Retrait d'agrément : l'Afdas se réorganise pour continuer son activité

Par - Le 15 juin 2014.

L'Opca de la culture, de
la communication et des
loisirs peut-il continuer
d'exister ? Si le Conseil
d'État lui a retiré son
agrément en mai au motif de
conflits d'intérêts avec des
établissements de formation,
l'Opca s'est mis en ordre
de bataille pour obtenir un
nouvel agrément au plus
vite. Enquête.

Le compte à rebours a commencé.
Il ne reste plus que trois mois à
l'Afdas pour obtenir son agrément
l'autorisant à collecter et
mutualiser les contributions financières
des entreprises de sa branche.
C'est en ce sens que l'Opca de la
culture, de la communication et des
loisirs a reformulé à la fin du mois de
mai une nouvelle demande d'agrément
auprès de la Délégation générale à
l'emploi et à la formation professionnelle
(DGEFP) afin de régulariser sa situation.
“Le premier enjeu pour l'Afdas,
c'est d'assurer la continuité de l'activité.
Le service aux entreprises adhérentes et
aux salariés de celles-ci est en jeu. C'est
pour cette raison que nous réagissons au
plus vite", confie Thierry Teboul, directeur
général de l'Afdas, à L'Inffo.

Conflits d'intérêts

La menace pèse sur l'Opca depuis
le 16 mai, date à laquelle le Conseil
d'État a pris une décision [ 1 ]Décision n° 355924 CE, 16 mai 2014. visant à annuler
les arrêtés d'agrément de l'orga
nisme du 9 novembre 2011, à la suite
d'une requête adressée par la fédération
Unsa spectacle et communication. En
effet, la plus haute juridiction administrative
a relevé à cette occasion des
conflits d'intérêts visant les administrateurs
de l'organisme collecteur. Les
juges administratifs s'étaient alors fondés
sur l'article L. 6332-2-1 du Code
du travail [ 2 ]Lorsqu'une personne exerce une fonction
d'administrateur ou de salarié dans un établissement
de formation, elle ne peut exercer une fonction
d'administrateur ou de salarié dans un organisme
collecteur paritaire agréé ou un organisme délégué
par ce dernier.
pour retirer − de manière
non rétroactive − l'agrément de l'Afdas,
jugeant que la rétroactivité aurait entraîné
des conséquences “manifestement
excessives".

Pour justifier sa requête, la fédération
Unsa spectacle et communication avait
relevé des situations de cumul proscrites
par la loi dans un rapport d'activité
d'exercice datant de 2010. Six administrateurs
étaient pointés du doigt
comme étant également administrateurs
d'établissements de formation : Isabelle
Gentilhomme et Irène Basilis, administratrices
du CFPTS [ 3 ]Centre de formation professionnelle aux techniques
du spectacle
, de l'Ensatt [ 4 ]École nationale supérieure des arts et techniques
du théâtre.
et
de l'Afasam [ 5 ]CFA du spectacle vivant et de l'audiovisuel, William Maunier, administrateur
de l'Afasam, Yann Astruc, de
l'organisme Les Formations d'Issoudun,
Patrick Masse, du CFPTS, et Jacques
Peskine, du Conservatoire européen
d'écriture audiovisuelle. Si ces deux derniers
avaient régularisé leur situation à la
fin de l'année 2011, comme l'explique
l'Unsa dans sa requête, le syndicat relève
que Jacques Peskine a été remplacé par
une nouvelle administratrice, Angélique
Barth, elle aussi en situation de conflit
d'intérêts, car administratrice et trésorière
de l'Afasam.

La notion d'“établissement de
formation"


“Ils auraient dû s'y préparer plus tôt, cela
faisait plusieurs mois que cette situation
avait été dénoncée. La direction aurait
dû réagir bien avant pour éviter d'en
arriver là !" Alain Clair, secrétaire général
de la fédération Unsa spectacle
et communication, en est persuadé,
le retrait de l'agrément aurait pu être
évité. Pourtant, la direction, si elle ne
conteste pas la décision du Conseil
d'État, soutient que l'on peut s'interroger
sur la réalité que recouvre le terme
d'établissement de formation. “Il y a eu
une confusion entre le terme organisme
de formation et celui d'établissement de
formation. Les administrateurs mis en
cause travaillaient pour des organismes
de formation initiale, notamment des
CFA. Aucun n'était rattaché à des organismes
de formation continue."

En effet, en 2010, le secrétaire d'état
chargé de l'emploi, Laurent Wauquiez,
avait adressé une lettre à la direction
de l'Afdas revenant sur la définition
d'établissement de formation désigné
par l'article L. 6332-2-1 du Code du
travail. “Par établissement de formation,
il convient d'entendre toute personne
ayant déposé auprès de l'autorité administrative
une demande de déclaration
d'activité en application des dispositions
de l'article L. 6351-1 du Code du travail
et obtenu un numéro d'enregistrement
et exerçant une activité de formation
continue à titre principal, à savoir une
majorité des ressources provenant d'une
activité de formation professionnelle continue."

Dans cette même lettre, le ministre,
alerté à l'époque par les syndicats, n'avait
pas dénoncé de situations de cumul, et
indiqué : “Concernant les mandats en cours,
les incompatibilités nouvellement créées par
la loi du 24 novembre 2009 ne trouveront
pas à s'appliquer pour les administrateurs
dont la durée du mandat a été préalablement
déterminée." Une interprétation qui avait
poussé le ministère à accorder l'agrément
à l'Opca en 2011, mais qui est aujourd'hui
invalidée par la décision du Conseil d'État.

Pas de rupture dans l'activité

L'Afdas s'est donc trouvé dans l'obligation
de prendre le problème à bras le corps. Pas
question, pour l'organisme, de fermer ses
portes. “Tous les services ont été orientés pour
qu'il n'y ait pas de rupture dans l'activité."
Thierry Teboul affirme que les situations de
conflits d'intérêts ont été réglées en interne.
“Les administrateurs ont fait leur choix, et
nous leur avons fait signer des déclarations
sur l'honneur selon lesquelles ils n'étaient plus
administrateurs d'un établissement de formation."
Dossier envoyé en urgence, dans un
contexte particulier : “Nous sommes face à
la mise en place d'une nouvelle loi qui nous
demande également beaucoup d'énergie en
interne."

Un Opca, “pas une association,
comme les autres"


Si le Conseil d'État s'est uniquement fondé
sur les conflits d'intérêts pour retirer
l'agrément de l'Afdas, la fédération Unsa
spectacle et communication
soulève
d'autres arguments
juridiques : “Nous
voulions tout d'abord
dénoncer la suppression
de l'assemblée
générale qui privait la
totalité des membres
de se tenir informé
de l'activité et des
comptes de résultats",
explique Alain Clair
à L'Inffo. Si les associations
régies par la
loi de 1901 n'ont pas
pour obligation de
tenir une assemblée
générale, le syndicat
Unsa met en avant la
situation particulière
des Opca : “Ce sont
des organismes qui
gèrent des contributions obligatoires et qui
ont besoin d'un agrément ministériel pour
fonctionner. Nous ne sommes pas face à une
association loi 1901 comme les autres", argumente
le secrétaire général. Autre point de
désaccord avec le ministère, celui du mode
de représentation des syndicats dans l'entreprise.
“Nous n'avons pas été entendus sur ces deux
volets, mais loin de nous l'idée de faire cesser
l'activité de l'Afdas. Nous pensons que cela ne
serait dans l'intérêt de personne. Mais nous
comptons bien nous faire entendre sur la
question de la transparence dans l'organisme
collecteur." Les échanges avec la direction
ont d'ailleurs débuté : “Nous avons été reçus
par Thierry Teboul, nous avons exprimé nos
revendications."

La question de
la “transparence"


Du côté de l'Afdas, l'heure n'est pas à cette
réflexion. C'est en tout cas l'avis du directeur
général : “Mon problème n'est pas de
résoudre la question de la tenue de l'assemblée
générale ni celle de la représentativité.
Pour l'heure, je me concentre sur l'agrément
à obtenir avant septembre. Nous devons nous
remettre en ordre de marche d'ici là, et être
mobilisés intégralement. Pour autant, je ne
suis pas fermé à engager une réflexion plus
profonde sur ces points, une fois la situation
éclaircie."
La transparence demeure pourtanr un corollaire
des conflits d'intérêts. Les juges rappellent
d'ailleurs, dans leur décision, qu'“il
résulte de l'article L. 6332-1 du Code du travail
que l'agrément est accordé aux organismes
collecteurs paritaires en fonction notamment
de l'application d'engagements relatifs à la
transparence de la gouvernance".
Et Alain Clair d'insister : “Nous avons enquêté
sur le sujet et essayé de nous procurer
la liste des membres auprès de la préfecture
de Bobigny. Malheureusement, eux-mêmes
ne disposent pas de données assez récentes."
Difficile, en effet, d'avoir une visibilité sur
la composition du conseil. Si la page internet
dédiée est en travaux depuis plusieurs
semaines, impossible d'obtenir les noms
auprès de l'Afdas. Motif : la mise à jour des
noms du conseil d'administration à la suite
du retrait d'agrément.
n Célia Coste
1. Décision n° 355924 CE, 16 mai 2014.
2. Lorsqu'une personne exerce une fonction
d'administrateur ou de salarié dans un établissement
de formation, elle ne peut exercer une fonction
d'administrateur ou de salarié dans un organisme
collecteur paritaire agréé ou un organisme délégué
par ce dernier.
3. Centre de formation professionnelle aux techniques
du spectacle.
4. École nationale supérieure des arts et techniques
du théâtre.
5. CFA du spectacle vivant et de l'audiovisuel.

CHIFFRES CLES DE L'AFDAS (2012)

 41 835 entreprises cotisantes,
hors Guso, guichet unique du
spectacle occasionnel (+ 7 %).

 213,1 millions d'euros de
collecte, hors subventions
(+ 25,1 %).

 14,4 millions d'euros de
subventions, dont 7,5 millions
d'euros provenant du FPSPP
(- 32,2 %).

 142 000 actions de formation
financées (+ 10,4 %).

 8,1 millions d'heures de
formation financées (+ 8,7 %).

TROIS QUESTIONS À FOUZI FETHI, JURISTE À CENTRE INFFO
“Cette décision du Conseil d'État est un message fort"

Que dit la loi sur les conflits d'intérêts
dans les organismes collecteurs ?


La loi vise explicitement deux conflits
d'intérêts. L'un concerne les établissements
de formation, l'autre les établissements de
crédit.

Le premier conflit d'intérêts concerne
précisément le cumul de la fonction
d'administrateur ou de salarié dans un
organisme paritaire collecteur et un
établissement de formation. Ce qui signifie
qu'il est interdit d'occuper une fonction de
salarié ou d'administrateur à la fois dans un
Opca et un établissement de formation.
Le second concerne uniquement le cumul
de la fonction de salarié dans un organisme
paritaire collecteur et un établissement
de crédit. Le cumul de la fonction
d'administrateur dans les deux structures,
quant à lui, est possible. Néanmoins, la
loi exige qu'il soit porté à la connaissance
des instances paritaires de l'organisme
collecteur, ainsi qu'à celle du commissaire
aux comptes qui établit, s'il y a lieu, un
rapport spécial.

Depuis quand est-elle en vigueur ?
Qu'est-ce qui a changé depuis la loi
de 2009 ?


Jusqu'en 2009, les conflits d'intérêts dans
les Opca n'étaient pas régis par une loi,
mais par un décret daté du… 28 octobre
1994 ! Ce dernier interdisait déjà le cumul
de la fonction de salarié dans un Opca
et un établissement de formation ou un
établissement de crédit. Quant au cumul de
la fonction d'administrateur dans un Opca et
dans un établissement de formation ou un
établissement de crédit, il devait être porté
à la connaissance des instances paritaires
de l'organisme collecteur, ainsi qu'à celle du
commissaire aux comptes qui établit, s'il y a
lieu, un rapport spécial.

La loi du 24 novembre 2009 apporte donc un
changement uniquement en ce qui concerne
le cumul de la fonction d'administrateur.

Si ce cumul reste possible dans les
établissements de crédit, sous réserve d'en
informer les instances paritaires de l'Opca et
le commissaire aux comptes,
la loi, contrairement au décret, l'a interdit
clairement dans les établissements de
formation. Ce qui signifie que les Opca
doivent, depuis 2009, veiller à ce que leurs
administrateurs ne siègent plus en tant
qu'administrateurs dans des établissements
de formation.

Existe-t-il un précédent à la décision
du Conseil d'État annulant l'agrément
de l'Afdas ?


Non, et cela pour deux raisons. La première
est temporelle : il faut rappeler que
les nouveaux agréments accordés par
l'administration sur la base des nouveaux
critères introduits par la réforme de 2009
sont relativement récents. La seconde
est juridique : le juge dans cette affaire
fait un lien entre la règle du non-cumul et
l'agrément, en l'érigeant clairement comme
un critère de ce dernier. Contrairement
à l'administration, son raisonnement
repose sur une interprétation combinée
de deux articles du Code du travail, issus
de la réforme de 2009. D'une part, l'article
L. 6332-1 qui dispose que l'agrément
est accordé aux organismes collecteurs
paritaires en fonction, notamment, de
“l'application d'engagements relatifs à la
transparence de la gouvernance", et, d'autre
part, l'article L. 6332-2-1 qui interdit le cumul
des fonctions de salarié ou d'administrateur
dans un organisme collecteur paritaire et
dans un établissement de formation.
Ainsi, et au-delà de cette affaire, cette
décision du Conseil d'État est un message
fort transmis à l'administration. Celle-ci
est invitée non seulement à contrôler le
respect de la règle du non-cumul, mais
aussi, et surtout, à prendre en considération
cette dernière pour attribuer un agrément.
L'objectif étant bien évidemment d'éviter
les intérêts croisés entre le financeur et le
prestataire de formation.

Propos recueillis par C. C

Notes   [ + ]

1. Décision n° 355924 CE, 16 mai 2014.
2. Lorsqu'une personne exerce une fonction
d'administrateur ou de salarié dans un établissement
de formation, elle ne peut exercer une fonction
d'administrateur ou de salarié dans un organisme
collecteur paritaire agréé ou un organisme délégué
par ce dernier.
3. Centre de formation professionnelle aux techniques
du spectacle
4. École nationale supérieure des arts et techniques
du théâtre.
5. CFA du spectacle vivant et de l'audiovisuel