Pour l'ANDRH, la nouvelle loi laisse beaucoup de questions en suspens

Par - Le 15 mars 2014.

“Travail sur la qualité de l'offre,
l'évaluation, approche territoriale,
où faut-il placer les priorités
?" Ce sont les interrogations
de l'Association nationale des
directeurs des ressources humaines
(ANDRH). Elle les avait
prises pour thème de ses rencontres
de Poitiers, à la France
Business School, le 18 février
dernier.
Antoine Foucher, directeur des
relations sociales, de l'éducation
et de la formation du Medef, négociateur
de l'Ani, avait invité les
DRH à participer à la constitution
de listes correspondant le mieux
aux besoins locaux en formation
de leurs salariés, “pour apporter
une valeur ajoutée par rapport
aux Conseils régionaux". Selon
lui, chaque entreprise doit faire
sa gestion prévisionnelle des emplois
et des compétences (GPEC)
pour utiliser tous les fonds de la
sécurisation des parcours professionnels
des salariés.

“Je préfère collecter
moi-même"


Pour les responsables du recrutement,
le cadre de financement
mutualisé de la formation professionnelle
peine à convaincre
de ses vertus redistributives.
De même, Laurent Réveillon,
le directeur du Fongecif Poitou-
Charentes, s'est déclaré vigilant
sur le fait qu'on enlève aux
Fongecif la collecte pour leur
permettre de se recentrer sur
leur coeur de métier. “Je préfère
collecter moi-même pour assurer
ma gestion de trésorerie", a-t-il
résumé.

Sur les 150 heures de formation
prévues dans le CPF, Laurent
Réveillon a estimé que cela
conduirait à des scénarios de
validation des acquis de l'expérience
(VAE) modulaires. Et qu'en
définitive, tous les salariés ne
verraient pas leur formation
reconnue. Toutefois, selon lui, le
conseil en évolution profession
nelle (CEP) mettra davantage
les personnes en avant que les
formes d'accompagnement actuellement
réalisées. Les directeurs
des ressources humaines
dans l'assistance ont estimé que
le salarié allait utiliser son capital,
et se montrerait certainement
plus regardant que par le passé
sur l'usage qui en est fait.

Christian Aubin, de la commission
nationale emploi de l'ANDRH, se
faisant provocateur, rappelait un
cas vécu dans le secteur des assurances,
quand les responsables
RH proposaient des formations
en calcul et en français à leurs
employés, à la surprise de leurs
dirigeants, dans les années 1980.
Aujourd'hui, si dans des entreprises
d'assurances par exemple,
des utilisateurs de progiciels dédiés
en viennent à ne plus maîtriser
un tableur comme Excel, voire un
traitement de textes comme Word,
quid de leur employabilité en cas
de changement d'entreprise ?

“Une formation
réussie, c'est quand on
a bien mangé à midi"


Francis Dumasdelage, président
de la Fédération de la formation
professionnelle (FFP) de Poitou-
Charentes, se disait favorable à
la fin de l'obligation fiscale, mais
il craignait un “retour de bâton",
la Direccte étant susceptible d'interroger
les entreprises tant sur
le fond que sur la forme de leurs
déclarations. Mais “tout ce qui
nous intéresse, résumait-il, c'est
l'acte pédagogique financé par
les 14 milliards de la formation
(cotisation des entreprises), dont
la moitié gérée par les partenaires
sociaux". Et de s'interroger sur le
contrôle de qualité, thème cher à
la FFP, créatrice de l'Observatoire
de la qualité des formations, avec
une boutade sur la formation
réussie quand on a bien mangé
à midi. Alors qu'existent trois ou
quatre normes de qualité des formations,
comment savoir laquelle
retiendra le salarié auquel elle
est destinée ? Le même se déclarait
sceptique quant à la capacité
des partenaires sociaux du
niveau régional à faire respecter
leur positionnement face à l'État
et aux Conseils régionaux.

La formation, “levier
de compétitivité"


Finalement, a reconnu Antoine
Foucher, “la formation est critiquée
pour sa complexité parce
qu'elle n'est pas construite pour
ses usagers, mais plutôt par les
appareils". S'il n'était pas possible
de repartir d'une feuille
blanche, l'organisation patronale
aurait voulu du moins simplifier le
système pour ses utilisateurs, at-
il assuré. Le mouvement patronal
aurait donc souhaité que l'entreprise
se réapproprie les enjeux
de la formation, qui ne serait plus
administratif et fiscal, mais un
levier de compétitivité, et également
“la chose des salariés".
Interrogé sur le risque de changer
un dispositif que les salariés commençaient
seulement à identifier,
le droit individuel à la formation
(Dif), Antoine Foucher a jugé qu'il
n'y aurait pas de souci à basculer
dans le compte personnel de
formation (CPF) dans les entreprises
où prévaut déjà un esprit
de co-construction des parcours
professionnels. Mais il en irait
différemment dans les PME-PMI,
dont le tiers des salariés, soit
cinq millions de personnes, n'ont
pas entendu parler du dispositif.
Le représentant patronal a rappelé
qu'aujourd'hui, un salarié qui
change d'entreprise tous les deux
ans n'a droit à rien, alors que le
nouveau droit sera intégralement
transférable. Il s'est réjoui d'un
changement de paradigme, soulignant
que jusqu'à la nouvelle loi,
il ne restait plus que la France, la
Belgique et le Québec à fonctionner
sur la base d'un pourcentage
de la masse salariale des entreprises
en matière de formation.

Le CPF trop proche du Dif ?

Interpellé sur la constitution d'un
droit opposable aux entreprises
en cas de licenciement, Antoine
Foucher a considéré que les entreprises
n'auraient pas d'obligations
administratives renforcées
à l'issue de cette réforme.
Catherine Perret, membre de la
commission confédérale de la
CGT, a indiqué que sa centrale
s'était inscrite lors des négociations
de l'Ani formation dans
la continuité des accords précédents
sur le Dif et sa portabilité,
dans le sens de la sécurisation
des parcours professionnels. Le
syndicat avait la volonté d'aller
plus loin dans les montées en
qualification en cours de carrière,
en mettant l'accent sur
les mutations industrielles ou
environnementales, et la GPEC
de l'entreprise pour faire évoluer
ses salariés, leur permettre de
rebondir ou de se reconvertir. La
représentante cégétiste a précisé
vouloir sortir de la logique
selon laquelle la formation va
en priorité aux plus qualifiés,
dans les plus grandes entreprises.
Non signataire du texte,
la CGT aurait voulu donner plus
de place notamment à la formation
des cadres des très petites
entreprises. Catherine Perret a
dit avoir apprécié la concertation
pour la mise en place d'une
nouvelle gouvernance, tant au
niveau des consultations quadripartites
associant les Régions
et l'État aux partenaires sociaux,
qu'à celui des négociations
entre seuls partenaires sociaux.
Cependant, le CPF était trop peu
différent du Dif pour satisfaire sa
centrale.

La pause n'est pas
pour demain

Dominique Jeuffrault, négociatrice
CFE-CGC et ex-formatrice à
la Maif, a souligné que l'essentiel
pour son organisation avait
été de servir la compétitivité des
entreprises et d'élever le salaire
d'un niveau de qualification par
le biais du compte personnel de
formation (CPF), avec un maîtremot
: l'engagement des salariés.
Elle a reconnu avoir modulé ses
exigences dans la négociation en
tenant compte du “principe de
réalité".

Régional de l'étape, le directeur
adjoint des ressources humaines
de la Maif, Patrick Adam, a traduit
le désarroi perceptible dans
la salle, en expliquant qu'il avait
essayé de comprendre les textes
disponibles à ce stade, et en avait
tiré la conviction que la pause
n'était pas pour demain dans leur
métier. La pluri-annualité des engagements
sur les compétences
des salariés ne s'annonce pas
simple à expliquer aux dirigeants,
ni aux intéressés, a-t-il anticipé.
Il s'attend à une modification des
rapports de force, et davantage
de partage autour de ces sujets
en entreprise.