Des pistes pour expliquer l'inégalité face à l'illettrisme

Par - Le 01 juin 2010.

Pourquoi les hommes et les femmes sont-ils inégaux devant l'illettrisme, quelles en sont les causes, quels en seraient les remèdes ? C'est à ces questions qu'a tenté de répondre Hugues Lenoir, sociologue, maître de conférences à l'Université Paris-X Nanterre, le 6 mai, lors de la rencontre nationale du Forum permanent des pratiques. Il a débuté un travail sur ces questions et émis plusieurs hypothèses, qui vont de la scolarité à la pédagogie, en passant par l'activité sociale et domestique.

La scolarité et le parcours ?

La réussite scolaire des filles est en moyenne meilleure. On compte plus de “décrocheurs" parmi les jeunes hommes que parmi les jeunes filles. Par ailleurs, davantage d'emplois peu ou pas qualifiés (manœuvre dans le bâtiment ou distribution, etc.) sont accessibles aux jeunes hommes qu'aux jeunes femmes. Celles-ci feraient preuve d'un intérêt plus grand pour leur parcours scolaire (le rapport aux savoirs serait différent). Et l'émulation entre filles pour apprendre serait plus important. Enfin, les savoirs de base et compétences-clés seraient pour elles plus stabilisés en sortie de système scolaire. Ajoutons que les filles feraient leurs devoirs plus régulièrement et seraient plus nombreuses dans les dispositifs de soutien scolaire. Moins à l'extérieur (jeux de ballon, etc.), moins “accros" à la télévision et aux jeux vidéo. Et moins sensibles au “caïdat" scolaire (valorisation de l'échec comme attitude rebelle).

Explication par l'activité sociale et domestique ?

La nature des savoirs ou une mobilisation de savoirs différents dans des activités “genrées" pourraient aussi justifier les écarts constatés. L'activité de lecture serait, aux dires des hommes et des femmes interviewés, plutôt féminine, avec des exceptions. L'activité d'écriture serait plutôt féminine et souvent déléguée par les hommes à leurs compagnes : suivi des devoirs, courriers et liens administratifs, d'où peut-être un entretien ou une relance des apprentissages plus fréquents. Les travaux ménagers comme les courses, la cuisine ou la couture mobilisent des savoirs généraux. Les tâches de calcul semblent mieux partagées entre les femmes et les hommes et certains hommes en seraient les “spécialistes". Les hommes auraient un usage de savoirs plus techniques et/ou de savoirs plus intuitifs, moins formalisés à l'écrit, requérant moins de lecture (bricolage) et relevant plus du “savoir de la main", de bon “sens technique". Ce qui pourrait expliquer en partie une réussite moindre des hommes aux tests de type “module ANLCI".

Hypothèses pédagogiques

Malgré la différence hommes-femmes, peut-on accepter un traitement de type discrimination positive pour les hommes en matière d'apprentissage des savoirs de base et des compétences-clés ?", s'interroge Hugues Lenoir. Mais il alerte : ne risque-t-on pas alors de renforcer des stéréotypes de genre (mécanique et couture, bâtiment et aides à domicile, etc.). Il estime qu'il serait peut-être plus intéressant, à certains moments, de recourir à une pédagogie différenciée-“genrée", articulée aux centres d'intérêt supposés différents entre les hommes et les femmes.

[(L'impact du genre sur l'entrée en formation

Hommes et femmes salariés se forment globalement dans les mêmes proportions. Toutefois, la formation des femmes accuse un net fléchissement au début de la trentaine. Ces constats sont issus d'une enquête présentée par Christine Fournier, chargée d'études au Céreq, le 6 mai dans le cadre de la rencontre organisée par l'ANLCI à Lyon. Les femmes salariées âgées de moins de 30 ans se forment dans 53 % des cas, soit plus que leurs homologues masculins (moins de 50 %). Entre 30 et 34 ans, leurs taux d'accès à la formation n'est plus que de 47 %, quand celui des hommes s'élève à 52 %. L'explication tient dans les charges familiales qui pèsent sur les femmes à ces âges de la vie. Toutes choses égales par ailleurs, la présence au foyer d'un enfant de moins de 6 ans réduit de 30 % les chances des femmes de suivre une formation, quand elle reste sans effet sur celles des hommes. Le suivi d'une formation appelle souvent pour les femmes une réorganisation de la vie personnelle afin de faire face aux changements d'horaires, de lieux ou d'itinéraires. En 2006, parmi les salariés formés, une femme sur cinq a réorganisé sa vie personnelle afin de suivre la formation, contre contre moins d'un homme sur dix.)]