Six mois avant la décentralisation de la formation des détenus

Par - Le 01 août 2014.

L'échéance de la décentralisation de la compétence “formation professionnelle" des détenus − en
janvier 2015 − se rapproche, et les Conseils régionaux s'inquiètent de budgets à leur sens insuffisants.
Les Régions Pays de la Loire et Aquitaine, qui expérimentent depuis 2011 cette décentralisation
dans des établissements pilotes, apportent leurs conseils.

La présence de policiers à l'école avait
fait débat, qu'en serait-il pour les
détenus dans le cadre de la formation
professionnelle ? Lors d'une
journée consacrée à la décentralisation
de la formation professionnelle
pour les détenus, le 24 juin dernier à la
Caisse des dépôts et consignations, Alain
Rousset, le président de l'Association
des Régions de France, insistait sur le
manque ou la vétusté de plateaux techniques
au sein des prisons.

“Mutualiser" les équipements
des acteurs du secteur


“De nombreux lycées professionnels proposent
tout autant de la formation initiale,
continue et par le biais de l'apprentissage.
Nous avons beaucoup investi pour
avoir des plateaux techniques avec des
machines-outils très performantes, tandis
que l'état des infrastructures en prison est
déplorable. On ne peut pas amortir ces
machines quand elles ne sont utilisées que
quelques heures par semaine", soulignait
le président de la Région Aquitaine, en
expliquant que le transfert des compétences
formation professionnelle pour
les publics spécifiques dans le cadre de la
réforme du 5 mars 2014, doit être l'occasion
de mutualiser les équipements
de l'ensemble des acteurs du secteur :
Cnam [ 1 ]Conservatoire national des arts et métiers., Éducation nationale ou Afpa,
notamment.

“L'échelon régional est le plus
cohérent et efficace"


De fait, plus d'un détenu sur trois,
26 000, bénéficie de cursus certifiants,
qualifiants ou d'orientation lors de sa
peine, mais l'une des ambitions du projet
de loi relatif à la prévention de la récidive
et à l'individualisation des peines,
est de renforcer la qualité d'accès à la
formation professionnelle de ces publics.
“Avec la loi du 5 mars, la décentralisation
de la formation professionnelle se parachève.
L'objectif sur cette question est de
croiser la politique établie par les Régions
dans le cadre du droit commun, avec
celle élaborée pour ce public spécifique.
Dans l'évaluation des besoins, comme la
construction de l'offre de formation, l'échelon
régional est le plus cohérent et efficace
pour répondre aux besoins des entreprises,
c'est vrai pour les détenus comme pour tout
un chacun", explique Nicolas Grivel,
le directeur de cabinet de François
Rebsamen, le ministre du Travail, de
l'Emploi et du Dialogue social.

Aucun budget pour l'orientation
des détenus...


Si le transfert des compétences se fera
à moyens constants, les Régions, pour
optimiser le dispositif et répondre aux
ambitions de la loi sur la récidive, redoutent
de devoir mettre au pot plus
que de raison. “Les dotations aux collectivités
territoriales sont des variables d'ajustement
dans un contexte où l'État tente
de faire des économies, nous serons très
vigilants sur ce point. À titre d'exemple,
aucun budget ne semble prévu pour les
actions d'orientation, qui sont bien souvent
indispensables avant d'entreprendre
un cursus qualifiant. C'est notamment
le cas auprès d'un public très faiblement
qualifié", prévient Jacques Auxiette,
président de la Région Pays de la Loire,
en précisant que les actions de formation
supposent de prendre en compte
pédagogiquement les contraintes d'un
cadre d'intervention comme la prison.

3 432 détenus ont bénéficié
de l'expérimentation


L'égalité n'exclut pas la prise en compte
des spécificités, et c'est dans cet état
d'esprit que les deux Régions ont expérimenté
depuis 2011, sur trois ans, la
décentralisation dans des établissements
pilotes. Ainsi, 1 132 détenus ligériens
ont dans ce cadre bénéficié d'actions de
formation allant de la découverte à la
qualification dans des secteurs comme
le bâtiment, la restauration ou l'industrie.
Le coût annuel global était de
1,57 million d'euros dont 110 000 fournis
sur les fonds propres de la Région.
En Aquitaine, entre 2011 et 2013,
2 300 personnes ont bénéficié de l'une
des 25 actions de formation, avec un
taux de réussite aux examens de 90 %,
pour un investissement sur les fonds
propres de la Région de 957 000 euros.

Une rémunération
des stagiaires ?


Dans le cadre du partenariat entre État
(ministère de la Justice) et Région, inhérent
à cette expérimentation menée en
Aquitaine et Pays de la Loire, André
Page, chef d'établissement du centre
pénitentiaire de Nantes, a noté que “la
Région a apporté son expertise du bassin
d'emploi, ce qui a encouragé les établissements
pénitentiaires à adapter les formations
en place et à les valider au regard des
besoins extérieurs". Il a également évoqué
“l'enjeu d'une rémunération des stagiaires,
pour éviter que le volet travail en prison
prenne le pas sur le volet formation".

Formations en chantiers
extérieurs


En outre, la formation concoure à la
prévention des violences qui demeurent
une problématique importante pour les
établissements. Toujours par rapport à
la décentralisation de la formation des
personnes sous main de justice, inscrite
dans la loi du 5 mars 2014 relative à la
formation, Frédérique Brun, chargée de
mission formation professionnelle à la
Région Aquitaine, a fait valoir que “la
Région doit s'adapter aux publics ainsi
que les formations". La ferme-école de
Mauzac, près de Bergerac (Dordogne),
en constitue une parfaite illustration,
puisque les formations en horticulture
se déroulent à l'extérieur. Certains détenus
peuvent en effet sortir en chantier
extérieur.

Sortis avant la fin
de la formation...


Par ailleurs, la Région doit aussi préparer
la sortie des détenus dans la mesure
où “la sortie de détention ne correspond
pas à la fin de la formation". Sur ce
point, Jean-Michel Camu, directeur
interrégional adjoint des services pénitentiaires
(DISP) à Bordeaux, a prévenu
: “Le parcours de formation doit être
intégré à l'extérieur, ce qui est possible
avec les peines mixtes. Le début du parcours
a lieu dans l'établissement et il se
poursuit à l'extérieur par le biais d'un relais
entre le service pénitentiaire d'insertion
et de probation (Spip) et l'organisme
de formation."

Un taux de réussite
qui peut motiver


Concernant les abandons en cours
de formation, a indiqué André Page,
“ils sont de différentes natures : la personne
détenue estime ne plus être en
capacité de suivre la formation ; elle
est plus préoccupée par son affaire judiciaire
; elle est transférée dans un autre
établissement ; elle a un problème de
comportement...". Cependant, a-t-il
ajouté, “malgré un pourcentage de personnes
sans qualification ou d'un niveau
infra V, 70 % ont été reçues à un diplôme
ou un titre de niveau V. Les formateurs
peuvent s'appuyer sur ce taux de réussite
pour motiver les personnes". Pour Jean-
Michel Camu, “nous n'avons pas suffisamment
analysé les causes des abandons
en formation − s'agit-il d'un dysfonctionnement
institutionnel ou relevant de la
personne détenue ? − pour apporter des
réponses".

Généraliser sans casser
la dynamique


“C'est un sujet à affiner après le temps
même de l'expérimentation", a-t-il suggéré.
Pour les Régions, “2015 sera
l'année de la généralisation de la formation
sans casser la dynamique initiée au
niveau des DISP, avec un temps de coconstruction
d'un cadre commun quel
que soit le processus retenu (subventions,
marché public...)", a conclu Frédéric
Macé, directeur emploi et formation
professionnelle à la Région Pays de la
Loire.

UN INVESTISSEMENT POUR LUTTER CONTRE LA RÉCIDIVE

“La formation des détenus constitue une brique de nos services publics de
formation." Concluant la journée consacrée à cette thématique, le 24 juin dernier,
Pascale Gérard, présidente de la commission formation de l'Association des
Régions de France (ARF), expliquait : “Les enjeux liés à cette formation sont ceux
de la formation professionnelle continue en général." Le premier est celui de
“la continuité des parcours, avec un objectif de qualification", tout en veillant à
“conjuguer les temps institutionnel et carcéral, et à construire des modules de
formation". Le deuxième enjeu repose sur “l'exigence d'innovation pédagogique
nécessaire à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire, qui aura nécessairement
des répercussions à l'extérieur". Le troisième concerne “l'égalité d'accès à la
formation, y compris entre les femmes et les hommes". Mais plus que tout, il
s'agit de prévention de la récidive, qui suppose que “la formation des détenus soit
perçue comme un investissement, au sens propre".

Notes   [ + ]

1. Conservatoire national des arts et métiers.