En septembre 2021, à l’invitation de la Société des membres de la Légion d’honneur, les apprentis tailleurs de pierre de Felletin ont revécu la marche saisonnière du métier.
Inffo formation
Avec les apprentis tailleurs de pierre Creusois au chevet de Notre-Dame
Alors que les experts du patrimoine viennent de valider le projet de réaménagement intérieur de la cathédrale sinistrée, les apprentis du lycée des métiers du bâtiment de Felletin, dans la Creuse, sont engagés depuis des semaines en coulisses. Leurs maquettes réalistes leur permettent d'enrichir leurs connaissances tout en servant au futur chantier.
Par Benoît Caurette - Le 27 juillet 2022.
Les hauteurs de Felletin, dans la Creuse, à mi-chemin entre Limoges et Clermont-Ferrand. En contrebas du lycée des métiers du bâtiment, du fond de l'atelier, Alexandre Verdier contemple le chef-d'œuvre de ses élèves, les yeux plein de fierté. “Une opportunité pareille, c'est complètement inédit dans une vie de tailleur de pierres." L'enseignant de l'unité de formation d'apprentis de l'établissement n'a pas fini de se réjouir.
Kylien, Quentin, Matéo et tous les autres – en tout une dizaine de jeunes – sont toujours impliqués dans l'extraordinaire chantier de restauration de Notre-Dame de Paris. Ici, dans leur atelier d'apprentissage tout équipé, ils se préparent dans l'effervescence à un nouvel ouvrage exclusif qu'il “est prématuré de dévoiler". Depuis septembre 2021, ils ont déjà partagé trois semaines particulièrement enthousiasmantes. À répliquer, tout en se perfectionnant, une gargouille et un garde-corps d'un mètre cinquante pour 350 kilogrammes. Deux maquettes presque grandeur nature pour apprécier les qualités de la pierre qui servira à la restauration : de la saint-maximin, une roche calcaire très tendre du bassin parisien, facile à travailler.
“Du concret, comme en entreprise"
“C'est du concret, comme en entreprise, avec des délais et des règles bien strictes à respecter, c'est hyper formateur et motivant", pose d'emblée Quentin, 19 ans, en terminale Arts de la pierre. “Quand on aime comme moi l'histoire et l'architecture, c'est la cerise sur le gâteau que de travailler pour un monument de prestige, abonde Kyllien, 20 ans, son camarade de classe. Nous sommes habitués à la restauration du patrimoine, et nous nous investissons autant quelles que soient la nature et l'implantation géographique de la construction en face, mais là c'est vrai qu'il y a une saveur en plus." Pour Matéo, 19 ans, qui passera en juin 2022 son brevet des métiers d'art en gravure sur pierre (équivalent baccalauréat professionnel), c'est “forcément impressionnant". A fortiori lorsque son propre savoir-faire, exposé au sein même du monument historique, en tirera une visibilité internationale “inimaginable".
“Peu après l'incendie de la cathédrale, le 15 avril 2019, et au moment où l'étendue des dégâts a été connue, nous avons su que l'enjeu pédagogique était énorme, se souvient Alexandre Verdier. Notre premier réflexe a été de nous dire : il faut qu'on achète un bloc ! Sans projet arrêté et sans la moindre ébauche de quoi que ce soit derrière. Mais nous étions convaincus qu'il y avait là un support extraordinaire pour notre formation."
Pour les apprentis tailleurs de pierre, Notre-Dame, avec ses codes de construction, est une référence majeure, un grand livre d'exercices hors pair. “Le projet appelle la mobilisation de toutes les compétences attendues chez celles et ceux qui appartiennent à notre filière taille de pierre, apprécie Franck Tempereau, coordinateur pédagogique de l'unité de formation d'apprentis. Autant de culture générale et de recherche documentaire que de savoirs-faires techniques mais aussi d'expérimentations de nouveaux outils."
La restauration du patrimoine, gage de débouchés
“Rien que travailler cette pierre bien spécifique, on n'avait jamais fait", illustre Kyllien. Tout comme l'utilisation d'un scanner 3D pour relever les cotes du garde-corps constituait une première. “On savait que cet outil existait, mais on n'avait jamais eu l'opportunité d'en utiliser. C'est bien, ça nous fait découvrir des outils d'avenir et enrichir nos ressources."
Surtout, l'expérience de ces nouveaux horizons conjuguée aux savoirs de base assoit “une polyvalence de plus en plus réclamée par les employeurs", indique Franck Tempereau.
Elle trouvera bonne place “sur le chantier permanent et de grande ampleur de la restauration de Notre-Dame", prédit Alexandre Verdier : “Nous pouvons légitimement espérer des contrats d'apprentissage ou des embauches."
Notre premier réflexe a été de nous dire : il faut qu'on achète un bloc !
Plus globalement, avec un parc de plus de 45 000 monuments historiques dans toute la France, dont 6 251 en Nouvelle-Aquitaine, les débouchés dans la restauration ne manquent pas. Ils font vivre, à l'échelle nationale, quelque 20 000 professionnels. Qu'ils préparent un CAP Tailleur de pierre, bac pro Métiers et arts de la pierre, brevet professionnel Métiers de la pierre, CAP marbrier du bâtiment et de la décoration, ou encore un brevet des métiers d'art Gravure sur pierre, les vingt-cinq apprentis de la filière taille de pierre de Felletin ont donc de fortes chances de trouver du travail. “Il y a de vraies perspectives, mais il faut bien les doser. Clairement, le créneau reste quand même spécifique, et si nous en formions le double, tous ne trouveraient pas à se placer", nuance le coordinateur.
Néanmoins, le savoir-faire revendiqué dans la lignée des “maçons de la Creuse" est une qualité prisée des recruteurs. “Bâtir est dans notre ADN, résume Franck Tempereau. Il y a plus d'un siècle que l'on apprend ici à tailler la pierre. Et c'est depuis le haut Moyen-Âge que les Creusois se font connaître pour leurs qualités de travailleurs de la pierre."
Jadis, ils partaient neuf mois par an louer leurs services sur les grands chantiers. Surtout à Paris, au temps du baron Haussmann, au milieu du XIXe siècle.
En septembre 2021, à l'invitation de la Société des membres de la légion d'honneur, les apprentis tailleurs de pierre de Felletin ont symboliquement revécu cette marche saisonnière. L'occasion d'offrir à la cathédrale leurs créations. Et d'esquisser la suite de l'aventure. •
Un patrimoine qui fait bonne école
Notre-Dame n'a pas inspiré que les tailleurs de pierre du lycée professionnel de Felletin. En parallèle, divers jeunes de l'établissement ont participé, avec d'autres apprentis néo-aquitains, à deux chantiers-écoles dont le résultat figure parmi les curiosités locales, à demeure. Il s'agit d'une maquette de la couverture de la cathédrale au 1/10e et d'une impressionnante partie de charpente en taille réelle. Un projet ambitieux qui a permis une forte émulation autour de l'apprentissage, en phase avec le “Campus École régionale du patrimoine bâti" que veut développer ici la Région Nouvelle-Aquitaine.
Reportage publié dans Inffo Formation n°1025
Inffo formation n° 1025, 1er février 2022 – L'intelligence artificielle ouvre le champ des possibles