Vers un démantèlement de l'appareil de formation des CCI ?

Par - Le 01 juillet 2014.

Alors que les Chambres de commerce et d'industrie sont engagées depuis 2010 dans une procédure
de “restructuration territoriale", un projet de rapport des services d'inspection de l'État préconise
une diminution drastique de leurs ressources et l'abandon d'une partie de leur appareil de formation.
“Une casse des CCI sans précédent", s'inquiète le réseau consulaire.

Les 22 et 23 mai derniers, les sourires
polis étaient de rigueur au
sein du réseau des Chambres
de commerce et d'industrie, à
l'occasion des premières Journées
techniques nationales sur la qualification
des jeunes et des actifs Voir L'Inffo n° 858, p. 12. organisées
par CCI France en présence de
François Rebsamen, le ministre du
Travail, venu signer deux conventions
d'objectifs et de moyens avec le réseau
consulaire. Ce dernier a d'ailleurs
confirmé l'objectif gouvernemental
de 500 000 jeunes en apprentissage
d'ici la fin du quinquennat.

Une “ponction" massive
envisagée


Mais dans les couloirs, il était surtout
question du projet de rapport
conjoint de l'Inspection générale des
finances (IGF), des affaires sociales
(Igas) et du Conseil général de l'économie,
de l'industrie, de l'énergie et
des technologies (CGEIET). Un texte
jugé “à charge" par les CCI, accusées
d'être assises sur un “trésor de guerre"
considérable, accumulé, selon les
auteurs du rapport, grâce à la trop
grande générosité fiscale de l'État en
matière de collecte de la “taxe pour
frais de chambre" (TFC, 1,2 milliard
d'euros en 2014) et de la taxe
d'apprentissage. Les services d'inspection
préconisent de le ponctionner
sévèrement sur trois ans, dans une
fourchette oscillant entre 1,5 et 1,9
milliard d'euros en guise de compensation
des “trop-perçus" de ces douze
dernières années.

187 CFA et 160 écoles
supérieures menacés ?


Une cure d'austérité drastique, à
laquelle s'ajoutent des recommandations
sur le renforcement de la tutelle
étatique sur les Chambres, et leur
régionalisation à marche forcée,
avec pour objectif de réduire
le nombre de CCI à une
par région à l'horizon 2017.
Sans oublier une réduction
de leur appareil de formation,
actuellement constitué
de 187 centres de formation
d'apprentis et de 160 écoles
supérieures, parmi lesquelles
on compte HEC, l'Essec ou
les Gobelins. Celui-ci étant
accusé d'entrer en concurrence
avec d'autres opérateurs,
au premier rang desquels
l'Afpa.

“Aux yeux des services d'inspection,
la bonne santé financière
des Chambres est suspecte",
grince Pierre-Antoine Gailly,
président de la CCI d'Îlede-
France. “Pour eux, si les
Chambres sont parvenues à
se désendetter en dix ans, c'est
parce qu'elles sont trop riches.
Si une Chambre dégage un
résultat positif, alors ils jugent
que c'est uniquement parce qu'elle a
perçu trop de taxes ! Accessoirement,
cela en dit long sur la manière dont les
services de l'État conçoivent le principe
d'une saine gestion…"

Boycott de l'ensemble des
instances de gouvernance


En conséquence de quoi, les
Chambres ont choisi de déterrer la
hache de guerre et annoncé leur intention
de boycotter l'ensemble des
instances de gouvernance dans lesquelles
elles sont parties prenantes
aux côtés des pouvoirs publics. Plus
symbolique encore, le 27 mai, à l'occasion
de l'assemblée générale des
CCI, leur président, André Marcon, a
officiellement demandé aux représentants
de l'État de quitter la salle. “Il
les a fichus dehors ! Et quand on connaît
la componction habituelle des CCI pour
les pouvoirs publics, c'est historique !",
analyse Philippe Charveron, délégué
général du Medef Auvergne.

Historique, peut-être, mais difficilement
tolérable aux yeux de Bercy.
“Lorsque des élus consulaires qui représentent
des établissements publics sous
tutelle de l'État et qui ont un devoir de
loyauté envers lui, font voter une motion
pour exclure ses agents d'une assemblée
générale, c'est non seulement une infraction
pénalement répréhensible, mais en
plus un geste antirépublicain", dénonce
un proche du dossier au ministère
du Commerce et de l'Artisanat. Un
remaniement gouvernemental plus
tard, ce sont désormais les services
d'Arnaud Montebourg qui ont repris
l'affaire en main

“La métropole et le désert..."

Alors, ponction massive ? Du côté de
l'État, on préfère parler de “contribution
du réseau consulaire à la réduction de la
fiscalité pesant sur les entreprises", de “régionalisation
complète de la gouvernance",
d'“approfondissement de la mutualisation
des fonctions support et opérationnelles" et
de “rationalisation".

Des éléments de langage qui peinent
à convaincre les consulaires. “Il s'agit
tout simplement de décliner le pacte de
responsabilité au réseau des CCI et de
leur faire économiser 2 milliards sur les
50 prévus", estime Pierre Giacometti,
formateur pour la Chambre de Corsedu-
Sud et secrétaire général FO des
personnels des CCI, dont le syndicat
se dresse vent debout contre les préconisations
des services d'inspection.
Elles s'inscrivent, selon lui, dans la
droite filiation de sept années de révision
générale des politiques publiques
(RGPP) [ 1 ]12 millions d'économies réalisées en rationalisant
les fonctions support sur les territoires
. et de la précédente réforme
des Chambres, datée de 2010, visant à
transformer les CCI départementales
en simples délégations territoriales des
Chambres régionales.

“En 2010, il était question de passer à
22 CCI régionales. Aujourd'hui, avec ce
rapport et la réforme territoriale, c'est
vers 11 ou 14 Chambres que l'on s'achemine.
Bref, sur 145 CCI aujourd'hui,
c'est plus de 130 qui disparaissent dans
les territoires. D'un côté, il y aura la métropole
; de l'autre, le désert", soupire le
syndicaliste.

6 000 emplois seraient détruits

Avec des conséquences notables sur
l'emploi, puisque tant côté patronal que
syndical, on estime que si le texte de
l'IGF, de l'Igas et du CGEIET venait à
se traduire de manière réglementaire, ce
sont près de 6 000 emplois sur 26 000
qui pourraient disparaître au sein du
réseau consulaire, particulièrement dans
des fonctions commerciales, administratives…
ou formatives, puisqu'en trois
ans, la capacité d'accueil des apprentis
en CFA pourrait être réduite d'un tiers,
passant de 100 000 à 70 000, au gré des
fermetures de centres.

L'appareil de formation,
entre CCI et Régions


“Sur ce point, les CCI jouent un jeu
dangereux, contre-argumente Fabrice
Kaluzny, délégué syndical CFE-CGC
pour le réseau consulaire de Bourgogne.
Avant le lancement de cette mission d'inspection,
le mot d'ordre au sein du patronat
était plutôt de se débarrasser des écoles et
des centres de formation, puisque ces derniers
devraient être repris par les Conseils
régionaux dans le cadre de la décentralisation.
Aujourd'hui, l'appareil de formation
des CCI est devenu un instrument
de négociation dans le dialogue avec les
Régions."

En témoigne le cas de l'ESC Bourgogne,
institut commercial dijonnais, hier à
gestion consulaire et, depuis le 1er janvier
2013, passé sous statut associatif avec
modifications du contrat de travail de ses
140 salariés. “Une première étape avant
la privatisation complète, prévient Pierre
Giacometti. Depuis la réforme Novelli
de 2010, la tendance est à la vente des
« bijoux de famille », au sein du réseau."
Et si la ponction devenait réalité, “le
délitement de l'appareil de formation des
Chambres irait en s'accélérant. Les CFA
qui coûtent cher et rapportent peu seraient
abandonnés avec leur personnel, alors que
certains établissements de prestige comme
l'Essec ou HEC pourraient être revendus
sur le marché privé. Certains dirigeants
de tels établissements n'attendent d'ailleurs
que cela. Aujourd'hui, leur rémunération
dépend de la grille salariale des CCI, mais
demain ? Un certain nombre envie le
train de vie des directeurs de grandes écoles
internationales, avec bonus, chauffeur et
appartement de fonction…"

Des formateurs mobilisables
aux quatre coins du territoire


Pour les formateurs plus modestes, l'avenir
régionalisé s'annonce moins rose,
puisque ceux-ci, désormais attachés à
une seule CCI d'envergure régionale
– dans un contexte d'élargissement
des régions – pourront se voir mobilisés
aux quatre coins du territoire. “En
tant que formateur, l'existence de CCI
départementales me protège des régions.
Un salarié consulaire n'est pas un meuble
qu'on déplace à l'envi !", tempête Pierre
Giacometti.

Sale temps, donc, pour les Chambres en
charge du deuxième appareil de forma
tion français. “Si on en est arrivé là, c'est
parce que la réforme territoriale de 2010
n'allait pas assez loin et que le réseau demeure
encore trop atomisé", explique-t-on
à Bercy. En dépit de rapprochements territoriaux
(fusions des Chambres départementales
dans le Nord-Pas-de-Calais,
métropolisation en Île-de-France, collaboration
transrégionale ente Haute et
Basse-Normandie), les possibilités de
délégation entre instances régionales et
départementales ont “affaibli" l'esprit
de la réforme Novelli. “Sans compter que
cette réforme impliquait la mise en place
d'une comptabilité analytique au sein des
Chambres pour différencier les activités
relevant du service public et du secteur
marchand. Cela n'a pas été fait", avance
l'ancien collaborateur de Sylvia Pinel.

L'heure de négocier

Pour autant, et avant que la négociation
ne reprenne les CCI ont transmis, le
3 juin, une proposition d'engagement
en termes de diminution de leurs recettes
fiscales. Au programme, une baisse
annuelle sur trois ans de respectivement
5 %, 8,5 % et 11 % de leurs prélèvements
sur les entreprises. “Soit deux fois
plus que les efforts imposés par le gouvernement
aux opérateurs publics." Des efforts
consentis à 500 millions d'euros entre
2014 et 2017 sur leurs réserves et leurs
fonds de roulement (170 millions ont
déjà été prélevés “à titre exceptionnel"
en 2014), auxquels s'ajouteraient 700
autres millions de baisse des taxes sur
les entreprises en trois ans. Soit un total
d'1,2 milliard, sans compter les 150 millions
que les Chambres perdront sur la
taxe d'apprentissage entre 2015 et 2017
en conséquence de la récente réforme.
“Ces contributions sont possibles au prix
d'efforts continus de rationalisation, estime
Pierre-Antoine Gailly. Entre 2005
et 2015, notre réseau aura fermé cinquante-
neuf établissements, soit une réduction
de 35 % tout en conservant son efficacité.
Quel opérateur public peut en dire
autant ?" Entre main tendue et bras de
fer, le réseau consulaire joue ici une partie
de son avenir.

Notes   [ + ]

1. 12 millions d'économies réalisées en rationalisant
les fonctions support sur les territoires