Pour les responsables formation, l'optimisation des budgets formation est une exigence

Par - Le 01 janvier 2014.

Le plan de formation 2014 est bouclé, et, comme toujours, il l'a été calculette à la main. Faire plus
avec autant, ou moins, est un air décidemment connu des responsables formation. Comment
ont-ils fait ? Ils nous ont répondu. Pas persuadés d'ailleurs que leur véritable outil de travail doive
nécessairement être cette fameuse calculette...

Selon le “Jaune budgétaire",
document annexé au projet de
loi de finances pour 2014, en
2011, les entreprises ont dépensé
près de 14 milliards d'euros pour la
formation de leurs salariés, de l'apprentissage
et de l'alternance, soit 43 % des
32 milliards de la dépense nationale. Ce
montant est en hausse de 3 % après un
recul de 1 % en 2010. “Malgré la crise,
les budgets formation des entreprises restent
stables. Nous n'observons pas de baisse",
indique Jérôme Lesage, PDG de Place de
la formation. La société, qui a réalisé un
chiffre d'affaires de 10 millions d'euros
en 2013, pilote la formation professionnelle
de plus de 400 entreprises de
toutes tailles. L'observation du leader
de l'externalisation est confirmée par la
plupart des acteurs de la formation en
entreprise. Bénédicte Bailleul, directrice
de Demos Outsourcing, qui vient de
réaliser une étude auprès d'entreprises
françaises [ 1 ]L'étude a été réalisée en partenariat avec l'EOA
(European outsourcing association) auprès d'entreprises
de plus de 200 salariés. 480 de dirigeants
(PDG, DG, DRH, RF, etc.) ont répondu.
, constate que “le pourcentage
de la masse salariale consacrée à la
formation n'a pas baissé". Le taux des
entreprises consacrant plus de 3 % de
leur masse salariale à la formation − et
qui ont répondu à l'enquête −, est même
passé de 23 % en 2011 à 39 % en 2013.

Chez Colas Rails, le budget formation
reste stable, malgré la crise : 4,7 % de
la masse salariale. Ce qui n'est pas le
cas chez Renault Tech. “Notre budget
formation a baissé de moitié. Avant
2013, nous étions largement au dessus de
l'obligation légale (1,6 %)", indique
Patricia Moulin, généraliste RH, responsable
notamment de la formation
de cette filiale du groupe Renault qui
conçoit, produit et commercialise des
véhicules transformés pour des clients
en situation de handicap, ainsi que
pour des professionnels ayant une
flotte de véhicules.

“Former trois ou quatre fois plus
pour le même prix..."


Que le budget ait baissé ou pas, les responsables
formation ont désormais l'obligation
de rationaliser les fonds dédiés à la
formation. “Il existe un vrai souci d'optimiser
les fonds engagés pour la formation",
observe Jérôme Lesage. “Les responsables
formation travaillent sur deux leviers, note
Bénédicte Bailleul. Le premier consiste à
rationaliser les accords-cadres pour obtenir
des remises auprès des prestataires : massification
des achats, avec de plus en plus de
volume, mais à des prix bas. Le second est
de définir des actions de formation plus
ciblée, plus courtes, via des formations plutôt
intra-entreprises qu'inter. Le bénéfice étant
de former pour le même prix trois ou quatre
fois plus de personnes, en répondant mieux
aux besoins de l'entreprise, donc plus efficacement
et juste à temps."

“Nous devons chasser ces
formations inutiles"


Chez Renault Tech, pour pouvoir
répondre à l'obligation de formation des
300 collaborateurs, “il a fallu optimiser
au maximum en mettant en concurrence
les prestataires avec un cahier des charges
bien précis sur nos besoins. La notion de
prix joue un rôle important sur nos décisions
d'attribution des contrats. Car nous devons
nous tenir à notre budget", indique Patricia
Moulin. Concrètement, la chargée
de formation est obligée de “faire un
arbitrage, en s'en accordant la priorité aux
actions de formation en lien avec l'adaptation
et le maintien au poste de travail,
au lieu de celles liées au développement des
compétences". Finie donc l'époque où elle
donnait son accord pour des formations
qui n'avaient rien à voir avec la politique
de GPEC. Bref, des formations “inutiles".
Selon Christian Sérieys, consultant en
stratégie, dirigeant d'Invyctus Group,
“il faut donner sens à la formation en
chassant ces formations inutiles. Les actions
de formation doivent s'inscrire davantage
dans des projets qui répondent à l'évolution
stratégique de l'entreprise. La formation
doit participer à la transformation de
l'entreprise". Il déplore le fait que services
formation administrent très souvent la
formation sans se demander si elle “se
transforme en action, c'est-à-dire si elle est
efficace". Il est, selon lui, important donc
de systématiser la mise en situation opérationnelle
au sein de l'entreprise des acquis
de la formation, de “renforcer son utilité
pour l'entreprise".

Utiliser au mieux les services
de l'Opca


Une autre pratique permettant d'optimiser
le budget consiste à “utiliser au
maximum les fonds des Opca. Il s'agit de
ne pas passer à côté d'éventuelles possibilités
de financements", indique la directrice
de Demos Outsourcing. “L'Opca ne se
contente pas de collecter, de mutualiser et de
redistribuer les fonds. Avec les fonds dont il
dispose, avec ses partenaires et à travers une
démarche de conseil et d'accompagnement,
il essaie de faire en sorte que les entreprises
puissent former plus et mieux leurs collaborateurs",
confirme Éric Meerschaut,
directeur général d'Opcalia Île-de-France.
Pour aider ses adhérents à optimiser leurs
budgets, l'organisme travaille selon quatre
axes : il négocie auprès des prestataires des
offres collectives à prix réduits, “avec près
de 30 % d'économie par rapport aux tarifs
affichés", il associe les ressources complémentaires
(FPSPP, État, Régions, Agefiph,
etc.), met l'accent sur l'adéquation des
besoins de l'entreprise et de la formation
à réaliser (définition le plus en amont
possible des besoins, évaluation et mesure
des impacts). Et enfin, il organise au mieux
les actions de formation, notamment en
interne, à distance, etc.

Déléguer, voire externaliser

Certaines entreprises, pour proposer à un
grand nombre de salariés des formations
de meilleure qualité et à budget constant,
optent pour l'externalisation. Christian
Sérieys définit cette comme “la délégation
d'un ou plusieurs domaines d'activités,
fonctions ou processus de l'entreprise à
un fournisseur extérieur et indépendant
de son client qui, sur une durée pluriannuelle,
en est responsable, opère et gère le
fonctionnement, la performance et l'évolution
des fonctions ou processus sélectionnés,
en s'engageant sur un objectif de résultats
mesurables et prédéfinis afin d'en optimiser
les bénéfices pour le client". Elle permet
aux responsables formation de “s'alléger de
certaines tâches chronophages pour mieux
se consacrer à la stratégie de développement
des compétences de leur entreprise, au
marketing ainsi qu'à la pédagogie auprès
des salariés et de la direction", rappelle le
PDG de Place de la formation. Il s'agit
donc de déléguer au prestataire externe
la gestion des contraintes réglementaires
et les relations avec les acteurs externes
(organismes de formation, financeurs,
etc.). Ainsi que les négociations et achats
d'actions de formation à moindres coûts.

Des “comptables de
la formation" ?


Mais, optimisation des budgets ne
rythme-t-elle avec risque d'aller chercher
des formations à bas coûts ? “Pas du tout !
L'externalisation, ce n'est pas rechercher le
moins disant. Mes clients ne me demandent
pas les plus bas coûts, mais la meilleure
efficience. C'est une recherche affirmée d'efficacité
pédagogique", répond Bénédicte
Bailleul. “Le risque est d'aller vers des
formations standardisées. Les formations
stratégiques sont justement difficiles à standardiser",
précise Jean-Claude Dupuis,
docteur en sciences économiques, responsable
de l'École française de l'immatériel
ainsi que délégué général de la
chaire “Responsabilité globale et capital
immatériel" à l'IAE de Paris.

Face à l'exigence de rationalisation
de leurs budgets, certains acteurs de
la gestion de la formation se voient
reprocher d'être plutôt des “comptables
de la formation". En effet, observe
Stéphane Diebold, ancien président du
Garf, “les responsables formation sont en
général formés à l'expertise comptable de la
formation. Ils ont donc le réflexe d'aborder
les questions en termes de coûts financiers
ou administratifs". Ce que confirme
Jean-Claude Dupuis : “Dans les grandes
entreprises, les personnes en charge de
la formation ne sont pas forcément des
experts de la formation, mais des experts
des chiffres." Il dénonce une “dérive
de la mystique du chiffre chez nombre
d'experts". Et prône le “calcul de la
maximisation, et non de l'optimisation".
Selon lui, “il est dangereux de s'enfermer
dans la logique du calcul. Je prône plutôt
le « qualcul », qui prend en compte à la
fois le qualitatif et le quantitatif..." Pour
Jean-Claude Dupuy, il y a nécessité à
“injecter la parole dans l'entreprise pour
mieux piloter la formation". Discuter
et débattre des choix des formations,
au lieu de s'enfermer dans le culte des
chiffres. “Ce que nous proposons aux
entreprises, c'est davantage du conseil et
du service que de la comptabilité. Nous
voulons qu'elles nous disent leurs besoins,
afin que nous puissions les accompagner
et les conseiller efficacement", indique le
directeur général d'Opcalia IdF.

Notes   [ + ]

1. L'étude a été réalisée en partenariat avec l'EOA
(European outsourcing association) auprès d'entreprises
de plus de 200 salariés. 480 de dirigeants
(PDG, DG, DRH, RF, etc.) ont répondu.