Répondre aux nouveaux défis des métiers de la formation

Par - Le 15 mai 2014.

La réforme actuelle − resserrement des budgets, individualisation accrue − va accélérer une mutation
déjà largement entamée, qui touche à la fois le métier de formateur et celui de responsable de
formation en entreprise : la mutation des rapports aux savoirs, due à l'usage généralisé d'internet.
L'information, la connaissance sont de plus en plus accessibles, de plus en plus vite caduques aussi.
Mais des réponses existent.

Les évolutions législatives
ne sont pas les
seuls facteurs de mutation
des métiers de
la formation induisant
des enjeux de professionnalisation.
Selon Mathilde
Bourdat, manager d'offres
et d'expertise chez Cegos et
co-directrice de l'executive
master management de la
formation (EMMF) [ 1 ]Cette formation diplômante est proposée
conjointement par l'Université Paris-Dauphine et
Cegos, depuis 2010. La quatrième promotion a débuté
en avril dernier.
, des
“facteurs exogènes structurels
et sociétaux" impactent
considérablement l'évolution
de la formation au sein
de l'entreprise.

En effet, explique-t-elle,
“la formation n'a pas suivi,
comme tous les autres secteurs,
le passage à la logique économique
basée sur la concurrence. Elle est
restée sur ses rythmes de développement
et ses formats d'animation, sans tenir
compte des grands changements, notamment
ceux concernant le digital, qui a
introduit une autre vision économique.
La formation a pris du retard et n'est plus
adaptée à l'économie actuelle".

Un rapport au savoir
profondément transformé


D'autre part, ajoute-t-elle, “les mutations
technologiques et leurs impacts
sur notre vie quotidienne ont opéré un
profond changement sur notre rapport
au savoir et donc à la formation". Une
analyse qui rejoint celle d'Olivier
Charbonnier, directeur du cabinet
Interface [ 2 ]Auteur, avec Sandra Enlart, de Faut-il encore
apprendre ? et Le travail dans les entreprises demain.
Tous deux sont fondateurs de Dsides, laboratoire
d'innovation et de prospective qui traite de l'impact
des technologies sur les façons de travailler et
d'apprendre.
. En effet, développe-til,
“avec internet et les technologies de
l'information et de la communication,
l'accès à l'information est devenu plus
facile, bouleversant notre environnement
cognitif et transformant la façon
de transmettre la connaissance". Notre
rapport au savoir se voit ainsi profondément
transformé. Il est donc
légitime de s'interroger sur “la place
du pédagogue dans l'apprentissage et la
nécessité même de devoir d'apprendre".

“Délégation", “mutation"
et “fragmentation"


Grâce aux moteurs de recherche, l'information
est partout et nulle part. Il
est désormais facile d'avoir accès à des
contenus de formation n'importe où et
à n'importe quel moment. Cette abondance
d'information, explique Olivier
Charbonnier, entraîne trois grandes
mutations dans notre rapport au savoir
: la “délégation" (le renoncement
à encombrer notre mémoire parce que
l'ensemble des contenus est accessible
par internet partout et à tout moment),
la “mutation" (la transformation rapide
du savoir et le renouvellement permanent
de la connaissance) et la “fragmentation"
(le savoir est de plus
en plus éclaté et nous avons
des morceaux de connaissance
à recomposer).

Des savoirs aussitôt
caducs


Selon l'expert, la question,
aujourd'hui, est “moins de
stocker pour mémoriser que de
gérer des flux de données pour
accompagner notre apprentissage.
À quoi servirait-il donc
d'acquérir des savoirs qui très
rapidement peuvent devenir
caducs ?" Dans le cadre
d'une formation, “est-il encore
utile ou efficace de chercher
à fournir des connaissances
que l'apprenant peut
facilement trouver en ligne ?
Ou alors, ne faut-il pas plutôt s'atteler à
produire une valeur ajoutée à son action
de formation ?"

Nouveaux enjeux

Clairement, le savoir même du formateur
se transforme du moment où il
le diffuse. Selon Olivier Charbonnier,
“puisque nous passons d'une vision de
la connaissance en stock à une vision en
flux, l'enjeu pour l'acteur de la formation
en entreprise est donc de savoir faire le
tri entre la partie de la connaissance qui
se transforme et celle qui se stocke". Et
pour le responsable formation au sein
de l'entreprise l'enjeu est d'outiller les
salariés afin qu'ils intègrent l'apprentissage
dans leurs activités quotidiennes.
Car il n'est plus désormais question
d'apprendre (comme on le fait de façon
formelle) mais de retrouver les “morceaux
de connaissance" nous permettant
de donner du sens à ce que nous
faisons.

Repenser l'ingénierie
pédagogique


Cette logique exige de pouvoir réorganiser
l'ingénierie, de manière à hiérarchiser
les informations, à ne pas
encombrer le salarié de celles qu'il
peut trouver facilement ailleurs, notamment
sur internet ou auprès de
ses collègues. N'oublions pas qu'une
grande part du savoir est “déléguée à la
machine". Et aussi aux collègues et aux
voisins... La fonction formation serait
donc confrontée à une problématique
inéluctable : organiser le trop-plein
d'informations afin que les salariés n'en
soient pas submergés.

Chacun peut se penser comme
contributeur au savoir


Selon Mathilde Bourdat, “depuis l'arrivée
du web 2.0 ou des interactions via
les médias sociaux, chacun peut se penser
comme contributeur au savoir, et pas
seulement comme une personne recevant
du savoir d'une autre personne, supposée
en détenir davantage. Ces changements
conjugués conduisent à un déplacement
des demandes, qui deviennent beaucoup
plus réactives, modularisées et individualisées,
de façon à répondre aux besoins
de chacun et non pas de manière
indifférenciée".

Ainsi, la définition même de l'action
de formation se voit modifiée. La formation,
confirme Olivier Charbonnier,
ne se caractérise plus par “une relation
entre un apprenant (en quête de savoir)
et un formateur (en position de le lui
donner)", mais par “une mise en place de
situations et d'opportunités permettant
de tirer profit de l'ensemble d'éléments
disparates mis à disposition" (sur le lieu
de travail comme en dehors). Il s'agit
donc de sortir la formation des quatre
murs et de rendre la connaissance accessible
quand on veut et où on veut.
Cela change tout ! Car, pour le responsable
formation, cela pose “la question
de savoir si, dans le cadre du plan de formation,
il est encore utile de collecter les
besoins en formation des salariés comme
si tout était figé".

Rapprocher la formation de son
utilisateur


Les acteurs de la formation en entreprise
font face à de grands défis. Il faut,
selon Olivier Charbonnier, “repenser
l'économie de l'apprentissage en redistribuant
la dépense dédiée à la formation"
(formations classiques, apprentissages
numériques et apprentissages “informels",
“non formels", etc.). Dans tous
les cas, rappelle Mathilde Bourdat, “la
réforme actuelle va assécher un certain
nombre de financements et poser la question
de l'utilité de financer la formation.
Il y a lieu donc de réinterroger la définition
même de l'acte de formation, et de
repenser la formation dans un contexte
plus large de mutations technologiques et
économiques".

Accepter et intégrer le “savoir
éclaté"


Les acteurs de la formation doivent se
demander comment rapprocher davantage
la formation de son utilisateur,
“en simplifiant les processus d'accès", en
créant “un environnement nourricier qui
permette d'accepter et d'intégrer le savoir
éclaté, incertain et instable" dans le travail.
Même à des postes similaires, les
besoins en formation varient d'un salarié
à l'autre. “En facilitant la modularisation,
la technologie permet à chacun aller
chercher et composer, selon ses besoins, sa
formation. La formation à distance est
un moyen de rapprocher la formation de
chacun là où il est. C'est un changement
de procédure important : avant, c'était
l'apprenant qui se rapprochait de la formation,
maintenant, c'est elle qui vient à
lui", explique Mathilde Bourdat.

La formation tout au... large
de la vie


Pour Olivier Charbonnier, il est plus
qu'important de prôner “l'apprentissage
tout au... large de la vie", en prenant en
compte la “porosité des temps d'apprentissage"
et l'apprentissage “de la main à
la main" (les apprentissages informels,
non formels, par la transmission orale,
etc.). Les acteurs de la formation au
sein de l'entreprise doivent donc pouvoir,
à travers les technologies de la
communication et de l'information,
“accompagner de nouvelles capacités"
d'apprentissage.

Professionnalisme,
positionnement, posture


Ces nouveaux enjeux exigent du responsable
formation une vision critique
de son rôle au sein de l'entreprise.
“Aujourd'hui, il existe des motifs d'insatisfaction
pour tout acteur de la formation.
Le professionnalisme, le positionnement
et la posture (3P) sont les éléments
de la fonction formation qui permettent
d'asseoir sa crédibilité au sein de l'entreprise",
explique Patrice Guézou, directeur
formation et compétences à la CCI
France. Selon cet ancien consultant et
directeur au sein du Campus Veolia
Environnement, le responsable formation
doit être “un accoucheur de dispositifs,
un accompagnateur de l'évolution des
compétences", une “force de proposition
et d'innovation". Il doit réinventer son
rôle au sein de l'entreprise. “Il y a donc
nécessité à faire évoluer la fonction formation,
à passer de la gestion administrative
au management de la formation", insiste
l'ancien conseiller technique “Accès et
droit à la formation continue, offre de formation"
de Thierry Repentin [ 3 ]Ministre délégué à la Formation professionnelle
et à l'Apprentissage, dans le gouvernement Ayrault,
de juin 2012 à mars 2013.
.

Les missions du “manager
de formation"


“Le management de la formation est l'interface
entre la stratégie des organisations,
la politique RH et les enjeux de parcours
professionnel des salariés", précise Anne
de Blignières, directrice de l'executive
master management de la formation. En
effet, explique-t-elle, “dans un contexte
de compétitivité accrue, il est vital pour les
entreprises d'articuler la politique de formation
à leur stratégie, pour répondre aux
exigences de performance et à leurs impacts
sur les compétences. La réforme de la formation
professionnelle renforce la dimension
individuelle du parcours professionnel
dans l'élaboration des politiques de formation.
Dans ce contexte, les missions du
manager de formation évoluent. Il devient
le garant de la politique de développement
des compétences au service de la stratégie
de l'entreprise et de l'employabilité des salariés".
Le manager de la formation doit
donc “être en capacité de faire évoluer les
systèmes"...

Notes   [ + ]

1. Cette formation diplômante est proposée
conjointement par l'Université Paris-Dauphine et
Cegos, depuis 2010. La quatrième promotion a débuté
en avril dernier.
2. Auteur, avec Sandra Enlart, de Faut-il encore
apprendre ? et Le travail dans les entreprises demain.
Tous deux sont fondateurs de Dsides, laboratoire
d'innovation et de prospective qui traite de l'impact
des technologies sur les façons de travailler et
d'apprendre.
3. Ministre délégué à la Formation professionnelle
et à l'Apprentissage, dans le gouvernement Ayrault,
de juin 2012 à mars 2013.