Réforme : la nouvelle dimension du contrôle de la formation

Par - Le 15 avril 2014.

Près de soixante-dix
décrets étaient attendus
pour accompagner la
loi sur la réforme de la
formation. Ils n'y en aura
vraisemblablement que de
vingt à vingt-cinq, selon
Jean-Marc Huart, sousdirecteur
des politiques de
formation et du contrôle
au sein de la Délégation
générale à l'emploi et à la
formation professionnelle
(DGEFP). Il s'exprimait
à l'occasion de la matinée
d'actualité consacrée par
Centre Inffo aux nouvelles
obligations et nouveaux
mécanismes issus de la loi
du 5 mars 2014, le 1er avril
dernier à Paris.

Le 2 avril, lors de la première réunion
post-loi de la concertation
quadripartite (patronat, syndicats,
Régions, État) présidée
par Jean-Marie Marx, le nombre
avancé était de vingt-six décrets d'application,
pour la loi du 5 mars 2014.
Si le nombre définitif n'est pas fixé,
il est à présent certain qu'il sera réduit
de près des deux tiers, par rapport aux
annonces précédentes. À contenu égal,
les décrets seront “agrégés", regroupés
par thème, pour une publication avant
l'été. “Question de visibilité", expliquait
Jean-Marc Huart, le sous-directeur des
politiques de formation et du contrôle
au sein de la DGEFP, lors de la matinée
d'actualité sur le financement organisée
par Centre Inffo.

L'obligation de justifier les
dépenses perdure


Bien sûr, la nouvelle loi rend caduque la
déclaration de dépenses et supprime, de
fait, la déclaration “24-83". Pour autant,
si l'obligation légale de contribution
mutualisée obligatoire au plan de formation
(le “0,9 %") disparaît pour les
entreprises de plus de 300 salariés, l'obligation
de former − et, donc, de pouvoir
justifier des dépenses de formation auprès
de l'administration −, demeure.
Un système simplifié, cependant, par le
taux unique de versement de 1 % de la
masse salariale à un collecteur lui aussi
unique (0,55 % pour les entreprises de
moins de 10 salariés) qui, à leur tour, se
chargeront de répartir les fonds entre
plan de formation, Cif, professionnalisation
et CPF [ 1 ]Compte personnel de formation.. De nombreux DRH et
responsables de formation se sont interrogés,
ces dernières semaines [ 2 ]Voir notamment L'Inffo n° 850, p. 12 et 853, p. 10., sur la réapparition
possible de la 24-83 sous une
autre forme. Non, “cela ne se traduira pas
par un 24-83 bis", a répondu Jean-Marc
Huart.

Facilité, aussi, le contrôle, via ce système
de versement unique à un collecteur
unique. Mais il pourrait se complexifier
pour les contrôleurs, lorsque ceuxci
seront amenés à observer les accords
relatifs au “0,2 % CPF" conclus dans les
entreprises qui choisiront de gérer ellesmêmes
ce pourcentage de leur masse
salariale, comme la loi le leur permet.

Les élus du personnel prennent
la main


Contrôle administratif, certes, mais
contrôle social en premier lieu, puisque,
désormais, les élus du personnel disposent
d'un pouvoir accru en matière
de négociation du plan de formation
ou des dispositifs de GPEC dans les
entreprises. “Le premier contrôle sera réalisé
par les IRP [ 3 ]Institutions représentatives du personnel.", a indiqué Stéphane
Rémy, chef de la mission de contrôle
au sein de la DGEFP.

Dès la publication des décrets, le
contrôle administratif cessera d'être
uniquement financier, pour devenir
également qualitatif, quant aux prestations
assurées par les organismes de formation.
Lors des débats parlementaires,
avait été discuté un amendement dit
“Jouanno"[ 4 ] L'Inffo n° 851 p. 4 et 853 p. 22. prévoyant un agrément des
organismes de formation sur cette base.
La commission mixte paritaire l'avait finalement
écarté. La question sera donc
tranchée par décret. “Cela irait dans le
sens d'une recommandation européenne
en date de 2009, qui demandait aux
pays membres d'instaurer des références
en matière de qualité de la formation, a
souligné Jean-Marc Huart. La France,
pour l'instant, était la seule à ne pas les
avoir mises en oeuvre… la réforme sera
l'occasion de le faire."

Le législateur a cependant d'ores et
déjà confié aux Opca une nouvelle
mission sur le contrôle de la qualité
des formations qu'ils financent.
“Aujourd'hui, il peut être difficile de
dire quelle formation est qualitative
ou non. Nous attendons de voir les critères
établis afin de pouvoir nous organiser
au mieux en interne", a indiqué
Jean-Pierre Delfino, le directeur général
d'Unifaf, Opca de la branche
sanitaire, sociale et médico-sociale.

L'élévation d'un niveau de
qualification


“Avec la réforme, le rôle des organismes
collecteurs va manifestement connaître
de grandes mutations", a rappelé
Jean-Philippe Cépède, directeur du
département juridique-observatoire
à Centre Inffo. “La loi impose explicitement
un nouveau rôle à la formation
professionnelle : celui de concourir à
l'élévation d'un niveau de qualification,
a confirmé Joël Ruiz, directeur général
d'Agefos-PME, Opca interprofessionnel.
Cela entraîne un changement
important au niveau des organismes collecteurs.
Nous devons organiser le 1 %[ 5 ] Les entreprises de plus de dix salariés devront
verser à leur Opca une contribution à hauteur de 1 %
de la masse salariale brute.
avec, en tête, une ligne bleue horizon
de fléchage de la formation professionnelle
vers la qualification." Au sein de
l'Opca de la branche sanitaire, sociale
et médico-sociale, l'habitude était déjà
prise : “Un euro sur deux est consacré
à la qualification, dans notre Opca.
Cela s'explique certainement par l'univers
professionnel réglementé dans lequel
nos adhérents évoluent", a précisé Jean-
Pierre Delfino.

L'information des adhérents
des Opca


La dernière conséquence, et non des
moindres, concerne inévitablement l'information
que doivent délivrer les Opca
auprès des entreprises adhérentes. Joël
Ruiz n'a pas caché que cela allait représenter
une grande charge de travail pour
les organismes. “Il va falloir répondre aux
nombreux questionnements des salariés et
des entrepreneurs, notamment sur la transmutation
du Dif vers le CPF. Ce dernier ne
sera éligible que pour certaines formations
sur le critère de la qualification. Certains
salariés vont se demander pourquoi il
n'est plus possible, à partir du 1er janvier,
de suivre certaines formations qui étaient
auparavant éligibles au titre du Dif." Un
suivi intensif qui doit s'organiser au sein
des Opca pour accompagner ces changements.

L'évolution professionnelle
des formés


Et dans les entreprises ? Comment le
passage du Dif au compte personnel
de formation, l'entretien professionnel
et l'obligation de formation vont-ils
impacter l'élaboration du plan de formation
? “C'est une évolution majeure :
cette réforme de la formation fait le lien
avec la gestion prévisionnelle des emplois
et des compétences, et va inciter les entreprises
à se poser la question de l'évolution
professionnelle − ou salariale − des bénéficiaires
d'une formation qualifiante",
a observé Tatiana Meunier-Audap, la
responsable des politiques de financement
de l'alternance, de la professionnalisation
et de l'insertion du groupe
La Poste.

La mise en place du compte personnel
de formation va faire entrer dans
les entreprises l'individualisation des
parcours de formation, au même titre
que l'entretien professionnel. “Dès aujourd'hui,
il faut réaliser des diagnostics
sur les bases des critères de l'entretien professionnel,
en se posant les bonnes questions,
comme, par exemple : « Est ce que
tout l'effectif a eu accès à une formation
qualifiante ou certifiante ? » Cela implique
de se rapprocher des autres services
ressources humaines", a poursuivi celle
qui est également vice-présidente du
Garf (Groupement des acteurs et responsables
de formation).

“Nous avons l'habitude de
mixer les différents dispositifs"


Une approche dans laquelle s'est
reconnue Céline Chevalier, responsable
formation du groupe de transport
Transdev, lequel compte 38 000
salariés et consacre près de 3 % de
sa masse salariale à la formation, sur
des thématiques liées notamment à
la sécurité pour ses chauffeurs. “Nous
sommes obligés de maintenir un budget
formation conséquent, c'est une des
conditions du développement de notre
entreprise. La réforme n'aura donc pas
d'impact sur le plan financier. Par ailleurs,
nous avons l'habitude de mixer
les différents dispositifs, notamment
le Dif avec la période de professionnalisation,
ce n'est pas une nouveauté
pour nous. En revanche, le CPF fera le
lien entre les besoins du collaborateur et
ceux de l'entreprise. Ce qui permettra
de mettre en évidence l'intérêt du plan
de formation, auprès des partenaires
sociaux." Et à l'échelle des branches ?
“En généralisant le principe de formation
qualifiante, il est fort probable
que cela incitera les partenaires sociaux
à développer également les certificats de
qualification professionnelle (CQP) et les
certificats de qualification professionnelle
interbranche (CQPI)", a ajouté Céline
Chevalier.

Benjamin d'Alguerre, Célia Coste, Cédric Morin

QUESTIONS À JEAN-PHILIPPE CÉPÈDE, DIRECTEUR DU PÔLE JURIDIQUE-OBSERVATOIRE DE CENTRE INFFO
_ “La réforme fait le pari du besoin pour
générer la dépense..."

Qu'est-ce qui vous apparaît le plus
frappant, dans l'appropriation de la
réforme ?


Il a déjà beaucoup été écrit sur la réforme,
mais ce qui me trouble, c'est que dans cette
période d'appropriation par les professionnels,
des contre-vérités ou des formules maladroites
circulent sur la portée des changements. On lit
des informations comme : “La loi a supprimé
l'obligation de financer le plan de formation."
C'est complètement faux ! La loi a supprimé le
0,9 % minimum obligatoire, mais prévoit une
obligation de financement direct de la formation
des salariés par les entreprises. C'est le fameux
changement de paradigme. La loi n'impose
plus de minimum de financement, mais elle
organise l'expression des besoins de formation
avec, toujours, une obligation de financement.
L'autre formulation maladroite est d'affirmer
que le 1,6 % a été remplacé par le 1 %. À côté
de la contribution à taux fixe, il existe aussi une
obligation de financement direct.

Certains mécanismes peuvent-ils
contraindre les entreprises à maintenir
leurs efforts de formation ?


De fait, plusieurs mécanismes obligeront
les entreprises à prévoir des budgets pour la
formation. Ce qu'il faut mettre en avant, c'est
ce qu'il y a de commun à toutes les entreprises,
et de spécifique selon les effectifs des
entreprises. Concernant la nouvelle contribution
obligatoirement versée à un Opca, elle est d'un
montant inférieur au 1,6 % minimum, mais si l'on
isole le 0,9 %, le 0,7 % restant correspondant au
0,2 % “Cif" et au 0,5 % “professionnalisation",
il est d'un montant inférieur. Les entreprises qui
ne versaient pas de 0,9 % à leur Opca verront
leur versement à ce dernier augmenter. Par
ailleurs, les Opca, sur cette contribution d'un
montant inférieur au 1,6 %, n'offriront pas les
mêmes prises en charge. Par conséquent, les
entreprises devront trouver des financements
internes pour couvrir l'ensemble des dépenses
générées par un départ en formation. D'autre
part, il pèse toujours sur tous les employeurs
une obligation de formation, qui se traduira
toujours par la mise en oeuvre de formations,
voire d'un plan de formation en bonne et
due forme. Il pèse également à présent une
nouvelle obligation d'organiser un entretien
professionnel tous les deux ans, couplée, dans
les entreprises de 50 salariés et plus, avec une
garantie de formation qui pourra, au bout de six
ans, aboutir à un abondement de 100 heures (ou
130 heures pour les salariés à temps partiel) du
compte personnel de formation, c'est-à-dire à
un compteur de 250 heures (280 heures pour les
salariés à temps partiel).

Ce mécanisme produira plus d'effets s'il
est observé et suivi par des représentants
du personnel...


Par conséquent, les salariés des entreprises de
plus de 10 salariés, voire de plus de 50 salariés,
auront davantage de chances de voir l'entretien
professionnel produire des effets. Il en sera
de même concernant l'élaboration du plan de
formation. Des dispositions nouvelles sont
prévues concernant la consultation du plan.
Pour les entreprises de 300 salariés et plus, c'est
le lien entre la négociation collective obligatoire
sur la gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences et les instruments de formation
qui a été privilégié. Pour ces entreprises, la
contribution de 1 % versée à l'Opca n'a plus pour
finalité le financement du plan. Ces entreprises
sont donc invitées à gérer la formation de leurs
salariés dans le cadre de la GPEC. Les objectifs
du plan de formation, les critères et abondements
éventuels du compte personnel de formation
seront abordés lors de cette négociation. Ce lien
entre la GPEC et la gestion de la formation dans
ces entreprises illustre bien la mise en avant du
besoin, avant celle du financement.

Mais les efforts seront-ils à hauteur de ce
que permettait le 0,9 % minimum ?


C'est trop tôt pour le dire. Nous sommes dans
une période de mise en oeuvre de la réforme et
d'appropriation des nouveaux mécanismes par
tous les acteurs de la formation. Comme souvent
lors d'une grande réforme, il faut distinguer
ses deux volets : le volet réforme des outils, et
celui de la réforme des institutions, qui repose
sur des initiatives de la part d'instances comme
les organisations syndicales, les commissions
paritaires nationales emploi, les observatoires
prospectifs, les futurs [ 6 ]Copinef Comité paritaire interprofessionnel national pour
l'emploi et la formation.
et Copiref [ 7 ]Comités paritaires interprofessionnels régionaux
pour l'emploi et la formation.
pour ne
parler que d'eux. La négociation peut apporter des
solutions à cette disparition dans la loi de l'effort
minimum des entreprises.

N'est-ce pas aux représentants des
branches de se prononcer, à présent ?


Lors de la négociation nationale
interprofessionnelle, les signataires ont considéré
que la loi ne devait plus imposer de minimum. Ils
n'ont pas interdit aux branches professionnelles
de prévoir des contributions conventionnelles.
Il en existe déjà. Il pourrait en exister dans des
branches qui n'en disposaient pas jusqu'à présent.
Par ailleurs, des initiatives peuvent également
être prises au niveau des Opca, en prévoyant une
offre de services particulière en cas de versement
d'une contribution volontaire. La réforme fait
le pari du besoin de formation pour générer la
dépense de formation. En mettant en premier
son identification, elle invite tous les acteurs à
organiser un processus qui permettra de garantir
son financement. Ce sera sûrement toujours le
plan de formation qui sera le plus financé, mais les
évolutions du financement du Cif et, surtout, du
CPF seront également à observer.
Sur le site Loi-formation.fr, ouvert par Centre Inffo,
il est possible de prendre connaissance du contenu
de la loi et des modifications introduites dans
les différents codes et loi impactés. Centre Inffo
organise par ailleurs des sessions de formation sur
le thème de la réforme.

Propos recueillis par David Garcia

Notes   [ + ]

1. Compte personnel de formation.
2. Voir notamment L'Inffo n° 850, p. 12 et 853, p. 10.
3. Institutions représentatives du personnel.
4. L'Inffo n° 851 p. 4 et 853 p. 22.
5. Les entreprises de plus de dix salariés devront
verser à leur Opca une contribution à hauteur de 1 %
de la masse salariale brute.
6. Copinef Comité paritaire interprofessionnel national pour
l'emploi et la formation.
7. Comités paritaires interprofessionnels régionaux
pour l'emploi et la formation.