L’agentivité se manifeste par le fait d’effectuer un choix parmi les opportunités de participation proposées et de s’y engager.
R&D
L'Afest, une modalité pédagogique sous-exploitée ?
“Comment les entreprises doivent-elles organiser les situations de travail pour qu'elles deviennent réellement des opportunités d'apprentissage ?" Telle est la question à laquelle veulent répondre deux chercheuses en sciences de l'éducation et de la formation, Sandra Enlart et Cecilia Mornata.
Par Karine Sautereau - Le 14 janvier 2025.
L'apprentissage en situation de travail ne va pas de soi. Comment les entreprises peuvent-elles organiser les situations de travail pour qu'elles deviennent réellement des opportunités d'apprentissage pour leurs collaborateurs et collaboratrices ? Dans la nouvelle édition du Traité des sciences et des techniques de la formation, deux chercheuses en sciences de l'éducation et de la formation, Sandra Enlart et Cecilia Mornata, nous apportent une première piste, puisée à la fois dans les travaux issus de l'approches du workplace learning (apprentissage en situation de travail) et des travaux portant sur les contextes expansifs [ 1 ]Un environnement expansif se caractérise, notamment, par l'encouragement à la participation à différentes communités de pratiques intra ou interprofessionnelles., qui étudient les conditions permettant l'apprentissage en situation de travail. Puis une seconde voie, avec l'Afest [ 2 ]Loi du 5 septembre 2018 (transposition dans le Code du travail : art. L.6313-1). .
Une première piste
À travers l'approches du workplace learning et des travaux portant sur les contextes expansifs, Sandra Enlart et Cecilia Mornata proposent une première piste pour éclairer les entreprises. Les apports en lien avec ces théories encouragent les organisations à se transformer pour intégrer une dimension apprenante. Cela reviendrait à proposer de “passer de la formation à la Learning company...". Cependant, ces deux chercheuses rappellent que “cette transformation est encore lointaine".
Une autre voie
Cette autre voie, “plus modeste, mais sans doute plus réaliste, consiste à proposer des modalités pédagogiques intégrées au travail". C'est le cas de l'Afest, qui n'est pas à confondre avec le tutorat, l'apprentissage sur le tas ou encore les mises en situation pédagogiques. L'Afest est en effet moins ambitieuse que ce vers quoi invitent les théories du workplace learning ; néanmoins, elle a pour mérite d'être mobilisable plus facilement. Tout d'abord, parce que la loi de 20184 lui accorde une reconnaissance juridique en France. Ensuite, par son statut de modalité et non de dispositif à part entière, elle peut être facilement – et même utilement – intégrée à un parcours pédagogique professionnel.
Trois intérêts de l'Afest
Sandra Enlart et Cecilia Mornata citent plusieurs intérêts pédagogiques de l'Afest. Nous en évoquerons ici trois. Tout d'abord, l'Afest véhicule en son sein au moins deux des dimensions fondamentales de l'approche du workplace learning, à savoir l'affordance et l'agentivité.
L'affordance ? Elle “concerne les opportunités que le contexte offre sous forme d'invitation à des activités du quotidien". Ces invitations à la participation peuvent prendre des formes directes, telles que l'Afest et le tutorat, ou des formes indirectes, comme la structuration de l'activité ou de l'organisation du travail. L'Afest constitue donc “une opportunité offerte par l'organisation à chacun pour se former et apprendre là où il se trouve", en fonction de ses besoins. L'accompagnement du formateur peut être également vu comme une autre affordance. En ce sens, si le cadre méthodologique de l'Afest est respecté, cet accompagnement sera réalisé dans un espace relationnel protégé – inaccessible à la hiérarchie – favorisant ainsi la réflexivité et, in fine, l'apprentissage.
Quant à l'agentivité, elle “se manifeste par le fait d'effectuer un choix parmi les opportunités de participation proposées et de s'y engager". À trois moments dans l'Afest, l'apprenant aura à exprimer ses choix.
Premièrement, au début de l'Afest, lors de l'autoévaluation l'invitant, tout d'abord, à déterminer quelles compétences professionnelles il a besoin ou envie de développer, puis à nommer et analyser en quoi consisteront les objectifs de cet apprentissage, au vu de ce qu'il sait déjà faire. Ainsi, ce sont les choix de l'apprenant qui façonneront l'ingénierie pédagogique, et non ceux de la hiérarchie.
Deuxièmement, lors du temps de debrief, le collaborateur ou la collaboratrice bénéficiera d'un moment réflexif, à condition qu'il lui soit bien expliqué l'objectif de ce debrief : “La réflexivité ne s'extorque pas, elle s'encourage."
Troisièmement, selon le sentiment de maîtrise de la compétence visée, ou non, que ressentira l'apprenant, il aura le choix de poursuivre ou d'arrêter les séances d'Afest. Ce choix sera bien sûr discuté avec l'accompagnateur, mais il reposera sur le sentiment de l'apprenant et non sur une évaluation externe. Cette autoévaluation devra ensuite être confirmée par l'évaluation du hiérarchique, “mais c'est bien l'apprenant qui maitrise le jeu".
Enfin, lors de sa mise en œuvre, l'Afest représente une opportunité concrète d'interroger l'organisation du travail et la culture pédagogique des entreprises. Reste aux acteurs à se saisir de cette opportunité…
Les chercheusesSandra Enlart est directrice de recherche associée à l'Université Paris Nanterre en sciences de l'éducation et de la formation. Domaines de recherche : la gestion des ressources humaines, la formation et le management. Cecilia Mornata est chargée d'enseignement en formation d'adultes à la Faculté de psychologie et sciences de l'éducation de l'Université de Genève. Domaines de recherche : interactions, apprentissage en situation de travail et formation. |
Pour aller plus loin…Enlart, S., & Mornata, C. (2024). Chapitre 23. Apprentissages en situation de travail. Dans Carré, P., Caspar, P., Frétigné, C., & Las Vergnas, O. (Dir), Traité des sciences et des techniques de la formation (pp.476-480). 5e édition. Dunod. Cadre méthodologique de l'Afest, dans le rapport de Sandra Enlart, remis en décembre 2019 au Haut-Commissariat aux compétences : |
Notes
1. | ↑ | Un environnement expansif se caractérise, notamment, par l'encouragement à la participation à différentes communités de pratiques intra ou interprofessionnelles. |
2. | ↑ | Loi du 5 septembre 2018 (transposition dans le Code du travail : art. L.6313-1). |