L'alternance face aux effets d'aubaine
Par David Garcia - Le 16 novembre 2011.
Négociateur de l'Ani du 5 décembre 2003 pour Force ouvrière, Jean-Claude Quentin porte un regard acéré sur quarante ans d'alternance. « Au bout d'un moment, les employeurs ont perçu le contrat de qualification comme un effet d'aubaine, assène le syndicaliste. Les entreprises et les branches professionnelles -qui déterminent les contenus et orientent les financements par l'intermédiaire de leurs Opca- ont utilisé ce dispositif comme une façon d'embaucher à bon compte, une sorte de passage obligé", affirme-t-il.
Autre problème : les entreprises qui recrutaient le plus en contrat de qualification – des PME voire des TPE, des sociétés artisanales surtout-étaient en même temps celles qui contribuaient le moins aux financements. Si bien que certaines branches, en particulier l'hôtellerie, la coiffure, la restauration et le bâtiment, éprouvaient de sérieuses difficultés à recruter en contrats de qualification, faute de subsides suffisants. A l'inverse, les grosses branches professionnelles comme la métallurgie n'embauchaient pas en quantité importante et dégagaient des excédents financiers.
Il faut dire, argue Jean-Claude Quentin, qu'il n'y avait “pas de péréquation et le débat depuis les années 95 tournait autour de la question de faire en sorte de repasser dans l'interprofessionnel les financements provenant de branches excédentaires, comme dans la métallurgie et les transports. "
Le “problème" a-t-il été réglé avec la création du contrat de professionnalisation ? “Il y a toujours un effet d'aubaine de la part des employeurs, d'autant qu'on est loin d'une situation de plein emploi. Par conséquent, les entreprises jouent sur du velours. En substance, elles disent “accordez-nous des avantages et en échange on embauche pour 24 mois". Mais au bout du contrat elles disent : “désolé on ne va pas pouvoir vous garder ", relate Jean-Claude Quentin.
Pourtant, si l'apprentissage a donné de très bons résultats en termes de formation et d'emploi, c'est parce qu'il est réservé à un créneau particulier, souligne Jean-Claude Quentin : les petites entreprises du bâtiment, la coiffure, la mécanique. Historiquement, les chambres d'industrie voulaient demeurer maîtres chez elles, ne pas dépendre d'une tutelle, du ministère du Travail. Sans les difficultés de financements auxquelles se heurtent certaines branches professionnelles. L'alternance au sens de la professionnalisation est en effet pilotée par les partenaires sociaux. Autre distinction : l'apprentissage conduit à une qualification reconnue par l'État, alors que la professionnalisation conserve une finalité première d'insertion professionnelle.
La bonne idée, poursuit Jean-Claude Quentin, serait de faire entrer dans les mœurs la notion de formation tout au long de la vie professionnelle et non celle de formation professionnelle tout au long de la vie. En allant vers une unification des systèmes d'apprentissage et de professionnalisation ? “En théorie, il faudrait tendre vers ce résultat, en théorie seulement... mais je souhaite beaucoup de courage à ceux qui voudraient s'attaquer sérieusement à ce dossier. Ce n'est pas un problème d'institution que de modes de financement. Ainsi, je savais très bien en 2003, pendant les négociations de l'Ani, que je pourrais rien obtenir des employeurs sur ce point. J'étais conscient de l'impossibilité de toucher à l'alternance sous peine de retour de bâton. Et de ne pas pouvoir arracher le droit individuel à la formation aux employeurs ", témoigne le militant syndical.