secrétaire de la commission des finances
de l'Assemblée, et membre du groupe
d'études “Enjeux du vieillissement".
D'accord pour former, elle n'en souligne
pas moins que le sujet renvoie également
aux rémunérations, lesquelles posent la
question du financement de la dépendance.
Rappelant le plan métier élaboré
sous son ministère, Michèle Delaunay
déclare, elle aussi, “indispensable de former
davantage", mais suggère que cela se fasse
“progressivement". Ajoutat même: “Il est
bon que ce soit au départ des métiers qui ne
demandent pas de grandes qualifications,
parce que cela donne un accès à beaucoup
de jeunes femmes qui seraient sans cela sans
aucun débouché."

Professionnaliser (aussi)
les acheteurs publics


Et ensuite ? “Il faut que ce soit un métier
de formation permanente et que l'on
envoie des gens déjà formés auprès des
personnes en plus grande perte d'autonomie."
Encore faudra-t-il que le secteur
se montre en mesure d'accompagner ces
montées en compétences, ce qui n'est pas
certain lorsque l'on entend Benjamin
Leperchey, sous-directeur de la mode,
du luxe, des biens de consommation et
du design à la DGCIS [ 1 ]Direction générale de la compétitivité, de
l'industrie et des services, ministère du Redressement
évoquer la problématique
de la “télé-assistance" : “Si
on développe la télé-assistance comme un
véritable service, il faut de la formation et
cela a un coût." Le problème ? La prime
au moins-disant des marchés publics,
qui aboutit aujourd'hui à des facturations
de l'ordre de 5,50 euros mensuels.
Au moins cet exploit a-t-il le mérite
d'amener une fois de plus la formation
sur la table : “Il y a une nécessité de professionnalisation
de l'acheteur public",
conclut Benjamin Leperchey.

Nicolas Deguerry

LA FILIÈRE “SILVER ECONOMIE"

Officiellement lancée le 24 avril 2013 par Arnaud Montebourg
(alors ministre du Redressement productif) et Michèle Delaunay
(ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de
l'Autonomie dans le gouvernement Ayrault), la “silver économie"
− selon la terminologue de Bercy − est une filière “en pleine
évolution économique et industrielle, qu'il s'agit de structurer et
de fédérer". Le rapport “La Silver économie, une opportunité de
croissance pour la France"[ 2 ]Voir L'Inffo n° 846, p. 24. a été remis en décembre 2013 à la
ministre déléguée. “L'ensemble des activités liées aux personnes
âgées sera porteuse de croissance et d'emplois au cours des
prochaines années. Son développement n'en est qu'à son début :
aux États-Unis, nous en sommes à un taux de croissance de
12 % par an", souligne le ministère de l'Économie. Un “comité
stratégique de filière" a été installé voici un an, en juillet 2013,
avec pour objectif de favoriser les échanges entre ces acteurs,
de faire connaître les produits et services déjà existants, de
tracer une “feuille de route". Sept groupes de travail se sont
constitués, correspondant aux sept freins identifiés : offre,
demande, distribution, organisation, communication, financement
en fonds propre et labellisation. L'assistance aux personnes
est l'un des cinq axes stratégiques du plan “France Robots
initiatives", qui vise à faire de la France un leader mondial de la
robotique à l'horizon 2020.

LE LIMOUSIN MISE SUR LE QUATRIÈME ÂGE

2003 : création du pôle d'excellence rurale
“Domotique et santé", pour faire du vieillissement
un axe de croissance économique en
Limousin, la “plus vieille" région française.
2008 : création du Living lab, une agence
régionale de santé spécialisée dans l'autonomie
et le bien être, puis d'une chaire dédiée
à l'autonomie à Limoges… Le quatrième âge
est l'avenir du Limousin, selon les élus et acteurs
locaux de la formation professionnelle.
“La prise en charge du vieillissement dépasse
le cadre des politiques sanitaires et sociales.
Cette question rejoint tout autant celle de
l'aménagement du territoire que la formation
professionnelle", explique Jean-Paul Denanot,
le président de la Région, qui consacrait en
2012 40 millions d'euros à cette dernière ligne
budgétaire, dont près de 1,5 millions d'euro au
seul secteur sanitaire et social.

La “plus vieille" région fait face

Depuis 2002, un accord-cadre de développement
de l'emploi et des compétences signé
avec l'État et Uniformation permet à 1 300
stagiaires par an d'obtenir un diplôme d'État
d'auxiliaires de vie sociale, pour un coût
annuel de 700 000 euros. D'autre part, une
convention entre Unifaf et l'ANFH permet de
mutualiser les moyens dédiés à la formation
des 30 000 salariés travaillant en établissement
de prise en charge.

L'ambition de la Région restant le maintien
à domicile, elle a initié à Limoges, au CFA
du Moulin-Rabaud, un centre permanent
spécialisé qui permet également de former
aux compétences périphériques du maintien
à domicile (bricolage, cuisine, jardinage…),
comme aux concours d'entrée dans les
écoles sanitaires et sociales. Ainsi, 955 personnes
ont bénéficié de ce dispositif l'année
scolaire dernière, dont près de 10 % pour
obtenir une formation certifiante. Il faut aussi
compter avec les actions de formation dans
le champ de la domotique, 600 emplois en
Creuse, menées avec les entreprises locales
phares du secteur comme Legrand, sous
l'égide notamment du pôle Domotique et
santé de Guéret.

Cédric Morin

Notes   [ + ]

1. Direction générale de la compétitivité, de
l'industrie et des services, ministère du Redressement
2. Voir L'Inffo n° 846, p. 24.