Quarante ans de mutations de l'offre de formation
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 novembre 2011.
Une loi et quarante années auront radicalement changé le paysage de l'offre de formation continue en France, tant en termes d'acteurs, de méthodes, de finalité… ou de volume financier (près de 32 milliards d'euros aujourd'hui). Une histoire en pleine mutation dont les chapitres sont loin d'être tous écrits.
Contrairement à une idée reçue, la loi Delors du 16 juillet 1971 n'a pas “créé" l'offre de formation continue en France. L'Afpa (fondée en 1949) ou le Cnam qualifiaient alors près de 60 000 personnes par an. La loi Debré sur la promotion sociale de 1959 avait d'ores et déjà permis aux centres de formation d'organiser leurs cours du soir et le Fonds national de l'emploi (FNE) finançait la formation des salariés d'entreprises en restructuration depuis 1963. Concernant l'Université, la formation professionnelle continue constituait déjà l'une de ses missions, bien qu'alors, de puissants freins idéologiques empêchaient les dispositifs nécessaires de fonctionner pleinement. Du côté du secteur privé, en revanche, l'essentiel restait à inventer. Si certains grands groupes (Renault) avaient déjà développé, en interne, leurs écoles d'entreprise destinées à faire monter leurs techniciens en compétences à une époque où la France manquait cruellement d'ingénieurs, l'offre privée pour le grand public se limitait à quelques institutions, comme le cours Pigier.
Ce n'est donc pas tant la formation professionnelle en tant que dispositif d'apprentissage des savoirs que la loi Delors est venue révolutionner en 1971, surfant sur la vague de Mai 68, mais son essence même. À une formation continue perçue, dans les années 1960, comme un moyen de promotion sociale au mérite (tel que défini par Michel Debré), la loi de 1971 a substitué le concept - avant la lettre - de “droit individuel à la formation". Un concept appuyé sur une obligation légale de financement pour les entreprises et sur une gestion paritaire, par les partenaires sociaux. Ainsi, c'est à partir des bases posées par la loi que de nombreux organismes privés ont vu le jour, se positionnant très rapidement sur les secteurs les plus rentables de ce marché à défricher… “le plus souvent au détriment des salariés les moins qualifiés", comme le regrette Paul Santelmann, responsable de la prospective à la direction générale de l'Afpa.
Avec les années 1980 et le chômage de masse, est survenue la multiplication exponentielle des organismes privés. Ainsi, si la France comptait 1 500 organismes recensés au milieu des années 1970, leur nombre était estimé à 40 802 en 1987[ 1 ]Source : Actualité de la formation permanente n° 113, août 1991. ! Si le marché est demeuré chaotique (à titre d'exemple, sur 55 000 organismes déclarés en 1990, 29 000 mettaient la clé sous la porte la même année, alors que près de 10 000 nouveaux dispensateurs émergeaient dans le paysage[ 2 ]Source : Actualité de la formation permanente n° 119, juillet-août 1992. ), le jeu des concentrations a provoqué l'émergence d'acteurs d'envergure (Cegos, Demos, etc.) et le développement des “contenus sur étagères". L'État, pour sa part, a multiplié les réformes en faveur de la formation continue (programmes 16-25 ans de 1982, programmes pour les chômeurs de longue durée en 1983, création des contrats d'alternance en 1984, etc.) et quelques opérateurs publics ou parapublics sont apparus dans le paysage (Gréta, etc.) pour un marché évalué à 24,5 milliards de francs (3,7 milliards d'euros) au tournant de la décennie[ 3 ]Source : ibid..
Une nouvelle décennie, justement, qui a apporté avec elle des concepts tels que le développement personnel (il ne s'agissait plus, désormais, de progresser en compétences, mais aussi d'améliorer son “savoir être"), mais aussi la révolution informatique. La salle de classe s'est déplacée sur l'écran et le vocabulaire de la formation continue s'est enrichi de nouveaux termes, serious games, e-learning, etc. Et là encore, les organismes se sont adaptés, reconvertis, sont apparus… ou en sont morts.
Avec les réformes de 2004 et de 2009, la formation professionnelle continue est devenue “tout au long de la vie", avec, là encore, de nouveaux défis pour les organismes, qu'ils relèvent du secteur public ou privé. D'autant que la loi LRU de 2007, accordant une plus grande autonomie aux établissements de l'enseignement supérieur, a fait éclater les derniers carcans qui empêchaient l'Université de venir se positionner massivement sur ce marché. Ce que certains doyens, tels Philippe Rollet, président de Lille-I, réclamaient dès 1990.
Notes
1. | ↑ | Source : Actualité de la formation permanente n° 113, août 1991. |
2. | ↑ | Source : Actualité de la formation permanente n° 119, juillet-août 1992. |
3. | ↑ | Source : ibid. |