Un projet de fonds européen commun pour la formation

Par - Le 01 août 2014.

Dix ans après la réforme du marché du travail portant son nom, l'Allemand Peter Hartz est venu
à Sarrebruck avec une idée ambitieuse : celle d'éradiquer le chômage des jeunes en Europe grâce
à un fonds massivement financé à l'échelle de l'Union.

Le problème de l'intégration des
jeunes chômeurs a-t-il une solution
comptable ? C'est en tout
cas l'idée développée par le professeur
Peter Hartz, président de
la Commission pour la modernisation
du marché en Allemagne, partagée le
25 juin dernier avec les participants au
congrès “Europatriés" de Sarrebruck
(Land de Sarre). La tête d'affiche du
congrès est venue présenter un nouveau
concept permettant de financer la formation
et l'insertion dans le monde du
travail pour tous les jeunes Européens.
“Il faut aborder les questions avec les investissements
qui s'imposent. Pour ce faire, il
est nécessaire de chiffrer les coûts."

5,5 millions de jeunes chômeurs

Le programme développé pendant six
ans par un groupe de onze experts vise
les 5,5 millions de jeunes chômeurs
des pays européens. Pour financer les
formations initiales ou continues de
ces publics afin de leur permettre de
trouver un emploi, il faudrait débourser
en moyenne 30 000 à 40 000 euros
par personne. “Les fonds prévus dans les
budgets de chaque État étaient largement
insuffisants jusqu'alors. Dorénavant, il
faudra se donner les moyens de nos ambitions
pour réaliser le rêve du plein emploi
des jeunes."

Un “plan de développement
personnel" pour chacun


Le père des lois Hartz qui ont fait
prendre un virage libéral à la social-démocratie
allemande, a tenu à défendre
un bilan controversé au niveau européen.

“Pour lutter contre le chômage, il
est nécessaire de réunir trois éléments : la
volonté politique, les ressources nécessaires
et le développement d'un concept, d'une
idée. Il y a dix ans, en Allemagne, nous
avons mis des choses en place et malgré les
contestations, les résultats de la réforme
sont apparus quelques années après, ce qui
nous a permis de mieux anticiper la crise
économique. Aujourd'hui, il est nécessaire
d'aller plus loin pour faire en sorte que
chaque jeune dispose d'un plan de développement
personnel afin de lutter efficacement
contre le chômage inacceptable de
cette population."

Les moyens ? “Ils existent"

Peter Hartz en est convaincu, les moyens
existent déjà en Europe. Et c'est par le
développement de la communication
des bonnes pratiques que les pays pourront
élaborer des stratégies cohérentes
et efficaces. “La volonté est là, nous avons
le personnel. Il ne manque plus que les
acteurs s'engagent pour mettre en place les
outils d'une manière concrète."

Le projet vise à travailler sur deux
axes. Tout d'abord, cibler les jeunes
selon leur profil. Trois catégories sont
à ce jour retenues : les jeunes disposant
d'une formation et cherchant un emploi,
ceux à la recherche d'une formation,
et ceux en difficulté, ayant interrompu
prématurément leur formation
et en situation d'échec. “Grâce à notre
plan de développement personnel, nous
allons pouvoir analyser ce qu'ils sont en
mesure de faire, à l'aune de leurs souhaits
et du diagnostic, tout en mettant l'accent
sur les talents et non pas sur les obstacles."
Dans un second temps, les services
compétents devront réaliser une cartographie
des emplois pour cibler les
besoins selon les régions et les pays.

200 milliards d'euros...

Un projet ambitieux, mais qui doit être
financé. Si l'on multiplie le nombre
de jeunes chômeurs avec le coût que
représente l'insertion dans l'emploi,
on obtient une somme avoisinant les
200 milliards pour l'Europe. Comment
alors trouver autant d'argent ?

“C'est une somme très importante. La
première réaction serait de dire que ce
n'est pas raisonnable. Pourtant, nous
disons que ça l'est. Tout d'abord car
cela permettrait d'amortir des coûts très
importants, que nous avons évalués à
plus de 150 milliards d'euros. Ensuite,
et plus important, car c'est le plus beau
projet que le pays européen pourrait
porter : celui de l'emploi pour tous les
jeunes !", commente François Villeroy
de Galhau, directeur général délégué
de BNP Paribas.

Solliciter l'épargne privée
et mutualiser


Plusieurs pistes, pour financer ce projet
d'envergure. Investissements étatiques
et européens, contribution des entreprises,
mais aussi des particuliers : “Il
faut imaginer un système permettant d'inciter
l'épargne privée. Une sorte de compte
épargne logement pour la formation, dans
lequel les familles voudraient investir pour
leur enfant dès son plus jeune âge. Pour
créer cela, il ne faudra pas lésiner sur les
mesures incitatives."

Mais comment pousser les personnes à
injecter de l'argent dans un compte non
remboursable, avec un taux d'intérêt
faible, voire inexistant ? “Si ce n'est pas
massif, il n'y aura pas d'investissement privé",
prévient Christian Molitor, gérant
de la caisse d'épargne de la Sarre. “Les
familles risquent d'avoir tendance à dire
que l'État se chargera de ce fonds." Pour
que cela fonctionne, François Villeroy de
Galhau met en avant un impératif : celui
de la mutualisation. “Je pense qu'il faudra
mutualiser les fonds au niveau européen
car, sans cela, les pays du sud n'arriveront
pas à trouver les financements nécessaires."

Le rôle stratégique
des financiers


Autre solution avancée par les représentants
du corps de la finance : la possible
participation de la Banque européenne
d'investissement. “On peut imaginer
un système dans lequel la BEI accorderait
des garanties pour se parer des limites
d'endettement autorisé. Cette banque qui
appartient aux 28 pays pourrait constituer
le socle d'un dispositif solide", envisage
Norbert Massfeller, ancien président
du directoire de Volkswagen Financial
Services.

Les financiers devront eux aussi mettre
la main à la pâte, pour créer un titre
négociable générant de la valeur. “Nous
devons aborder le sujet en posant la
question du retour sur investissement."
Pourtant, François Villeroy de Galhau
met en garde de ne pas faire reposer
une trop grande espérance sur la marge
de manoeuvre des banquiers : “Les financiers
ne peuvent pas tout. On nous
demande de créer de l'argent, alors que
notre seul pouvoir, c'est de le gérer. S'il
existe à la base des sources de financement,
nous pourrons aider, mais nous ne
pourrons pas faire de miracle..."
Toutefois, le directeur général entrevoit
quelques solutions. “Nous avons de multiples
façons d'intervenir : nous pouvons
gérer, distribuer, vendre le fonds, aider
à bien l'investir ou encore imaginer des
variantes pour inciter l'épargne privée."
Une solidarité entre les acteurs mobilisés
qui pourrait peut-être permettre de
construire l'Europe de la formation de
demain.