Compte personnel de formation : la mise en oeuvre, dans toutes les têtes
Par Benjamin d'Alguerre - Le 01 novembre 2013.
“Oui, le compte personnel
de formation est faisable,
oui, nous le ferons !" Michel
Sapin, ministre du Travail,
était affirmatif en ouverture
du colloque organisé à
l'Assemblée nationale
le 16 octobre dernier par
Centre Inffo, sur le thème :
“Le compte personnel de
formation : finalités, usages
et faisabilité". Car pour le
CPF, l'heure vient de passer
de la théorie à la pratique...
La négociation est en cours…
j'ai un rôle de scribe", a sourit
Emmanuelle Wargon, déléguée
générale à l'emploi et à la
formation professionnelle, au cours
du débat, indiquant quatre thèmes
majeurs qui font l'objet des travaux en
cours : le périmètre du CPF, son positionnement,
son financement et la manière
dont il sera mobilisé.
“Réorienter le système de formation"
“Les enjeux du compte personnel de
formation" (thème de la première
table ronde) sont nombreux. Danielle
Kaisergruber, présidente du Conseil
national de la formation professionnelle
tout au long de la vie (CNFPTLV),
l'a rappelé : le CPF “ne doit pas être un
dispositif de plus, mais un vecteur puissant
pour réorienter le système de formation
professionnelle continue" . Il pourrait
être alimenté “par une logique d'épargne,
y compris personnelle, une dotation ou un
droit de tirage". Prévenant par ailleurs :
“La complexité ne sert jamais ceux qui ont
le plus besoin de formation"...
Pour sa part, Emmanuelle Wargon a livré
quelques confidences sur les travaux en
cours : à l'étude, un financement dédié,
probablement un mixage entre dotation
et droit de tirage. Elle a indiqué que
l'“universalité de base" du futur dispositif
ne pouvait reposer “sur des droits
identiques pour tous, à tout moment".
Puis elle a résumé les questionnements :
“Comment mobilisera-t-on ce compte ?
Peut-on le rendre incitatif ? Qui va le gérer ?
Comment transformera-t-on les heures en
monétarisation ? Comment le gestionnaire
du compte mobilisera-t-il le financement ?"
La “formation différée" de retour
La deuxième table ronde confrontait les
réflexions sur “les usages attendus du CPF et
du conseil en évolution professionnelle". Elle
a été ouverte par Jacques Bahry, directeur
général du Cési, qui a rappelé que les
individus “demandent de plus en plus à être
maîtres de leurs choix… mais que le choix
est presque conditionné par la capacité de
conseil (…), et un conseil personnalisé".
Directeur général de Pôle emploi, Jean
Bassères a positionné la structure qu'il
dirige comme légitime pour être la
première à faire office de “conseil en
évolution professionnelle", regrettant
par ailleurs qu'“on oppose salariés et
demandeurs d'emploi. On oublie qu'un
tiers des inscrits à Pôle emploi sont salariés !"
Même affirmation du côté de Laurent
Nahon, directeur général du Fongecif
Île-de-France, qui a rappelé qu'en 1983,
lors de sa création, l'organisme accueillait
400 salariés par an. “Trente ans après,
nous recevons 400 personnes par jour sur le
« canal physique », qui réfléchissent à leur
avenir professionnel."
Pour Daniel Assouline, chargé de
l'orientation et de l'enseignement professionnel
au ministère de l'Éducation
nationale, “le CPF sera le réceptacle de la
formation différée" − cette revendication
déjà ancienne de plusieurs syndicats, mais
qui n'a jamais pu être arrêtée et mise en
oeuvre. Et d'ajouter : “Il faut une offre suffisamment
diversifiée pour que le décrocheur
puisse avoir des propositions variées."
“Une loi hors-sol, pour le
moment…"
Mais cette notion de “formation
différée", ou les financements complémentaires
pour le CPF, seront-ils
juridiquement compatibles avec le
droit actuellement en vigueur ? Le CPF
sera-t-il de 120 heures (comme le Dif )
ou pourra-t-il être un “réceptacle" de
“temps épargné" ? Et quid des questions
de mutualisation, de choix personnel et
de droit de regard de l'employeur ?
Sur “la faisabilité et les modalités de
fonctionnement du compte" (troisième
table ronde), Jean-Marie Luttringer
(JML Conseil), a rappelé que “le compte
séduit les esprits depuis vingt ans", mais
que sa mise en oeuvre est complexe, car
“tous les dispositifs fondés sur l'initiative
individuelle ont échoué". L'initiative
du CPF changera-t-elle la donne ? La
loi de sécurisation de l'emploi − qui a
officiellement créé le compte personnel
de formation, initié
par l'Ani du 11 janvier
2013 −, “c'est une loi
programmatique, une
loi hors-sol, pour le
moment… Comment
faire atterrir ce droit
hors-sol, et comment
le traduire juridiquement
?", a-t-il interrogé,
montrant l'immense
chantier ouvert. Il s'est
aussi penché sur la
notion d'“universalité".
“Une universalité oui…
mais pas pour tout de
suite", lui a répondu Jean-Patrick Gille,
député PS d'Indre-et-Loire, artisan de
cette rencontre.
De son côté, Emmanuelle Pérès,
déléguée générale de la Fédération de
la formation professionnelle (FFP)
a affirmé la nécessité de “sortir de
la complexité des financements" et
de “réduire les délais pour entrer en
formation. Ils sont aujourd'hui de six ou
sept mois, c'est trop !".
Quant à Robert Baron, président de
l'Opca Uniformation, membre de
l'Union des employeurs de l'économie
sociale et solidaire (Udes), il a fait part de
ses réflexions concernant les “cohérences
entre le CPF et le congé individuel de
formation". Sa conclusion a repris celle
d'autres experts : “Attention à ne pas créer
un super-Cif..."
Claire Padych
LE MEDEF PRÊT À RECONNAÎTRE LE CPF COMME UN DROIT OPPOSABLE
C'est une petite bombe dans la négociation
sur le compte personnel de formation, et c'est
le Medef, par la voix d'Antoine Foucher, son
directeur en charge des relations sociales, de
l'éducation et de la formation, qui l'a allumée
publiquement le 16 octobre, à l'occasion de
la matinée organisée par Centre Inffo et le
député d'Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille : oui,
la principale organisation patronale est prête à
reconnaître le CPF comme un droit opposable
à l'employeur.
C'est la première fois que cette option est
évoquée publiquement par un responsable
de l'organisation patronale. “À l'heure où les
parcours professionnels sont marqués par la
fin des carrières linéaires, où les salariés sont
amenés à changer plusieurs fois de métier au
cours de leur vie, il n'est plus possible d'envisager
des droits à la formation uniquement
attachés au statut", a indiqué Antoine Foucher,
expliquant l'échec du Dif par le maintien de
l'autorisation patronale préalable à la mobilisation
de ce droit par les salariés.
Opposable… sous conditions
Droit opposable, donc, mais potentiellement
conditionné, cependant. Si le Medef s'est dit
attaché au “principe de liberté" pour chacun
d'assurer sa propre évolution personnelle et
professionnelle par le biais du CPF, il n'en a
pas moins cité son corollaire, le “principe
de responsabilité", qui verrait les salariés
utiliser leur droit au bénéfice, certes, de la
montée en charge de leurs propres compétences,
mais aussi de la compétitivité des
entreprises. “Nous n'avons, au Medef, aucun
problème pour évoquer l'idée d'un financement
spécialement dédié au CPF", a assuré
Antoine Foucher. À condition, cependant,
que ces fonds ne se voient pas fléchés vers
des formations qui ne déboucheraient pas
sur l'emploi. Mais cette conditionnalité d'un
droit − que la loi tirée de l'Ani de janvier
2013 qualifie pourtant d'“universel" − a fait
hausser quelques sourcils, côté syndical. “À
quel moment s'arrêterait cette opposabilité
en droit ?", s'est interrogé Jean-Pierre Therry
(CFTC), en marge du colloque, “cela reviendrait-
il à considérer − à nouveau − que les
salariés ne peuvent accéder aux formations
de leur choix qu'en dehors de leur temps de
travail ?"
Juste un “Dif +" ?
Même réflexion chez FO, dont le secrétaire
national en charge de la formation, Stéphane
Lardy, a qualifié de “simple Dif +" un
dispositif qui se limiterait aux propositions
patronales, invoquant les difficultés pour
un salarié à mobiliser ce droit dans une
entreprise où demeure bien sûr le lien de
subordination.
Une opinion corroborée par Carine Seiler,
directrice du pôle “politiques de formation"
du groupe Alpha : “Le CPF ne saurait se
substituer à la responsabilité de l'employeur
en matière de formation. Quant à l'idée de
mobiliser le compte sur le temps de travail,
elle reste là encore liée à l'acceptation de
ce dernier, puisqu'il reste libre d'autoriser
ou non l'absence d'un collaborateur." Dans
ces conditions, l'articulation entre les droits
des uns et des autres demeure encore à
inventer.
0,3 % de cotisation obligatoire ?
Côté CGT, si l'on s'est volontiers réjoui de
l'annonce publique du Medef, on s'est tout de
même interrogé sur la valeur d'un outil “opposable
sous conditions", alors que la centrale réclame
pour sa part un droit “d'initiative individuelle et
personnalisé". L'occasion, pour Catherine Perret,
secrétaire confédérale en charge des questions
de formation, d'évoquer l'une des suggestions
patronales soumises aux partenaires sociaux lors
des récentes bilatérales : consacrer un “0,3 %"
de cotisation des entreprises – le “0,9 %" de la
masse salariale serait donc ramené à 0,6 % – au
CPF. “Insuffisant, puisque cela ne permettrait
que de financer à peine 3 ou 4 % des comptes
personnels de formation à créer."
Des comptes dont le champ d'action pourrait,
selon la CGT, dépasser le cadre de la formation
professionnelle pour constituer des armes contre
l'illettrisme ou qui seraient susceptibles d'être
utilisées par des salariés en situation de handicap
pour une rémunération durant leur reconversion,
par exemple. La rémunération constitue d'ailleurs
l'un des points forts de la mise en oeuvre de ce
compte aux yeux du syndicat car, au-delà du
maintien dans l'emploi ou de la promotion sociale,
on estime naturel, dans les rangs cégétistes, que
les efforts consentis en matière de formation
se traduisent par des augmentations salariales,
“meilleurs moyens de créer de l'appétence pour
la formation".
Alors, le CPF, nouveau droit individuel ou,
malgré tout, dépendant des besoins de l'entreprise
? Le débat juridique et idéologique n'est
pas tranché.
Benjamin d'Alguerre