Rebondir avec l'École de la deuxième chance de l'Isère

Par - Le 15 avril 2014.

L'idée va bientôt fêter ses vingt ans, puisqu'elle émane d'un livre blanc (“Enseigner et apprendre : vers la société cognitive") proposé par Édith Cresson et adopté par la Commission européenne en 1995. Les Écoles de la deuxième chance (É2C) accueillent des adultes − sortis depuis au moins deux ans du système scolaire − sans diplôme ni qualification et qui ont décidé de “retourner à l'école".

Au bout de chaque rue,
une montagne…", disait
Stendhal de sa ville
natale. Un coup d'oeil
au sud-ouest : le Vercors.
Au nord : la Chartreuse. À l'est :
la chaîne de Belledonne. Pas de
doute, vous êtes bien à Grenoble,
capitale des Alpes. Soyons francs,
il convient tout de même de hisser
un peu le regard au-delà des tours
environnantes pour profiter du
panorama. Nous sommes à deux
pas du Village olympique, et aussi
de la Villeneuve, “expérimentation
sociale et urbaine" des années
70, fameuse pour les polémiques
qu'elle a suscitées [ 1 ]Et encore récemment : les habitants ont déposé
plainte contre France 2 à la suite de la diffusion en
septembre 2013 du reportage Villeneuve, le rêve
brisé, jugé stigmatisant.
, actuellement
zone de sécurité prioritaire. Entre
les deux, le 8, rue Aimé-Pupin (le
père des maquis du Vercors) accueille
depuis octobre 2012 le site grenoblois
de l'École de la deuxième chance de
l'Isère. Tout comme les sites de Voiron
et de Vienne, celui de Grenoble salue
l'arrivée du printemps par une journée
portes ouvertes.

De l'École de la deuxième
chance à l'École 2.0


Mitoyen de l'Institut des métiers et des
techniques, véritable campus de l'alternance
installé sur plus de 36 000 m²,
l'É2C bénéficie d'un environnement
des plus favorables. Croisé en coup de
vent alors qu'il s'apprête à rejoindre le
site de Vienne, Dominique Jannot, le
directeur, souligne sa chance : avoir pu
travailler à la conception même du site
aux côtés des architectes. Pour Madjid
Boubaaya, directeur adjoint en charge
des relations partenaires, le bénéfice est
évident : “Cela nous a permis d'avoir
des locaux adaptés et véritablement pensés
pour l'École de la deuxième chance."
Avantage : une organisation spatiale
qui s'affranchit totalement des codes du
système scolaire traditionnel. Dès les
portes franchies, l'aménagement même
des lieux vient prouver aux jeunes que
le processus d'inclusion a commencé :
plutôt que de séparer les espaces de
formation des espaces administratifs
et d'ainsi cloisonner les rôles, le site alterne
lieux pédagogiques, espaces de vie
collective et bureaux vitrés. L'ambiance
le prouve, les jeunes ne s'en portent que
mieux. Ils sont peut-être des hôtes temporaires,
mais on les sent chez eux, acteurs
et responsables. Fortuitement, la
configuration du lieu évoque davantage
l'entreprise 2.0 que l'école de la première
chance… “Tout est important",
insiste Madjid Boubaaya. Les voici non
plus à côté, mais aux côtés de ceux qui
les accompagnent.

Pédagogie individualisée

Avec 180 stagiaires accueillis chaque
année, le site de Grenoble demeure à
ce jour le navire amiral de l'É2C Isère,
qui accueille également 50 jeunes à
Voiron et 55 à Vienne. Ici comme
ailleurs, les jeunes sont arrivés sur
la base du volontariat, intégrés
par groupe de 15 maximum pour
satisfaire aux exigences de la pédagogie
individualisée.

Si 50 % des jeunes sont inscrits
aux réunions d'information par
l'intermédiaire direct de leurs
Missions locales, d'autres s'engagent
de leur propre initiative.
Cahier des charges oblige, tous
ont en commun d'avoir quitté
l'école depuis au moins un an et
d'être sans diplôme ni qualification
ni emploi. Pour ceux qui
maintiennent leur intérêt pour le
dispositif à l'issue de la réunion
d'information collective, suit un
entretien individuel de motivation
assuré par le directeur adjoint.
Quinze à vingt minutes essentielles
pour lui permettre d'écouter le jeune
exposer sa situation, ses souhaits et
ses idées. Objectif : évaluer la capacité
du candidat à suivre une formation à
temps plein et à s'investir de manière
autonome dans les démarches qu'il
aura à accomplir pour la construction
et la validation de son projet professionnel.

“Nous ne sommes pas un organisme
de placement et il est important que
le jeune soit en capacité d'argumenter
son envie", insiste Madjid Boubaaya.
Quelle que soit l'issue, une réponse
écrite est adressée au candidat et à
son conseiller [ 2 ]Mission locale, Pôle emploi, etc., avec un délai moyen
de trois mois avant l'entrée en formation.
“Un bon délai", estime-t-il
en réfutant toute notion d'extrême
urgence : “Cela permet tout autant
de mûrir le projet que de continuer à
effectuer des actions de type stage d'expérience
professionnelle ou atelier de
technique de recherche d'emploi."

Des liens forts avec l'entreprise

Si près des deux tiers des candidats
accéderont finalement à l'un des sites
de l'É2C Isère, 49 % d'entre eux ont
connu en 2013 ce qu'il est convenu
d'appeler une “sortie positive", avec
une entrée en formation qualifiante ou
un accès direct à l'emploi. Partenaire
de près de 800 entreprises, l'É2C Isère
entend renforcer sa présence dans des
secteurs porteurs comme l'hôtellerie-
restauration, l'industrie et le BTP.
En déficit d'image auprès de certains
jeunes, ces secteurs présentent cependant
un réel intérêt en termes de parcours
et connaissent une véritable
implantation locale. Exemple avec l'entreprise
Calor, dont les jeunes ont pu
découvrir l'étendue des métiers à travers
ses différents sites. Entre l'usine de
Saint-Jean-de-Bournay où l'on produit
le plastique et le site de Pont-Évêque
où l'on fabrique les fers à repasser, aspirateurs
et autres tondeuses à cheveux,
c'est toute une chaîne industrielle qui
est présente en Rhône-Alpes, se félicite
Madjid Boubaaya. En partance pour le
site de Voiron, le directeur adjoint cède
la place à Magali Mangione, responsable
de l'équipe du site de Grenoble et
référente parcours de formation et insertion
professionnelle. L'occasion d'en
savoir plus sur le déroulé d'un parcours
en École de la deuxième chance.

Un parcours encadré

Accompagné en interne par une équipe
de formateurs, de référents et d'animateurs,
chaque jeune bénéficie également
d'un tuteur en entreprise lorsqu'il
se trouve mobilisé à l'extérieur pour un
stage d'expérience professionnelle.
Une fois
admis à l'É2C, le jeune
devient stagiaire de la
formation professionnelle,
d'abord pour une
période d'essai de cinq
semaines. Non rémunérée,
cette séquence permet
à la fois de positionner
le jeune en termes
de savoirs de base et de
“savoir-être", mais aussi
d'effectuer un premier
stage en entreprise. Suit
le passage devant un jury
composé du responsable
de l'équipe de site, d'un
représentant issu de
l'entreprise et, originalité
du dispositif, d'un représentant
des stagiaires.
Celui-ci, symbole de la
responsabilisation du
public de l'É2C, peut
prétendre au statut dès
deux mois d'ancienneté.
Signataire d'un contrat
de formation, le jeune,
désormais confirmé dans
son engagement, peut
alors aborder la phase 2,
consacrée à la détermination
et à la construction
du projet professionnel. Reste ensuite à
confirmer ce projet par l'acquisition et
l'évaluation des gestes professionnels,
avant de pouvoir, phase ultime, procéder
à l'élaboration du plan d'intégration.
L'ensemble aura duré six à huit
mois et, ainsi que l'exige la charte É2C,
donne lieu à la remise d'une “attestation
de compétences acquises" et d'un “portefeuille
de compétences". Durant son
parcours, le stagiaire aura bénéficié de
l'encadrement de formateurs et d'animateurs
intervenant sur des actions
transversales (sport, théâtre, sorties
culturelles, etc.), le tout coordonné par
un référent responsable projet personnalisé.
Enfin, qu'il s'agisse d'une sortie
en emploi direct, en alternance ou en
formation qualifiante, l'É2C s'engage
à assurer un suivi post-É2C pendant
un an. Période qui, confie Magali
Mangione, peut s'étendre bien au-delà
en fonction des liens tissés avec le stagiaire
et des besoins exprimés.

ROSALIE TEIHOARII, UNE POLYNÉSIENNE À GRENOBLE

Arrivée en métropole depuis trois ans pour
suivre son compagnon militaire, Rosalie
Teihoarii, jeune polynésienne de 22 ans,
habite Grenoble depuis deux ans. Sans
diplôme ni qualification après avoir quitté le
système scolaire en seconde, elle a décidé de
rejoindre l'École de la deuxième chance sur
les conseils d'un ami. Si son compagnon ne
souhaitait pas la voir intégrer l'école, pas plus
qu'elle ne travaille, elle a tenu bon, motivée
par son désir de rompre la solitude et d'avoir
une activité. Sans réel projet à son arrivée,
elle confesse avoir choisi son premier stage
en raison de la proximité entre son domicile
et le commerce où elle a pu découvrir le
métier d'employée de libre-service. Après
avoir également testé les métiers d'hôtesse
de caisse et d'hôtesse d'accueil, elle
s'apprête, sur les conseils de son référent, à
essayer celui de secrétaire médicale. Tombée
enceinte à mi-parcours, Rosalie Teihoarii se
prépare aujourd'hui à repousser son entrée
dans le monde du travail, mais n'en demeure
pas moins convaincue que son passage à
l'École de la deuxième chance lui servira
lors de son retour en Polynésie : “Je me suis
remise à niveau dans les savoirs de base, j'ai
acquis de l'expérience et, chez nous, quand tu
dis que tu as fait des stages, c'est vraiment
bien perçu", sourit-elle.

L'itinéraire de Jérémy Thevenin
est à découvrir
en dernière page de ce numéro.

Notes   [ + ]

1. Et encore récemment : les habitants ont déposé
plainte contre France 2 à la suite de la diffusion en
septembre 2013 du reportage Villeneuve, le rêve
brisé, jugé stigmatisant.
2. Mission locale, Pôle emploi, etc.